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« Il faut que le projet Territoires zéro chômeur reste un projet humain »

Laurent Grandguillaume, président de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée, dresse un bilan d’étape et détaille ses craintes et ses espoirs pour l’avenir.

Quels enseignements tirez-vous des premières années d’expérimentation ?

Nous avons créé onze PME et près de 800 emplois ont vu le jour. Des activités très utiles sur le plan social, économique et écologique ont été développées, transformant les territoires grâce à l’action des entreprises à but d’emploi et des comités locaux. Nous avons réuni autour d’une table des personnes qui n’avaient pas forcément l’habitude de travailler ensemble afin de mettre au cœur du projet les premières concernées : les personnes privées d’emploi.

Comment le projet parvient-il à toucher les personnes les plus éloignées de l’emploi ?

Il s’agit en effet de personnes qui ne sont parfois ni à Pôle Emploi ni au RSA. Nous réinventons des médiations sociales, en faisant par exemple du porte-à-porte ou en installant des panneaux d’affichage dans les commerces, en retrouvant ceux qui sont devenus « des invisibles » aux yeux des institutions publiques.

Quel est l’impact du projet sur les territoires ?

Ils sont valorisés par l’expérimentation. Tout le monde voit qu’ils sont innovants, alors que ce sont souvent des terres qui ont souffert. Cela recrée aussi des solidarités, des liens, une activité sociale, une reconnaissance. Quand on allume une étincelle dans un territoire, on rallume un soleil et en ce moment on en a plus que jamais besoin.

Quelles vont être les conséquences de la baisse de la participation de l’État annoncée en janvier dernier ?

Nous allons voir si cette baisse ne crée pas des difficultés dans les six mois qui viennent, parce que tous les territoires ne sont pas égaux. Il ne faut pas avoir une vision mécanique du projet : une dotation doit pouvoir être ajustée en fonction des réalités du territoire, de la vitesse à laquelle ils développent le projet. Dans certaines activités comme le maraîchage, les investissements de départ sont assez lourds. Il ne faut pas qu’il y ait une dégressivité trop rapide. Il y a un modèle économique à trouver, cela prend du temps.

Le développement du projet nécessite une nouvelle loi, est-elle déjà inscrite à l’ordre du jour au Parlement ?

Le président de la République a annoncé dans la Stratégie de lutte contre la pauvreté qu’il y aurait une extension de cette expérimentation. Nous souhaitons que cette loi soit adoptée en 2019, mais nous n’avons pas encore de réponse précise. Mais quand je vois les déclarations récentes du Premier ministre disant qu’il faut que les personnes s’engagent en contrepartie des aides sociales, cela m’inquiète un peu. Ce n’est pas la philosophie présentée dans le cadre de la Stratégie. Il y a donc une vigilance à avoir, parce que ce n’est pas encore gagné. Si la loi est votée en 2019, certains nouveaux territoires pourront commencer dès 2020.

Ne faut-il pas attendre la fin de l’expérimentation dans les dix premiers territoires pour poursuivre le projet ?

Il est bien sûr nécessaire que l’expérimentation continue d’abord dans les 10 premiers territoires, voire que l’on sécurise l’expérimentation en leur donnant 5 ans de plus. Nous avons déjà une vision de ce qui peut être amélioré. Ainsi, des questions de management se posent, car les entreprises grandissent. Qui va pouvoir accompagner leur développement, assurer l’animation du comité local pour qu’il ne s’essouffle pas, trouver de nouvelles activités pour développer un chiffre d’affaires ? Étendre l’expérimentation, c’est nous permettre d’ouvrir les yeux sur des marges que nous n’avons pas encore explorées.

Quelles sont les menaces qui pèsent sur le projet ?

Ma crainte principale serait la généralisation de l’expérimentation. Certes, c’est un projet qui ne peut que s’étendre dans de nombreux territoires et j’espère qu’ils seront le plus nombreux possible. Mais si un jour des milliers de territoires expérimentent TZCLD, il ne faut pas en faire un dispositif, donc une bureaucratie. Il faut que cela reste un projet humain, avec des valeurs fortes et que ce soit ensuite les territoires qui définissent leur manière de faire, sur la base de principes communs. Nous devons rester des accompagnateurs, des facilitateurs et ne jamais faire « à la place de ». Ce n’est pas un dispositif clé en main et c’est ce qui fait sa force.

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Propos recueillis par Julie Clair-Robelet