
Faut-il radier les bénéficiaires du RSA non inscrits à Pole Emploi ?
C’est le souhait actuellement du Conseil Départemental du Nord
Ce Conseil Départemental souffre de déficits budgétaires comme tous les départements et considère la réduction du nombre de personnes bénéficiant du RSA comme un moyen de réduire ce déficit. Il a créé un service départemental de lutte contre la fraude (1).
Dans le département du Nord, sur les 115 000 allocataires recevant le RSA, 45000 ne sont plus inscrits à Pôle emploi. Le département considère que ces allocataires ne remplissant pas leurs obligations, ils doivent être sanctionnés (attention, il ne s’agit pas ici de fraude).
À l’heure actuelle, 5000 personnes ont été contactées pour leur demander de s’inscrire à Pôle emploi. 2053 personnes qui n’ont pas effectué cette inscription vont être sanctionnées.
Ce que dit la loi
La loi autorise effectivement à sanctionner un(e) bénéficiaire du RSA non inscrit(e) à Pôle Emploi, avec les gradations suivantes :
– moins 100 euros par mois,
– au bout de 2 mois sans réaction, possibilité d’une suspension de 4 mois,
– puis radiation.
Le département du Nord prévoit que les sanctions soient décidées par une équipe pluridisciplinaire comprenant notamment des allocataires du RSA. Mais cela ne garantit pas un traitement plus clément et compréhensif ; il est en effet souvent difficile pour la personne au RSA de défendre ses pairs quand tous les autres y sont hostiles…
Que penser ?
L’expérience d’ATD Quart Monde montre que :
- un problème fondamental est le manque de référents RSA pour accompagner les personnes vers un projet professionnel ou de formation. Toutes les personnes recevant le RSA ne bénéficient pas d’un référent.
- une autre difficulté très importante: la numérisation des démarches. Aujourd’hui, s’inscrire à Pôle emploi et actualiser sa situation ne peut plus se faire lors d’un entretien en face à face, mais par Internet ou messagerie vocale. Tout le monde n’a pas un accès facile à Internet et les messageries vocales ne peuvent pas résoudre certaines situations compliquées.
- arrêtons-nous un moment sur les raisons des non-inscriptions. Il existe beaucoup de découragement chez les personnes recevant le RSA. Pourquoi s’inscrire quand on a déjà fait de multiples stages ou formations sans issue, sans débouchés vers des emplois autres que précaires ? Le département du Nord est en particulier durement touché par le chômage de longue durée. Et ne pas être inscrit ne veut pas dire ne pas chercher du travail. Les personnes comptent d’abord sur elles-mêmes pour trouver un emploi.
Les idées ne manquent pas pour essayer de faire sortir du RSA nombre de bénéficiaires. Bizarrement, on entend plus parler de sanctions et de contrôles que de renforcer les moyens d’accompagnement ou de créer des emplois… :
- Le Conseil départemental du Haut-Rhin espère toujours, à partir de janvier 2017, conditionner le versement du RSA à 7 heures de bénévolat hebdomadaire, sous peine de radiation (rappelons qu’en 2011, le gouvernement Fillon avait créé des contrats de sept heures, rémunérées au Smic, pour les bénéficiaires du RSA, mais que seulement 634 contrats avaient été créés dans 12 départements),
- Eric Ciotti, président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, promettait en février 2016 de supprimer l’aide aux allocataires du RSA qui refusent deux offres « raisonnables » d’emploi. C’est effectivement ce que prévoit Pôle Emploi : une radiation d’inscription quand on refuse plus de deux offres « raisonnables ». Mais pôle Emploi lui-même ne met pas en œuvre cette règle, tellement son application est complexe dans un marché de l’emploi atone,
- Edouard Courtial, président du Conseil départemental de l’Oise, a déposé en mars 2016 une proposition de loi pour contraindre tous les bénéficiaires d’aides sociales à signer un « engagement républicain »,
- Bruno Le Maire a proposé en avril 2016 que les départements puissent vérifier les comptes en banques des futurs allocataires du RSA.
Pour conclure (provisoirement), donnons la parole aux chercheurs Bernard Gomel et Dominique Méda : « Tout se passe comme un jeu de rôles dans un théâtre où l’on obligerait les allocataires à singer la recherche frénétique d’emploi alors qu’il n’y a pas d’emplois – ou du moins d’emplois dignes de ce nom. […] En l’absence d’emplois, la mécanique des droits et devoirs, même mise en œuvre de la façon la plus humaine possible, peut se transformer en instrument de torture morale. » (2)