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[DOSSIER] Travail social : OSEE veut élargir les profils

Depuis 2020, ATD Quart Monde a mis en place un parcours de formation pré-qualifiante destiné à des personnes ayant une expérience vécue de précarité, investies dans des associations, pour qu’elles se professionnalisent dans les domaines de l’intervention sociale, de l’animation et de la petite enfance. Le Mouvement réfléchit désormais au développement de cette expérimentation intitulée OSEE, pour Osons les savoirs de l’expérience de l’exclusion.

« Pour cette dernière séance, je vous propose de faire une sorte de photographie de là où vous en êtes aujourd’hui, après cette année de formation. Vous allez réfléchir à ce que vous espériez au début et à la manière dont votre connaissance de vous-mêmes et de vos expériences, ainsi que votre projet professionnel ont évolué. » Les stagiaires s’installent en petits groupes pour réaliser cet exercice donné par Pascale Budin, co-pilote de l’expérimentation OSEE, le 15 décembre dernier au Centre national d’ATD Quart Monde, à Montreuil. Cette journée marque une étape dans cette aventure collective, commencée mi-janvier 2022. Certains auront encore des cours personnalisés dans les prochains mois, afin que tous puissent se lancer dans la préparation de candidatures à une formation qualifiante dans le domaine du social. Cette année de formation pré-qualifiante avait pour but de leur apprendre à valoriser leurs compétences acquises au cours de leurs expériences de vie et de leurs engagements associatifs. Il s’agissait aussi de leur permettre de se mettre à niveau et de mieux connaître les métiers qu’ils souhaitent exercer.

Beaucoup d’ajustements

Pour l’équipe-projet d’ATD Quart Monde, l’objectif est désormais de faire le bilan de cette expérimentation lancée en mars 2020. Elle va réfléchir à la manière d’encourager et d’accompagner son développement plus largement dans les organismes de formation et de transformer le travail social. « Les deux promotions se sont déroulées de manière très différente. Il y a eu beaucoup d’ajustements entre les deux », explique Pascale Budin. La première a en effet été marquée par les confinements et des changements de partenaires. Elle comptait 25 stagiaires en lien avec ATD Quart Monde et 24 jeunes issus des quartiers prioritaires de Seine-Saint-Denis. Seize sont depuis entrés en formation qualifiante dans le domaine du social ou de l’animation, quatre ont intégré une autre formation et quatre ont trouvé un emploi.

La seconde promotion était composée de 28 stagiaires en lien avec ATD Quart Monde, mais aussi d’autres associations comme le Secours Catholique, ou encore des centres socio-culturels. « Nous avons eu le soutien du ministère du Travail et de la Caisse des dépôts, qui financent une partie du projet et ont accepté les modifications. Cela nous a permis de réduire le nombre de stagiaires, car il était difficile d’en mobiliser 50″, détaille la co-pilote de l’expérimentation. L’intégration de jeunes issus d’un même département, souhaitée initialement par les financeurs, a également pu être aménagée.

Autres évolutions entre les deux promotions : un travail beaucoup plus approfondi sur les savoirs d’expérience de vie et d’engagements et la mise en place d’entretiens professionnels réguliers, pour permettre aux stagiaires de faire le point sur leurs projets.

L’intervention d’une médiatrice a également permis de « pacifier l’ambiance ». « Le climat pouvait parfois être tendu entre les stagiaires, souvent confrontés à des difficultés dans leur vie personnelle, d’autant plus qu’ils étudiaient toute la journée ensemble et se retrouvaient le soir à l’auberge de jeunesse, pour ceux qui n’habitaient pas en Île-de-France. »

Une dynamique positive

Alors que l’épidémie de Covid avait rendu très difficile la réalisation de stages pendant la première promotion, plus de 90 % des stagiaires de la seconde en ont réalisé au moins un, ce qui constitue « un vrai plus dans la formation pré-qualifiante ». L’accompagnement administratif a également été renforcé et les conditions d’accès à la rémunération accordée par Pôle Emploi pour les demandeurs d’emploi en formation ont été simplifiées.

« Malgré tous les aléas rencontrés, une grande partie des stagiaires sont dans une dynamique plutôt positive. Nous ne sommes pas sûrs qu’ils vont tous entrer en formation bien sûr, mais tous ont gagné en confiance en eux, certains sont motivés pour renforcer leur français, d’autres font des démarches pour trouver un logement, pour se soigner ou chercher du travail. Ce projet a aussi renforcé leur militantisme et leur envie de s’engager », détaille Pascale Budin. Elle reste convaincue que l’expérimentation peut aboutir à une « transformation de la société » et s’interroge maintenant sur la façon de « montrer que c’est reproductible ».

