Entrez votre recherche ci-dessous :

Gigi Bigo, la conteuse

Cette alliée d’ATD Quart Monde est tombée un jour dans le conte. Elle n’en est plus jamais ressortie.

« Au milieu des années 80, on m’a sollicitée pour animer un atelier contes dans l’établissement pour enfants psychotiques où je travaillais comme institutrice, à Guénouvry (Loire-Atlantique), explique Gigi Bigot, 67 ans. Je me suis alors plongée dans les contes. Je ne savais pas que c’était aussi profond… »

A la même époque, Gigi rencontre son futur mari, un comédien en reconversion pour être… conteur professionnel. En 1992, à son tour, elle saute le pas. Après avoir enseigné vingt ans, elle va désormais conter.

Symbolique

« C’était le début du renouveau du conte. La tradition orale avait été abandonnée en France au début du XXè siècle. Nous étions une trentaine de professionnels. Aujourd’hui, il y en a plusieurs centaines sans compter les milliers d’amateurs. »

Pendant une vingtaine d’années, Gigi Bigot va sillonner la France au fil de ses représentations. Elle raconte des textes qu’elle écrit elle-même à partir de contes traditionnels, dans des centres culturels, des bibliothèques, des festivals.

Il lui arrive aussi de s’arrêter dans des lieux plus inattendus. Dans un centre de soins palliatifs, elle présente un spectacle sur la mort, intitulé « C’est drôle la vie ». Dans un colloque des Pompes funèbres, elle évoque le deuil des enfants à l’aide d’un conte.

Ce qui la fascine avec les contes, c’est « la parole symbolique » grâce à laquelle on peut tout dire sans pour autant devoir se dévoiler, « parce qu’on passe par l’imaginaire, l’irrationnel ». Elle cite les mots de cette militante d’ATD Quart Monde interrogée par la Revue Quart Monde : « Vous m’avez demandé mon avis. C’est comme si on m’avait donné le ciel ! ». Sans le savoir, explique Gigi, elle a utilisé la parole symbolique. Et elle a beaucoup mieux exprimé sa pensée qu’en disant : « Je me sens considérée ».

Gigi Bigot aime aussi « le partage » entre la conteuse et le public. Et le côté populaire du conte : « De mon enfance – nous étions trois enfants et mon père était plâtrier -, j’ai gardé un amour de la culture populaire. Et le conte, ce sont les petites gens. »

Citoyenne

Très vite, sa route a croisé celle d’ATD Quart Monde. En 1994, elle commence par conter à Rennes à l’occasion du départ d’un volontaire permanent du Mouvement, puis à l’Université populaire Quart Monde et pour le 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère. A Redon (Ille-et-Vilaine) où elle habite, en 2009, elle met en place un atelier d’écriture avec des demandeurs d’emploi, une aventure qui donne lieu au recueil « Le Rencard des Mots Dits ».

En 2012, elle lance un atelier contes à Rennes, « Le quartier de la Lune ». Une fois par mois à la maison Quart Monde, elle y donne rendez-vous à des militants, personnes connaissant la pauvreté, et à des alliés solidaires.

Le groupe a déjà écrit sept contes – sur « La misère est violence », sur les migrants… Il a planché l’an dernier sur « Les petits rêves du petit Joseph (Wresinski) », le fondateur d’ATD Quart Monde dont on marquait le centenaire. « On a imaginé qu’après une bagarre, il s’assoupissait. Et on a inventé ses rêves à partir d’un livre sur sa vie. On a prolongé les anecdotes, on a mis du symbolique. Comme un pâtissier, on a des ingrédients, on mélange et ça se tient. Un régal ! »

Cet atelier, poursuit Gigi Bigot, « c’est ma façon de m’engager. Je suis une citoyenne alliée à ATD Quart Monde. Mon outil, c’est le conte, inventé, créé avec les militants. On dit tant de choses avec… »

Révolutionnaire

Gigi Bigot est une personne engagée que les injustices et les inégalités révoltent. Institutrice, elle a enseigné dans le Nord en début de carrière. « J’ai découvert et soutenu les luttes des petites gens comme celle, célèbre, des habitants de l’Alma Gare à Roubaix contre la démolition de leur quartier en 1975« .

Ce qu’elle apprécie à ATD Quart Monde, c’est « le souci des plus fragiles qui ont autant à dire que les puissants. C’est un mouvement unique et révolutionnaire, le seul à baser toute sa philosophie sur les compétences, l’expérience, le savoir de gens qui ne sont jamais consultés mais toujours contrôlés. »

En 2012, Gigi Bigot a pris sa retraite. Enfin, façon de parler… En 2011, elle s’est inscrite à l’université en master, consacrant son mémoire au conte. Elle ne fait plus de spectacle mais propose des conférences devant des associations de spécialistes, lors de festivals… « Je présente ma recherche, puis il y a un grignotage, puis je conte. »

Elle assure aussi des stages de formation.

Avant de se séparer, je demande à Gigi comment elle s’appelle en vrai. Elle réfléchit une seconde, comme si elle avait oublié : « Ginette, un prénom que je n’aime pas. Mais depuis l’enfance, je suis Gigi, comme mon frère Maurice est Momo. ». Son mari ne la connaît que comme Gigi. Lui-même se prénomme José mais on l’appelle Pepito.

Véronique Soulé

Photo: Gigi Bigot chez elle à Paris le 4 octobre 2017. ©Carmen Martos, ATDQM