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Éradiquer la grande pauvreté d’ici 2030 : la nécessaire participation des personnes en situation de pauvreté

Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a adopté le 26 juin un avis intitulé « Éradiquer la grande pauvreté à l’horizon 2030 », qui comporte 25 propositions concrètes. Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde et membre du groupe des personnalités qualifiées du Cese, détaille les enjeux de cet avis.

« Il y a urgence, il nous reste une dizaine d’années pour atteindre le premier des 17 Objectifs de développement durable adopté par l’ONU et en France : éradiquer la grande pauvreté sous toutes ses formes à l’horizon 2030 », affirment les rapporteurs de l’avis adopté au Conseil économique, social et environnemental le 26 juin, Marie-Hélène Boidin-Dubrule et Stéphane Junique.

Parmi les 25 mesures préconisées, ils demandent notamment l’instauration d’un revenu minimum social garanti (RMSG), qui se substituerait à sept des huit minima sociaux existants. Il serait accessible dès 18 ans pour les jeunes se trouvant ni en emploi ni en formation et s’élèverait à 855 euros. Les prestations familiales et les allocations logement seraient maintenues hors du champ de ce futur revenu.

La lutte contre le non-recours, l’amélioration de l’accès aux soins et la garantie de l’effectivité du droit à l’éducation sont également préconisées dans cet avis adopté avec 147 voix pour et 15 abstentions.

Pour Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde et membre du groupe des personnalités qualifiées du Cese, la parole des personnes en situation de pauvreté n’a pas assez été entendue lors de l’élaboration de cet avis :

Quel est l’enjeu de l’avis adopté le 26 juin ?

L’enjeu de ce texte est de remettre la grande pauvreté sur la table dans notre pays. Il est de montrer que 5 millions de personnes qui vivent dans la grande pauvreté, c’est insupportable. Il est urgent  et essentiel de lutter pour l’accès de tous aux droits de tous et le respect de l’égale dignité de chacun, du plus nanti au plus pauvre. C’est le chemin pour parvenir à l’éradication de la grande pauvreté sans mettre à mal ceux qui la subissent et l’avis se place dans cette perspective.

L’enjeu pour les rapporteurs a également été de parvenir à un accord sur la première préconisation : le revenu minimum social garanti, avec un montant supérieur à celui voté il y a deux ans dans cette même maison.

Quelles sont les principales mesures du texte ?

La mesure phare est l’instauration, dès aujourd’hui,  du revenu minimum social garanti, à 855 euros. Il s’agit aussi de revaloriser et de mieux soutenir les travailleurs sociaux dans leurs travaux au quotidien avec les personnes en situation de pauvreté.

L’avis prévoit également de « co-construire réellement les politiques de lutte contre la grande pauvreté avec les personnes concernées ». L’enjeu est donc la participation pleine et entière des personnes à toute mesure que l’on souhaiterait mettre en place. Je suis assez déçue que les rapporteurs n’aient pas donné la parole à des personnes en situation de grande pauvreté lors de leur présentation, physiquement et non simplement par un film comme cela a été fait. C’est vraiment dommage.

Je suis également déçue par la façon dont ils ont présenté le fait que les personnes doivent participer à l’élaboration des textes, à la réflexion. C’était très peu développé dans leurs propos. Une seule journée, le 21 mars, a été organisée avec les personnes en situation de pauvreté. C’est une « participation alibi », les personnes n’ont pas le temps en une journée de donner leurs avis sur des préconisations importantes.

Quelles sont les mesures qui ne vont pas assez loin selon vous ?

Sur le logement, je trouve qu’on ne pousse pas assez loin. On reste dans les propositions du gouvernement du « logement d’abord ». Cela ne va pas assez loin sur la construction très importante de logements très sociaux et sur le fait que les personnes qui vivent dans la grande pauvreté ne peuvent pas, aujourd’hui, accéder aux logements sociaux, parce que leurs revenus sont trop faibles et que les bailleurs sociaux ne veulent pas d’elles. On aurait dû insister davantage sur le fait que cette situation est inadmissible. Les logements sociaux doivent accueillir toutes les personnes en grande difficulté.

Quand on prend une pile d’assiettes, si on en oublie trois ou quatre en bas, elles se cassent. Pour toutes les politiques publiques, si on ne prend pas la pile d’assiettes complète, c’est à dire tout le monde en même temps y compris les plus pauvres dès le départ, on les oubliera toujours.

Lors de l’adoption de l’avis en assemblée plénière, de nombreux membres du Cese ont cité le rapport « Grande pauvreté et précarité économique et sociale » présenté dans cette institution en février 1987 par le fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski. Qu’est ce qui a changé depuis ce rapport ?

Beaucoup de mes collègues ont en effet mentionné ce rapport et je les en remercie. Mais ils n’ont pas fait mention du fait que, dans ce rapport, il y a des monographies complètes de personnes qui vivent dans la grande pauvreté et des interviews. À l’époque, on avait pris le temps de dialoguer avec ces personnes et cela n’a jamais été mentionné.

Oui, avec le rapport de Geneviève Anthonioz de Gaulle adopté en 1995, ce sont des textes importants qui ont fait changer la lutte contre la grande pauvreté dans notre pays et je suis heureuse qu’ils les aient mentionnés. Mais ce qui m’interroge c’est qu’ils ne voient pas l’enjeu de travailler avec les personnes très pauvres. Il est important que les acteurs de la société civile qui sont ici prennent du temps pour rencontrer les personnes très pauvres et comprennent un petit peu ce qui les habitent et cette précarité infernale de leur quotidien, qui change complètement la façon de voir la vie et de faire des propositions. Il est essentiel de prendre leurs avis. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet et Raphaëlle Jouannic

Photo : Intervention à la tribune du Cese de Marie-Aleth Grard au nom du groupe des personnalités qualifiées, le 26 juin 2019. © Raphaëlle Jouannic.