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Fatima El Ayoubi, la renaissance par les livres

Elle a inspiré le film « Fatima » de Philippe Faucon en finale pour le prix d’ATD Quart Monde. Une femme qui s’est battue pour plus de dignité.

Pour nous recevoir, elle a laissé tomber les Fables de La Fontaine. Elle les reprendra à notre départ. Une oeuvre difficile avec ses tournures du 17ème siècle. Mais pour Fatima El Ayoubi, longtemps illettrée en français, ce combat est aussi un plaisir: « lire, pour moi, c’est arriver à maîtriser le texte ».

Capture du 2016-05-11 bisFatima, 62 ans, est une héroïne dans la vie. Venue du Maroc, elle a travaillé 20 ans comme femme de ménage, contrainte au silence faute de connaître le français. Elle finira par accéder à l’université, puis par écrire deux livres. Un modèle d’ascension par la culture.

Pluriel

Fatima El Ayoubi est née à Salé, « la ville des savants de la religion, ouverte, pleine de civilisation », à 6 kilomètres de Rabat, la capitale. Son père l’envoie à l’école à 10 ans. Son frère lui a déjà appris l’alphabet. Fatima est bonne élève. En troisième année, elle commence le français et démarre bien.

Mais l’année suivante, elle perd pied. « Avec les pluriels, je n’y arrivais pas. Et il n’y avait personne à la maison pour m’aider. » La maîtresse française demande l’équivalent de 50 centimes par faute – l’argent servant à équiper la classe. Fatima en fait 17 ou 18… La dictée devient sa hantise. Elle arrête l’école.

Capture du 2016-05-11 15:06:58Avec une voisine, elle apprend la broderie. Sur le grand lit qui trône dans son petit studio de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), humide et sombre car situé en entresol, elle désigne les coussins finement brodés qu’elle a réalisés.

Mais elle ne renonce pas. Avant de quitter l’école, Fatima a acheté le livre Le baton d’Adrien que la maîtresse demandait et tente de le déchiffrer. Elle dévore les livres en arabe de son frère – des contes de Kamel Kilani et de Georges Zaidan, Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, Les Misérables de Victor Hugo, et même Marx et Lenine…

Silence

Un jour, un voisin se présente chez son père. Il demande s’il peut emmener Fatima à Paris – « il avait un oncle préfet ». Le mariage dure une semaine. En 1983, la jeune femme débarque en France. Elle savait que son mari avait une première épouse. Elle découvre qu’il a des enfants. « Un menteur », assène-t-elle. Le couple finira par divorcer.

Fatima fait des ménages et élève ses deux filles. « Dans le film c’est bien moi mais ce ne sont pas mes enfants, précise-t-elle. Philippe Faucon a rencontré d’autres familles immigrées. Moi, mes filles sont admirables. Elles ne m’auraient jamais tapée », allusion à la cadette rebelle du film qui insulte sa mère.

Pendant toutes ces années où elle trime chez les autres, Fatima garde le silence. Il lui reste peu de choses de ses cours de français. Elle tient en arabe un journal de bord – «  j’ai toujours noté les événements, j’écris, je déchire… »

Plus tard, cela donnera deux livres, mêlant confidences et réflexions d’une femme immigrée, invisible, qui se bat pour sa famille et pour sa dignité (lire ci-contre). « J’en avais marre d’écouter, d’avaler… »

Capture du 2016-05-11 15:07:36Dissertation

En 1999, elle se blesse au travail. « Au bout d’un moment, c’est le corps qui lâche », explique-t-elle. Elle trouve du soutien auprès d’une femme médecin qui étudie la souffrance au travail.

Peu après, elle entend parler d’une association donnant des cours de français aux adultes. Elle s’y rend, trois fois par semaine. En 2007, avec sa fille, elle s’inscrit à l’université Parix X Nanterre à un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Durant un an, elle apprend à rédiger des dissertations, à analyser un texte… « J’ai eu 5 sur 20 en histoire au partiel. J’ai fait beaucoup de fautes mais j’étais là, j’ai accroché la fac, j’existais. »

Aujourd’hui Fatima vit avec une petite retraite et un immense appétit de littérature. Quand elle se retourne, elle mesure le chemin parcouru. « Je chante pour toutes les femmes, dit-elle, chaque époque a son rythme mais on chante les mêmes paroles, on est une même humanité, seule la mélodie change. »

Véronique Soulé

Photo : Fatima El Ayoubi chez elle le 18 février 2016 (ph. François Phliponeau)