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« Il rêve de savoir tout écrire »

Fabien a huit ans, bientôt neuf. Il redouble son CE1. Absent le jour de la rentrée, il le sera un jour sur deux pendant plusieurs semaines. Cet enfant issu de la communauté des gens du voyage vit avec ses grands parents. J’apprends plus tard que ses parents vivent dans le nord du département avec ses frères et sœurs.

En classe, Fabien a du mal à se concentrer, à rester assis, à respecter la parole des autres, à « être élève ». Il ne sait pas lire et chaque apprentissage est laborieux. Je le fais suivre les séances de lecture avec les CP. Au bout de quelques semaines je décide de rencontrer les parents très distants de l’école. J’essaie de fixer un RV avec son grand-père mais celui-ci a toujours une bonne excuse pour ne pas venir. Je perçois qu’il a du mal à planifier son emploi du temps. Comment peut-on avoir un agenda quand on ne sait ni lire, ni écrire ?

Un soir, devant l’impossibilité de fixer un RV dans la semaine, je propose au grand-père de venir quelques minutes dans la classe pour signer un papier. 45 minutes plus tard, il sera toujours dans la classe de Fabien à poser des questions, à évoquer ses difficultés mais aussi à exprimer le désir de faire au mieux pour son petit-fils. Il me dit : « nous, avant, on pouvait se débrouiller sans lire ni écrire. Maintenant, c’est plus pareil. » Je lui confirme l’importance que Fabien apprenne et lui témoigne de mon envie de l’aider. Nous remplissons un P.P.R.E. pour Fabien qui est maintenu un an de plus. Je leur montre où ils doivent signer. En sortant, le grand-père me remercie de prendre soin de son petit-fils. « Par contre, me lance t-il, on veut pas qu’il prenne le car pour aller quelque part ! » (Réaction courante chez les gens du voyage). Je m’engage à l’informer des sorties prévues.

Les semaines suivantes, Fabien est plus présent à l’école et son comportement change. Il montre peu à peu une envie d’apprendre à lire. Son grand-père me salue de loin à la sortie de l’école et reviendra quelques fois au portail pour discuter. Il ne reste plus au volant de son auto à klaxonner pour que Fabien le rejoigne.

Au mois de Décembre, Fabien sera de nouveau absent. Sa grand-mère est malade et Fabien est embarqué pour chaque RV à Angers chez les spécialistes. Est-ce cette raison qui justifie son absentéisme ? Est-ce ses problèmes de vue comme me le répètent son grand-père ? Est le cycle de gymnastique qui impose à la classe de prendre le bus deux fois par semaine ? Conformément aux circulaires du ministère, je reçois une lettre de l’Inspection Académique à transmettre aux parents. Cette lettre qui rappelle l’obligation scolaire mettra le grand-père de Fabien en furie. Il s’énerve et ne veut même pas ouvrir la lettre. Je lui propose de la lire ensemble. Je reprends le cahier d’appel et lui note les journées d’absence non justifiées pour qu’il retourne voir le médecin de Fabien. Fabien semble soulagé que son grand-père et son enseignante aient trouvé un compromis et discutent maintenant de manière apaisée.

La semaine d’après, je propose à la grand-mère de Fabien de venir à la dernière séance de gym pour que Fabien puisse y participer. Je peux lire la joie sur le visage de Fabien lorsque celle-ci accepte de nous accompagner ! Depuis, Fabien ne rate plus une sortie scolaire. A-t-elle été rassurée après avoir pris le bus ?

Fabien a beaucoup progressé en lecture. Il prend de plus en plus la parole lorsqu’il s’agit d’évoquer la culture des gens du voyage. Il est fier de ses origines. En mathématiques, il est très vif et brillant. Avant de partir pour les vacances de février, nous lisons un livre qui parle des rêves. A leur tour d’évoquer leurs rêves. Les réponses sont variées : aller à Paris, voir la mer, partir avec toute la classe en vacances, devenir pilote…. Fabien nous confiera qu’il rêve de « savoir tout écrire ». Il y a un long chemin à parcourir pour que Fabien se sente en réussite sur le plan scolaire et qu’il prenne confiance dans ses capacités mais Fabien semble de plus en plus disponible pour apprendre.