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Du droit à la culture aux droits culturels : retour sur la table-ronde à Lyon

Retour sur la table ronde qui s’est tenue, le 19 octobre 2017, à l’auditorium de la Bibliothèque de la Part-Dieu, avec ATD Quart Monde. Le thème était « Du droit à la culture aux droits culturels »

Cette soirée a débuté avec le témoignage de Marion Navelet, militante Quart Monde et héroïne de la bande dessinée « La bibliothèque, c’est ma maison » (Éditions Quart Monde, 2017). Marion nous a parlé de sa rencontre, alors qu’elle était sans domicile fixe, avec le personnel de la bibliothèque du centre Georges Pompidou à Paris.

« Aller à la bibliothèque, cela n’a pas été aussi simple que cela. Comme j’étais sans domicile fixe et avec un bébé, je rentrais et je demandais : « est ce que je peux lire un livre ? ». On me répondait : « Oh mais, vous comprenez, avec un bébé on ne peut pas. Un bébé ça pleure, ça va gêner les gens. » Alors je demandais si je pouvais emprunter des livres et on me disait que ce n’était pas possible, que j’allais les voler. J’ai fait plusieurs bibliothèques comme cela, puis je suis passée devant le centre Georges Pompidou à Paris et je suis montée. Là, au contraire, j’ai été accueillie. On m’a dit que je pouvais rester avec le bébé pour lire des livres. J’ai fait connaissance avec les dames de la bibliothèque et puis, petit à petit, elles m’ont proposé des places pour aller voir des expositions. Ça m’a vraiment plu, et c’était bien la première fois que l’on m’ouvrait les bras. Les copains qui étaient avec moi, ils me disaient : « Et qu’est ce que tu vas manger ? Ça nourrit pas, la bibliothèque ! ». Et moi je leur disais « La bibliothèque, cela m’aère l’esprit, le cerveau, j’oublie mes problèmes ». Les problèmes, ils restaient là, c’est sûr, mais j’arrivais à les oublier pendant ce temps. J’ai fait cela pendant six ans. Les bibliothécaires m’ont vraiment aidée à reprendre pied. Et puis, j’ai commencé à montrer des livres à mon fils. Lorsqu’il est rentré à la maternelle, j’étais toujours dehors, et pourtant, mon fils, il savait déjà lire.  »

Quand Marion a été interrogée sur la notion de droits culturels, elle a répondu :

« Pour moi, la culture, ce sont les gens que l’on rencontre. Chacun est différent et c’est cela qui est enrichissant. Tout le monde a une culture. On raconte tellement aux gens pauvres qu’ils n’en ont pas, qu’ils en sont persuadés. Accéder à la culture, c’est pouvoir aller dans des lieux de culture et c’est important. Les droits culturels, c’est être reconnu dans ce que l’on est, dans son identité. Quand j’allais à la bibliothèque, j’étais reconnue comme un être humain, comme quelqu’un qui s’intéresse aux livres, à l’art. »

Partant de là, Jean-Michel Lucas, consultant en droits culturels, nous a expliqué que, depuis 2015, un référentiel des Droits Culturels a été introduit dans la loi. Toute politique culturelle doit permettre à chaque personne d’exprimer sa propre culture, c’est à dire sa manière de voir le monde. En même temps, elle doit permettre à tous d’accéder et de partager des expressions culturelles diverses. « La culture, ce n’est pas des choses plus hautes ou plus belles que d’autres, c’est une diversité de choses différentes. La culture, c’est surtout des interactions, c’est la manière dont on fait humanité ensemble. En se posant toujours la question : Est-ce que la personne a pu accéder à plus de liberté et de dignité ? »

Un moment fort de la soirée a été la lecture de textes écrits par des personnes de l’atelier d’écriture. Il a lieu chaque semaine à l’Accueil de jour de la Maison de Rodolphe. Il est animé par Monique Sabouret. Voici un exemple des productions lues par David, Yvette, Gindo et Sabine et Monique :

« Aujourd’hui, le ciel est gris, comme un drap de lit sali de pluie, de grisaille, sur la ville, aujourd’hui. Je voudrais entrer, sentir les parfums des fleurs du jardin, les mains dans mes poches et le souvenir de ta bonté, pour écraser, jeter notre malchance, ce temps qui nous pousse à ne plus nous souvenir, qui laisse au fond de notre cœur le sel que cette terre nous donne. »

Monique nous a bien expliqué ce qu’elle propose aux personnes qui participent à l’atelier d’écriture : « Ce que je souhaite, c’est faire naître l’envie d’écrire. Quand on écrit ensemble, on s’évade dans un univers qui apporte de la poésie au réel. C’est une manière de voyager et de faire voyager ces personnes de la rue. Elles ont une richesse que les mots ont le pouvoir d’exprimer. On va aussi dans des musées, une fois par mois. Quand on arrive au musée, on peut poser ses affaires, et du coup, on est comme les autres, il n’y a pas de différence. On est scotchés aux tableaux, comme tous les visiteurs. On passe inaperçus. On n’est pas invisibles, mais on est anonymes. Et puis aussi, on se raconte plein d’histoires qui nous sont chuchotées par les œuvres. Quelques fois, on écrit sur un tableau, une peinture, une sculpture qui nous a touchés, et quelques fois pas. On est toujours très bien accueillis.  »

C’est cette vision de la culture qui est inscrite dans l’ADN d’ATD Quart Monde, depuis sa création dans un camp d’urgence à Noisy-le-Grand en 1957. Joseph Wresinski, son fondateur, disait : « Les familles nous prendront au sérieux, si nous-mêmes nous les prenons au sérieux. » La culture, lorsqu’elle est partagée avec d’autres, en égale dignité, permet à chacun d’être reconnu comme un être debout, un être de droits. Joseph Wresinski expliquait que : « Ce que la misère détruit, la culture le reconstruit ».

C’est également cette vision de la culture qui se vit, aujourd’hui, dans les Bibliothèques de rue d’ATD Quart Monde ou les Festivals des Savoirs et des Arts. Ce sont des moments de rencontre qui permettent à chacun de partager ses savoirs, et qui ont lieu dans plus d’une cinquantaine d’endroits en France.

Yves Petit, volontaire permanent à Lyon