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Le prix « Agir tous pour la dignité » pour encourager à filmer la misère sans clichés

ATD Quart Monde a créé un prix pour encourager les cinéastes à avoir un regard plus juste sur un monde qu’ils connaissent souvent mal et provoquer des rencontres.

« C’est idyllique ! Je peux vous dire, j’ai vécu six ans à la rue, je n’ai jamais vu un foyer aussi propre »: Marion est la première à intervenir après la projection d’ « Hector », l’histoire d’un sans-abri écossais.

« C’est vrai que souvent, il y a la bouteille », renchérit Maurice, un autre membre du jury. Mais il est nettement plus indulgent. « Hector retrouve sa famille, son frère, sa soeur, se félicite-t-il, il a du pot. Souvent ça n’arrive pas. »

« Peut-être qu’en Angleterre c’est comme ça, reprend Marion, têtue, mais pas en France. Je suis allée une seule fois dans un centre, j’ai dormi toute habillée et je ne suis jamais revenue. Je préférais marcher toute la nuit. »

– « Un centre propre comme ça, ça m’étonne », souligne Christian. En même temps, il a aimé le film pour ce qu’il a réussi à restituer de la vie d’un sans abri : « L’acteur joue bien, on s’y croirait. D’ailleurs je pense que c’est une histoire vraie. » Il met la note maximale : 4.

Personnages types

Le 9 avril, le jury d’Ile-de-France du prix « Agir tous pour la dignité » se réunissait à la maison Quart Monde de Montreuil. Au programme, « Hector » le matin et l’après-midi « La tête haute », l’histoire de Malony, jeune rebelle grandi sans repères et suivi par les services sociaux.

Capture du 2016-05-11 14:45:20Avec ce prix créé l’an dernier, ATD Quart Monde veut encourager les réalisateurs à montrer ce que vivent des personnes en grande précarité d’une manière originale, digne et qui touche le grand public. Trop souvent, le cinéma met en scène des personnages types – sans abri portés sur la bouteille, roms misérables, etc -, sans entrer dans la complexité des situations et sans donner des clés pour comprendre.

Le jury regroupe des militants Quart Monde, qui ont connu ou connaissent la pauvreté, et d’autres membres du Mouvement. Au total, une cinquantaine de personnes sont engagées dans l’aventure : en plus de l’Ile-de-France, des jurys visionnent les films à Montpellier, à Lille et à Reims.

Cinéphiles

Cette année, c’est la cinéaste Marianne Tardieu qui préside le jury. Elle a notamment réalisé le film « Qui vive » sur un vigile dans un supermarché. « C’est l’occasion d’entendre d’autres voix, des personnes issues de la pauvreté parlant d’un autre endroit, explique-t-elle, en tant que cinéastes, nous nous interrogeons : pour qui fait-on des films ? Comment sont-ils reçus ? »

Comme en 2015, le cinéma Le Méliés de Montreuil accueille l’événement. « L’un des défis pour une salle d’art et d’essai est de diversifier les publics, d’arriver à plus de mixité sociale, explique le directeur artistique Stéphane Goudet, si l’on estime à 50% les personnes qui ne vont jamais au cinéma en France, c’est 60% dans une ville comme Montreuil. »

Stéphane Goudet se souvient de la remise du prix 2015 à l’équipe de Spartacus et Cassandra : « Cela a été un moment de grâce . Des personnes n’allant jamais au cinéma ont dialogué avec des cinéphiles venant trois fois par semaine. Dans ces moments-là, on se dit qu’on est à sa place. »

Vrai clochard

A la maison Quart Monde, la discussion se poursuit sur Hector. Marie-Françoise est aussi sévère que Marion. « J’ai trouvé ça trop dur, avec son beau-frère qui le rejette et veut lui donner de l’argent, explique-t-elle, « Fatima » m’a plus touchée. »

Pour Claudine, « Hector n’est pas un vrai clochard. Il a choisi de partir après l’accident qui a tué sa femme et sa fille. Ted, le jeune dans le centre qui ne parle pas, est lui un vrai clochard ».

Christian approuve : « Si on le prend pas en charge, c’est tout tracé. »

Mais Hector a-t-il vraiment choisi cette vie durant 15 ans ? « Il a plutôt subi les problèmes psychiatriques qu’il a eus et qui l’ont fait basculer, il ne maîtrisait plus grand-chose », souligne Marianne Tardieu.

Après le déjeuner, le jury enchaîne avec « La tête haute ». Lorsque le sigle du festival de Cannes apparaît au début, une voix s’esclaffe : « Et les fauteuils du jury, ils sont où ? » Puis très vite, le silence se fait: le petit Malony regarde, l’air buté, la juge des enfants.

Photo : sur le tournage du film Hector, de Jake Gavin, avec Peter Mullan.