
Idées Fausses : « Il serait plus efficace de privatiser l’éducation, la santé, etc. » C’est faux !
Faux. Lorsque ces systèmes sont privés, il n’y a aucune garantie que les coûts baissent et que leur efficacité augmente.
La santé et les retraites, l’eau[1], l’énergie, l’éducation, les transports[2], la recherche[3], etc., et même la lutte contre la pauvreté représentent des marchés importants pour les entreprises privées. C’est pourquoi certains prétendent que les systèmes publics sont coûteux et inefficaces (et, malheureusement, l’Union européenne oblige ses États membres à privatiser de plus en plus de services publics, en commençant par l’énergie, les télécommunications, les transports…). La vérité est que les services publics sont en général moins coûteux et plus efficaces. « Ce qui n’a rien de surprenant, explique Joseph Stiglitz (Le Prix de l’inégalité[4]). L’objectif du secteur privé est de faire des profits. »
Selon le baromètre d’opinion Drees 2018, 74 % des Français pensent que le système de Sécurité sociale français peut servir de modèle à d’autres pays et 62 % qu’il fournit un niveau de protection suffisant.
Le système de santé américain est essentiellement privé, avec un résultat médiocre. En 2013, les dépenses de santé s’élevaient selon la Banque mondiale à 9 146 $ par personne aux États-Unis (4 864 $ en France), pour une espérance de vie de 79 ans (82 en France) et une mortalité infantile de 6 pour 1 000 en 2015 (4 pour 1 000 en France). Aux États-Unis, l’augmentation du coût des assurances santé privées et celle de Medicaid, le système public d’assurance maladie créé en 1965 pour les bas revenus, sont estimées respectivement à 5 % et 3,6 % par bénéficiaire par an entre 2012 et 2021[5]. Les dépenses de santé y représentent 17 % du PIB contre 11,7 % en France, et deux millions d’Américains font faillite chaque année à cause de factures médicales[6].
Dans le domaine de l’éducation, les comparaisons de résultats entre public et privé sont difficiles car cela dépend de la sélection des élèves opérée ou non à l’entrée par les établissements. L’échec de la privatisation de l’école en Suède a souvent été commenté. Aux États-Unis, l’étude « National Charter School Study »[7]constate en 2013 que les « charter schools » privées ont des résultats un peu meilleurs que les écoles publiques (c’était le contraire en 2009), tout en reconnaissant que les écoles privées sélectionnent peut-être davantage leurs élèves à l’entrée[8]. À l’inverse, en France, une note Pisa de 2012[9]observe que les élèves du privé ont de moins bons résultats dans certaines matières que ceux du public. « Les résultats scolaires en CE2 ainsi que la probabilité de redoubler le CP ou le CE1 ne diffèrent pas significativement entre les écoles des deux secteurs, public et privé sous contrat », note une étude de 2017[10].
Si tous ces services étaient privés, une année d’école élémentaire reviendrait à 5 500 €, une année de collège à 8 000 €, une année de lycée à 10 000 €, une journée d’hôpital à 800 €, un accouchement à 3 500 € et un an de traitement d’un cancer à 9 000 €[11]. Rappelons aussi que la dépense moyenne de santé est d’environ 3 000 € par personne et par an[12].
Et rappelons cette vérité essentielle : si l’objectif est de réduire le coût de l’assurance maladie, de l’échec scolaire et du mal-logement, le plus efficace n’est pas de privatiser les secteurs d’activité concernés, mais de lutter contre la pauvreté, les non-recours etles discriminations par des politiques réellement efficaces. Les pays scandinaves réussissent à assurer des soins médicaux accessibles à presque tous, un enseignement supérieur pratiquement gratuit pour tous et figurent dans les premiers rangs pour les indicateurs de bien-être[13].
[Article mis à jour en décembre 2019]
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[1] La gestion de l’eau a été privatisée au Royaume-uni en 1989. Elle dessert plus les intérêts de ses propriétaires changeants – à qui elle a reversé entre 2007 et 2016 95 % des profits plutôt que d’en réinvestir une partie – que ceux des consommateurs (cf. par exemple www.gov.uk/government/speeches/a-water-industry-that-works-for-everyone consulté en août 2019).
[2] Par exemple, les performances du système ferroviaire britannique dépendent de la part d’investissements publics qu’il reçoit : S. Duranton, A. Audier, J. Hazan, M. P. Langhorn, V. Gauche, « The 2017 European Railway Performance Index », BCG, 2017.
[3] L’État joue un rôle premier dans l’innovation scientifique – voir B. Amable, I. Ledezma, Libéralisation et innovation : faut-il (vraiment) les associer ?, Rue d’Ulm Eds, coll. Cepremap n° 37, Paris, 2015 ; M. Mazzucato, The Entrepreneurial State: Debunking Public vs. Private Sector Myths, Anthem Press, 2013. ; T. Harford, L’économie mondiale en 50 inventions, Paris, PUF, 2018, montre que les inventions sont toujours issues d’investissements publics et privés.
[5] Voir J. Holahan, S. McMorrow, Medicare, Medicaid and the deficit debate. Washington (DC), Urban Institute, 2012. La croissance du coût totalde l’assurance privée et de Medicaid (6 % et 8,5 % par an sur cette période) est due à l’augmentation du nombre de bénéficiaires, surtout depuis 2008. Mais c’est bien le coût par bénéficiairequ’il faut comparer.
[6] D. Mangan, « Medical Bills are the Biggest Cause of US bankruptcy: study », CNBC, 2013.
[7] Center for Research on Education Outcomes, Stanford University.
[8] Voir « Charter schools leave special-needs kids behind », Associated Press, https://bit.ly/2NMCR4R(consulté en août 2019).
[9] « Les élèves en difficulté : Pourquoi décrochent-ils et comment les aider à réussir ? Note pays – France ».
[10] D. Fougère, O. Monso, A. Rain, M. Tô, « Qui choisit l’école privée, et pour quels résultats scolaires ? », Education & Formations n°95, 2017.
[11] V. Drezet, Une société sans impôts ?, Paris, Les Liens qui libèrent, 2014.
[12] Drees, « Les dépenses de santé en 2017. Édition 2018 ».
[13] http://www.oecdbetterlifeindex.org/fr(consulté en août 2019). Et aussi K. Davis, K. Stremikis et alii, « Mirror, Mirror on the wall. How the Performance of the U.S. Health Care System Compares Internationally », The Commonwealth Fund, 2014,et, pour l’Australie, « Poverty in Australia 2018 », ACOSS et UNSW Sydney, 2018.