
« Il faut écouter notre savoir spécifique du vécu »
Après deux ans et demi de travail, l’équipe de recherche en France salue la démarche du Croisement des savoirs et des pratiques qui doit permettre de lutter efficacement contre la pauvreté par la prise en compte de la parole des personnes concernées.
La dépendance et le combat. Il s’agit là des deux termes qui sont revenus le plus souvent tout au long des travaux de l’équipe de recherche en France. Pour les quatre militants Quart Monde, les quatre professionnels et les quatre chercheurs-universitaires, ce sont « les deux expériences constantes et transversales qui caractérisent la pauvreté ». « La dépendance est partout et nous mène à un combat de tous les jours. On est en perpétuel combat, même contre nous-mêmes, contre les peurs et les souffrances engendrées par la pauvreté et qu’il faut dépasser », affirme ainsi Abdel Bendjaballah, militant Quart Monde.
« Nous dépendons tout le temps des autres et nous nous battons pour ne plus en dépendre, pour mener notre vie comme nous en avons envie, même si nous ne sommes pas riches », ajoute Marion Navelet, militante Quart Monde. Pour Évelyne Dubois, également militante, il s’agit aussi d’un combat pour faire reconnaître des compétences. « Souvent, on nous prend pour des imbéciles, alors qu’on développe de grandes capacités de débrouillardise, de savoir-faire, de savoir-écouter. Il faut écouter notre savoir spécifique du vécu. »
Croisement des savoirs et des pratiques
Mais inscrire le terme « combat », assez militant, dans le rapport final n’allait pas forcément de soi pour les chercheurs et les professionnels, moins habitués à utiliser ce vocabulaire. La démarche du Croisement des savoirs et des pratiques a cependant permis à chacun de s’exprimer et d’aboutir à un consensus. « En tant que travailleuse social, je connaissais la pauvreté et la précarité, mais ce que j’ai découvert auprès des militants m’a beaucoup remise en question sur les pratiques et la difficulté de prendre réellement en compte la parole des personnes. Quand on comprend dans quel degré de dépendance les personnes sont, le combat prend sens », explique ainsi Marie-Hélène Dufernez.
Le travail en groupes de pairs, puis avec toute l’équipe, a également ébranlé les certitudes d’Abdel Bendjaballah. « Je croyais que je savais pas mal de choses, mais je me suis rendu compte que c’était intéressant d’écouter les autres, et que je n’étais pas toujours dans le vrai. J’étais certain que le problème d’argent était la première des difficultés et que, si on donnait de l’argent à tout le monde, ça irait. Je me rends compte que ce n’est pas vrai du tout », constate ce militant. Jean-Claude Dorkel, lui-aussi militant Quart Monde, salue aujourd’hui le soutien de l’ensemble du groupe pour l’aider à prendre la parole. « Ce n’est pas toujours facile de s’exprimer, mais les autres m’ont accompagné et m’ont aidé. » Cet échange de savoirs « n’a pas toujours été évident, mais il me convainc que c’est vers ce type de méthode de travail qu’il faut aller dans la société civile et dans les institutions si l’on veut lutter contre la pauvreté efficacement », explique Pascale Novelli, statisticienne pour le Secours Catholique.
Maladie de la société
Tous espèrent maintenant que cette recherche ne s’arrête pas là. « C’est une porte qui va s’ouvrir pour faire prendre conscience que la pauvreté ne se résume pas qu’à l’aspect monétaire et que c’est en montrant les interactions entre les différentes dimensions qu’on va réussir à faire comprendre ce qu’est la pauvreté aujourd’hui », souligne Marie-Hélène Dufernez.
« Nous voulons montrer que ce n’est pas que la question des pauvres, mais celle de toute la société. La pauvreté est une maladie de la société et ce n’est pas uniquement en donnant accès à du matériel ou à des droits que cela va résoudre les choses. Il faut faire évoluer la manière dont les pauvres sont regardés, dont les institutions sont dans le contrôle sur leur vie… J’espère que cela aura un impact à la fois dans la définition de nouveaux indicateurs, mais aussi dans l’action », ajoute Chantal Consolini, volontaire permanente d’ATD Quart Monde.
Julie Clair-Robelet
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