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Enfants d’ici et d’ailleurs à la Bibliothèque de rue d’Aubervilliers

Avec d’autres, Isabelle Thibault va lire chaque mercredi dans un square de la cité Pressensé. Elle raconte.

Nous faisons des bibliothèques de rue du Mouvement ATD Quart Monde en Seine-Saint-Denis depuis 2001, en bidonvilles, sur des terrains d’insertion, dans des squares. Depuis le 2 mai 2018, nous allons le mercredi à la cité Pressensé à Aubervilliers. Les animateurs, qui ont entre 20 et 75 ans, sont des militants (ayant connu ou connaissant la pauvreté) et des alliés (des bénévoles) du mouvement d’origines diverses.

Aucune offre publique, culturelle ou en direction des familles dans ce quartier très défavorisé et délaissé d’Aubervilliers, qui compte 72 logements. La grande moitié jouxte un petit square où nous nous sommes installés après avoir fait un long repérage et nous être présentés aux habitants. Les autres HLM sont coincés entre les poubelles et quelques voitures de l’autre côté de la route, dangereuse à traverser. Le gardien nous dit : « Ici (autour du square), c’est les Vivants, là-bas, c’est les Non-vivants mais ça en fait partie ».

Natte

La bibliothèque de rue a fait tout de suite le plein de lecteurs. Ceux de la cité Préssensé mais aussi de la cité voisine (140 logements), qui voient de leurs fenêtres la natte, les livres et le panneau Bibliothèque de rue ATD Quart Monde réalisé par les enfants. Et puis les familles de la cité des Francs-Moisins ou d’ailleurs.

Madame Sow Aisata est arrivée en France à 16 ans et va bientôt en avoir 50. Elle travaille à la cantine de la mairie. Elle a trois garçons dont Souleymane, 12 ans. Elle dit combien c’est important que nous venions : « Il n’y a plus de local pour que les jeunes se réunissent, il a été muré. Plus de cours pour apprendre à lire et écrire. Moi, je n’ai pu apprendre. Plus rien. Enfin, il y a quelqu’un qui vient à nous…».

Chaque mercredi, quinze à trente enfants de 2 à 16 ans nous guettent. Différentes origines et religions, et toujours un accueil incroyable. Ils sont fiers d’inscrire avec application leur prénom et leur âge dans le cahier.

En septembre 2018, à l’approche de la Journée mondiale du refus de la misère, durant plusieurs séances, les enfants réalisent des fresques d’arbres. A la fin, nous parlons des souhaits à écrire pour associer les enfants au refus de la misère et au bien-vivre sur la planète. Certains ont écrit : « Le respect », « Partager », « Ne pas être méchant », « Aimer », « Faire la politesse », « Aider les Pauvres », « Être Joyeux », « Aimer sa maman », « Respecter les personnes âgées », etc.

Frontières

Les mercredis suivants, la plaquette du Défenseur des Droits permet d’aborder le thème des droits fondamentaux. Des petits papiers pliés sont tirés d’un sac. Sur chacun, un mot qui permet le dialogue.

Pendant que les plus jeunes sont absorbés par la lecture, Ezgi, 11 ans, et sa sœur Rumeysanur, 6 ans, dont les parents sont venus de Turquie, Mariam, 11 ans, dont les parents viennent d’Égypte, Djamila, 12 ans, née en Côte-d’Ivoire, se mettent avec deux d’entre nous en cercle sur la natte africaine. Puis Sayma, 11 ans, dont les parents viennent du Bangladesh, nous rejoint et plus tard Ibitssem, 32 ans.

Tour à tour, chaque fillette lit à haute voix un des droits de la plaquette. Puis chacune réagit. Sur le droit à l’éducation :

– « En Inde, une fille allait à l’école et s’est mariée à 11 ans. Alors elle a arrêté.»

– « Une fille dans ma classe est handicapée. Elle est naine mais on fait comme si elle était normale. »

– « En Afrique, il faut se réveiller super tôt pour aller à l’école et éviter les animaux sauvages. »

Ezgi et Mariam, dans le même collège, disent vouloir « être professeures ».

Sur le droit à la santé :

– « Il faut faire des affiches pour parler de bien manger. »

– « Oui mais moi, j’aime le cheeseburger et les frites. »

– « On mange des choses du pays de mes parents » (Côte d’Ivoire, Égypte, Turquie).

Puis on tire des mots du sac. Le feu :

– « Il faut du feu pour le méchoui. »

– « Il y a aussi le feu de joie comme celui de la Saint-Jean. »

– « Et le feu de la guerre. »

Le mercredi 17 octobre, l’arbre du square devient un arbre à souhaits. Les enfants écrivent, dessinent, découpent et font des collages. Parmi leurs messages accrochés aux branches : « Être tous unis », « Non à la pollution », « L’amitié n’a pas de frontières », « Non au harcèlement », « Des endroits pour se réunir et jouer ».

Véronique Soulé

Photo: Les enfants de la Bibliothèque de rue d’Aubervilliers préparent l’arbre à souhaits pour le 17 octobre 2018. ©Isabelle Thibault, ATDQM