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Expérimentation CIPES : les parents en situation de pauvreté veulent être « acteurs dans l’école de leurs enfants »

L’équipe du projet CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation) a réuni le 15 octobre, à Montreuil, neuf militants et militantes Quart Monde, pour réfléchir ensemble aux relations entre l’école et les parents et analyser les initiatives prises par les écoles engagées dans le projet.

Une dizaine d’établissements scolaires en France participent à l’expérimentation CIPES. Ils se sont engagés notamment à « réexaminer sérieusement les procédures d’orientation vers l’enseignement adapté ou spécialisé » et à « prendre en charge, dans le cadre d’une école inclusive, les difficultés que les enfants issus de familles en situation de grande pauvreté rencontrent parfois à l’école« , selon le cahier des charges. Depuis le début de cette expérimentation lancée en 2019 par ATD Quart Monde, ces établissements sont accompagnés par des membres de l’équipe de coordination du projet, des chercheurs, mais aussi par des parents ayant eu un parcours difficile à l’école.

Neuf militants Quart Monde ont ainsi réfléchi le 15 octobre dernier, avec l’équipe de coordination, à l’impact d’une action menée dans une école maternelle appartenant au réseau d’éducation prioritaire renforcée, engagée dans le projet à Lyon. Après avoir travaillé sur le sens des apprentissages, l’équipe enseignante de cette école a en effet constaté qu’elle ne savait pas ce que les parents pensaient et attendaient des apprentissages effectués par leurs enfants à l’école. Un questionnaire comprenant trois questions a donc été réalisé et distribué aux parents d’élèves en février 2022. « Les enseignants ne s’attendaient pas à des réponses aussi riches. Cela a changé de façon radicale leur regard sur les familles », a souligné Dominique Reuter, alliée d’ATD Quart Monde et membre de l’équipe coordinatrice.

Quelques mois plus tard, un café des parents a été organisé, auquel une trentaine de parents ont participé. Au-delà de leur volonté de voir leurs enfants « bien compter, bien parler, bien écouter » ou encore « construire des outils pour structurer leurs pensées », ils ont tenu à partager leurs soucis et leurs préoccupations. Ils ont alors évoqué le manque de confiance en soi et la timidité de certains enfants, la nécessité de travailler la sociabilité, le problème des moqueries, ou encore les insultes qu’ils ne souhaitaient pas que leurs enfants apprennent en classe. Un dialogue entre enseignants, Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), parents et agents de service s’est peu à peu instauré.

Conditions du déclic pour une meilleure communication

« Le fait que les enseignants fassent la démarche d’aller demander aux parents ce qu’ils en pensent, cela n’a l’air de rien, mais c’est un pas énorme », a souligné Dominique Reuter, en introduction de la réflexion avec les militants Quart Monde. Ces derniers se sont alors penchés sur les conditions nécessaires pour que ce déclic se fasse. « Souvent, on ne demande pas leur avis aux parents. Souvent, on est spectateur, on veut être acteur dans l’école de nos enfants. On subit trop les choses, on n’a rien à dire. Mais comment s’assurer que tout le monde comprenne bien les questions posées ? Comment s’assurer que les parents expriment bien ce qu’ils pensent et non ce qu’ils imaginent que les enseignants attendent d’eux ?« , s’est interrogé Vincent Espejo-Lucas.

Pour Franck Lenfant, ce questionnaire « peut permettre aux parents de faire la paix avec l’expérience qu’ils ont subie eux-mêmes. Ils ont été maltraités, ignorés, méprisés, jugés parce qu’ils n’étaient pas très propres, parce qu’ils faisaient partie d’une communauté… Rentrer dans une école quand tu as été traumatisé, c’est très difficile. Le jour où ils arrivent à entrer dans l’école, c’est un grand pas. » « On a tellement été mal vus quand on était jeunes qu’on se met parfois des limites », a ajouté Béatrice Mouton.

Murielle Gelin a pour sa part rappelé que « les professeurs ne sont pas forcément formés pour aller vers les parents ». Les militants Quart Monde ont ainsi estimé que ce type de questionnaire « peut faire changer la relation profs-parents », comme l’exprime Georges Mouton. Vincent Espejo-Lucas a cependant indiqué la nécessité de faire en sorte que tous les parents puissent y répondre. Franck Lenfant a pointé qu’il ne faut cependant pas chercher à généraliser un « questionnaire type« , car cela reviendrait à retomber « dans un fonctionnement scolaire académique classique », duquel les parents se sentent souvent exclus.

« Une relation d’égal à égal »

Cette journée d’échanges s’est poursuivie autour de la question plus générale de la communication entre l’école et les parents. Les militants Quart Monde ont ainsi pu exprimer ce qui leur semblait primordial pour que le dialogue soit fluide. Cela passe par exemple par des entretiens avec chaque famille, auxquels les parents sont invités « et non convoqués, sinon on a l’impression d’aller chez le juge ». Ces entretiens peuvent être l’occasion pour les enseignants de prendre conscience que les parents ont des choses à leur apprendre sur leurs enfants, leurs passions, leurs facilités, leurs difficultés…

Le corps enseignant doit aussi penser à dire aux parents « ce qui va bien et non toujours les choses qui ne vont pas » et éviter les rencontres au cours desquelles le parent se retrouve « seul contre tous », face à une équipe éducative. Cet entretien ne doit pas forcément se dérouler dans la salle de classe, avec le professeur assis à son bureau et le parent sur la chaise des élèves, car cela ne permet pas « une relation d’égal à égal, dans le respect mutuel ».

L’organisation de cafés des parents, ou même de bals de rentrées réunissant enseignants, élèves et parents a également été proposée. Ces événements doivent cependant être bien organisés, animés et les parents y participant doivent devenir « des ambassadeurs » auprès de ceux qui ne viennent pas, pour créer des liens.

Les militants Quart Monde ont regretté que les initiatives prises par les écoles pour renforcer la communication ne se mettent pas en place plus rapidement et ne soient pas plus nombreuses. Tous ont cependant constaté des évolutions positives ces dernières années et ont espéré que l’expérimentation CIPES permette une réelle prise de conscience de tous les acteurs de l’éducation.

 

Photo : L’équipe de coordination du projet CIPES et les militants Quart Monde posent devant une fresque qu’ils ont réalisée en début de journée, à Montreuil, le 15 octobre. © JCR, ATD Quart Monde