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Francis Marques : Le théâtre rejoint tout ce qui touche l’homme

Homme de scène (comédien), Francis Marques aide des personnes « à sortir de l’ombre » grâce au théâtre. Depuis neuf ans, il anime un atelier pour les personnes de la cité de promotion familiale d’ATD Quart Monde à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). L’année dernière, il a réadapté Antigone avec elles. Du 30 avril au 4 mai 2008, la troupe est partie en Grèce pour quitter quelques jours son univers.

Feuille de Route : Venez-vous d’un milieu artistique ?

Francis Marques : Mes parents sont d’origine portugaise, lui était tailleur et ma mère couturière. Il est parti en France pour des raisons politiques en 1959.
C’était l’époque où l’Europe avait besoin de main-d’œuvre. Pendant un an, ma mère s’est occupée seule de nous six puis nous avons rejoint notre père qui habitait près du Creusot.
Nous avons d’abord vécu dans un environnement très rural puis nous avons déménagé dans un lieu plus citadin. J’étais bon élève et j’aimais apprendre jusqu’à ce dernier changement. J’avais alors 9 ans. J’ai connu l’humiliation, le racisme à l’école. J’ai régressé et j’étais considéré comme un cancre. À cette époque, j’étais déjà attiré par la danse. J’imaginais des costumes et je créais des histoires. Je n’aurais jamais osé parler de mes envies à mon père.
Au collège, j’ai intégré une classe de transition et j’ai suivi une formation d’ajusteur-mécanicien pendant trois ans. Ensuite, j’ai fait ma première immersion dans le milieu ouvrier. Les gens avec qui je travaillais, à l’imprimerie, me touchaient beaucoup mais un jour j’ai pris conscience que j’avais besoin d’autre chose dans ma vie.
Je venais de perdre une sœur qui avait 20 ans et je voulais reprendre ce qu’elle avait laissé, c’est- à-dire le monde hospitalier. J’ai passé le concours d’aide-soignant que j’ai obtenu et j’ai exercé ce métier pendant cinq ans, jusqu’en 1985.

FDR : Quel a été l’élément déclencheur de votre envie de faire du théâtre ?

F. M : Quand j’ai commencé à être indépendant, j’allais voir des spectacles et une de mes sœurs m’avait donné goût à la culture. J’ai pris des cours de danse et j’ai fait un stage de théâtre avec la maison des jeunes du Creusot. Puis, un jour en 1982, une amie m’a parlé d’un spectacle d’histoire et d’expression populaire impliquant 250 personnes. Je suis devenu figurant et j’ai entraîné mon père et ma mère pour la fabrication des costumes et des décors. À partir de là, j’y passais ma vie tout en travaillant dans une maison d’accueil pour des handicapés.
J’avais un groupe d’amis avec qui j’ai continué de faire de la scène. Nous faisions des animations de rue, montions des spectacles tous les étés. Je sentais que j’avais enfin trouvé des personnes qui allaient me permettre de vivre une aventure humaine et artistique.
Pendant quatre ans, je me suis formé à l’école de Cluny (école d’animation socio-culturelle) où la formation est basée sur l’attention à la personne considérée comme le sujet de son histoire et non comme l’objet. Le théâtre permet de tenir compte de tout ce qui touche l’homme.

FDR : Qu’est-ce qui vous plaît à Noisy-le-Grand ?

F. M. : Ma mère nous a toujours élevés dignement avec la considération du plus pauvre qu’il faut aider. Dans ma famille, nous n’avons jamais été miséreux même si nous avons aussi porté des vêtements donnés. Les personnes qui vivent une grande précarité rejoignent souvent les artistes.
Avec le théâtre, pauvres, riches, illettrés ou non, peuvent créer. Chacun se risque dans une relation pour dépasser ses propres limites. Aujourd’hui, nous vivons dans un univers si cloisonné que cette expérience permet de remettre au cœur l’acte communautaire qu’est le théâtre. L’art va au-delà des étiquettes, il ne nous détermine pas.
Il contribue au combat pour la dignité de l’homme qui est inscrit au cœur du projet de Noisy depuis Joseph Wrésinski. Ce souci de beauté à travers l’art me donne le sentiment d’être chez moi. Je ne m’y sens pas étranger, c’est comme si j’avais été attendu ! J’aime ces personnes avec qui je travaille et j’espère que ces jeunes pourront être créateurs de leur propre vie.

Propos recueillis par Maud Amirat