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Écologie et grande pauvreté : lutter contre les inégalités, la seule chance pour la planète ?

Le département Écologie et Grande pauvreté d’ATD Quart Monde a organisé le 28 février 2023 un débat autour de la question « Lutter contre les inégalités, la seule chance pour la planète ? ».

La question venait du laboratoire d’idées Écologie et Grande pauvreté, au sein duquel des militants Quart Monde réfléchissent depuis trois ans sur les liens entre grande pauvreté et écologie. Il leur semble que si l’on veut une planète juste et vivable pour tous, il est important de s’attaquer non seulement aux dérèglements climatiques et à la pauvreté, mais aussi aux inégalités.

Patricia Daran, engagée à Toulouse avec ATD Quart Monde, introduit la soirée en témoignant : « Les inégalités m’ont toujours touchée. Depuis l’école où je voyais que l’instit s’occupait plus des premiers de la classe et que les autres étaient à la périphérie. On avait les livres les moins beaux. Ça m’a toujours révoltée qu’on attribue une valeur aux personnes en fonction de leur apparence ou de leur statut social. » Touchée par « la beauté de la nature », elle s’est toujours intéressée à l’écologie. Elle dit que « quand on s’attaque à la nature, c’est les plus pauvres qui sont touchés, et aussi les femmes plus que les hommes ». L’été dernier, il a fait jusqu’à 33°C dans sa maison mal isolée.

Elle ajoute : « J’essaie d’agir contre les inégalités en étant à ATD Quart Monde. Ce qui me donne du courage, c’est de faire du clown et du théâtre. Ça me sauve la vie. Sur scène, on est tous pareils, il n’y a plus de classes sociales ».

Stanislas Hannoun, responsable des campagnes « Justice fiscale et Inégalités » d’Oxfam, explique : « Depuis la crise du Covid, il y a eu une accélération des inégalités. La guerre en Ukraine et l’inflation les ont fortement renforcées. La politique française du ‘quoi qu’il en coûte’ en 2020-2021 a enrichi les grandes entreprises. Les secteurs énergétique et agroalimentaire ont fait des bénéfices liés à la spéculation. Les aides n’ont pas été suffisamment ciblées. Les dix premiers milliardaires français ont encaissé 189 milliards depuis 2020. Les plus précaires subissent la crise de plein fouet. »

Les inégalités grignotent la démocratie et la lutte contre la pauvreté

Pour Jean Merckaert, directeur de l’action et du plaidoyer France du Secours Catholique, « les inégalités engendrent un déni des droits les plus élémentaires pour des millions de personnes. Les épidémiologistes ont montré que, plus une société est inégalitaire, plus elle est en mauvaise santé : il y a une corrélation avec le taux de suicides, la violence, les addictions, etc. Les plus riches1 ont, en plus, le contrôle de la sphère médiatique. C’est une fragilisation de la démocratie parce qu’il y a un sentiment d’impuissance vis-à-vis de la capacité des politiques à répondre aux problèmes des citoyens. Ça fait le lit des populismes d’extrême droite ».

Une idéologie du « mérite » qui freine la lutte contre la pauvreté

« Ces inégalités sont d’autant moins supportables, poursuit Jean Merckaert, qu’elles surviennent dans les sociétés converties à l’idéologie méritocratique qui est d’une violence terrible pour des personnes qui se considèrent dès lors en échec. Ces privations sont ressenties comme une blessure parce que, dans nos sociétés, la valeur est liée à la place qu’on occupe. »

Stanislas Hannoun insiste sur l’impact des inégalités sur les ressources de l’État : « On prive l’État des moyens de notre politique sociale. De plus, les aides qu’il propose – comme le bouclier tarifaire – favorisent les plus aisés. Quand l’État dépense 100 € pour réduire le prix de l’essence, il distribue 6 € aux 10 % les plus précaires et 12 € aux 10 % les plus riches. »

Pour Patricia Daran, « l’État n’agit qu’après coup contre les inégalités, quand les gens sont en train de se noyer. Il ne lutte pas à la base, avant que ça arrive. Et sur la question des ‘zones à faibles émissions’ dans les villes, on va exclure des milliers de gens en jetant à la poubelle des voitures âgées qui ont pourtant réussi le contrôle technique ! Pourquoi ne les autorise-t-on pas à faire un petit nombre de déplacements par an ? »

Stanislas Hannoun estime que « la fiscalité est un instrument puissant de réduction des inégalités. Il y a un enjeu fiscal derrière les questions du financement des services publics, de l’action contre les dérèglements climatiques, contre les déserts médicaux… En Espagne, une taxe des super profits a été mise en place. Le gouvernement français l’a refusée », bien que des millionnaires déclarent régulièrement qu’ils sont d’accord d’être davantage imposés.

Bernard Vidal, membre d’ATD Quart Monde à Grenoble, trouve « intéressant d’augmenter la taxe carbone, pour que les personnes qui ont les moyens soient les premières contributrices et que cela puisse financer la transition écologique« .

Comment arriver à diminuer collectivement notre empreinte carbone ?

Agir plus vigoureusement contre les « inégalités du haut« , selon l’expression du philosophe Edgar Morin, permettrait de financer la lutte contre la pauvreté et la lutte écologique. Mais, sur ce dernier point, Jean Merckaert met en garde : « le défi est immense. Réduire la consommation des plus riches ne suffira pas. Les 10 % plus pauvres de France dépensent plus qu’il ne faudrait si l’on veut une planète vivable. La réponse est non seulement dans du ‘moins’, mais aussi et surtout dans du ‘autrement’. Mais il est clair qu’en matière de justice climatique, il faut aussi poser de nouveaux interdits. Pour les gens qui voudront voler toujours plus avec leurs jets, l’interdiction de nuire à autrui est en jeu. On n’a pas encore mesuré la portée de ce qu’on vit. On devrait décider de quotas, d’un nombre de kilomètres limite en avion. On a plus de capacité à réduire l’empreinte de ceux qui émettent le plus. La transition écologique sera juste ou elle ne sera pas ».

La soirée s’est conclue par la lecture d’une citation d’Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur les Droits de l’Homme et l’extrême pauvreté : « La lutte contre les inégalités est importante, car les politiques visant à réduire l’empreinte écologique ne peuvent réussir que si elles sont perçues comme légitimes, et si elles ne sont pas entravées le plus par les élites qui profitent le plus des schémas de distribution existants. »

 

Photo : Soirée du département Écologie et Grande pauvreté d’ATD Quart Monde le  28 février 2023 à Montreuil.