Des groupes de travail vont désormais être créés, avec notamment des organismes de formation en travail social, des associations, des centres sociaux et des stagiaires. L’objectif est « d’écrire des préconisations et une charte d’éthique sur les points clés, pour permettre à d’autres de s’emparer du projet », explique Éric Bourcier, co-pilote de l’expérimentation. Des réflexions vont également être menées dans plusieurs territoires qui pourraient déjà être intéressés. « Les organismes de formation ont vu la richesse de l’expérience de vie et d’engagement des stagiaires et comment cela peut profiter au travail social », décrit-il. Le parcours est sans doute encore long, mais Éric Bourcier voit avant tout les impacts positifs que cette expérimentation a eu sur les stagiaires et garde en tête les mots d’une formatrice venues rencontrer certains d’entre eux : « ce n’est pas un tremplin, mais c’est un trampoline qu’OSEE leur a proposé et c’est très fort de voir le parcours accompli ».

 

La formation OSEE, « une belle découverte de soi »

Qu’ils soient motivés pour entrer dans une formation qualifiante, prêts à signer un CDI ou encore dans la construction de leur projet professionnel, les stagiaires de la seconde promotion d’OSEE estiment tous qu’ils ont « énormément grandi » au cours de cette année de formation.

Ils avouent qu’ils ont « beaucoup râlé » et mis à rude épreuve les formateurs du Greta et l’équipe projet d’ATD Quart Monde qui les ont accompagnés toute l’année. Mais, avec le recul, les stagiaires d’OSEE n’ont pas de mots assez forts pour les remercier et détailler tout ce que cela leur a appris. « Ça m’a permis de faire plus attention à la manière dont je parle, de connaître mes capacités et de mieux maîtriser mes émotions », constate Priscilla Derouck. Elle est arrivée dans la formation avec un projet bien précis : devenir monitrice éducatrice. « Avant, je laissais ce projet aux oubliettes, parce que je n’avais pas assez confiance en moi pour aller me renseigner correctement. J’ai fait un pas de géant, je sais aller chercher les informations dont j’ai besoin et je vais tout mettre en œuvre pour réaliser mon projet », explique-t-elle.

Christine* estime pour sa part qu’OSEE a changé sa vie. Installée depuis 23 ans en milieu rural, elle a déménagé à Toulon et elle s’est vue proposer un CDI. « C’est l’emploi dont je rêvais : faire de la médiation en tant que professionnelle. Maintenant, il faut que je leur montre ce que je sais faire », dit-elle, sans trop y croire encore.

Un gros défi

Monique veut se laisser le temps de « digérer cette année ». « Je n’ai pas encore tous les outils pour accéder à un travail, je me cherche un peu. Mais ce projet m’a bousculée, alors que je pensais me connaître. » Elle remercie les équipes d’OSEE de l’avoir acceptée. « Malgré mes problèmes de santé, j’ai pu participer. Je me suis dit qu’il y avait donc quand même une place pour moi. » Elle veut désormais s’engager davantage et en apprendre plus sur ATD Quart Monde.

Pour Nodiade, l’objectif est maintenant d’intégrer une formation d’assistante de service social, en alternance. Elle pointe la diversité des profils dans sa promotion. « Certaines personnes ont dû arrêter l’école assez tôt et ce projet est une seconde chance pour elles. Mais d’autres vivent de grandes difficultés dans leur vie personnelle. Je sais qu’elles ont beaucoup appris, mais cela va être un gros défi pour les écoles de travail social de les accepter », estime-t-elle.

« Nous ne sommes qu’au tout début du projet et on sait que c’est une bagarre qui risque d’être longue », ajoute Edith. Il y a un an, elle pensait qu’à 50 ans elle n’arriverait plus à retrouver du travail. La formation a été un déclic, même si elle s’est aperçue très vite qu’elle ne souhaitait pas travailler dans le social. Après quatre stages, elle est désormais motivée pour devenir assistante vétérinaire. « Cette formation a fait surgir ce que nous avions au fond de nous. C’était une belle découverte de soi, mais aussi une mise en danger et la vie en groupe a parfois été très difficile. Cela a été formateur, tant au niveau intellectuel qu’au niveau humain », souligne-t-elle.

Les stagiaires espèrent désormais garder contact pour suivre les parcours de chacun, mais aussi rencontrer les membres de la première promotion, pour partager avec eux leurs ressentis sur cette aventure.

* Certains stagiaires n’ont pas souhaité donner leur nom de famille.

 

Les enjeux d’une extension de l’expérimentation OSEE

Le parcours de formation pré-qualifiante d’OSEE a été construit avec le Greta 93. Une évaluation de l’expérimentation a également été menée par l’Institut social de Lille. Ces partenaires réfléchissent eux-aussi à la meilleure manière de donner une suite à ce projet.

Sophie Rey est coordinatrice au Greta 93, l’établissement public de formation continue des adultes de Seine-Saint-Denis. Elle a accompagné la seconde promotion d’OSEE pour la mise en place des parcours pédagogiques des stagiaires, leur remise à niveau, leurs découvertes des métiers du social, leurs apprentissages d’une culture professionnelle… Elle a d’abord été marquée par « l’accumulation des difficultés personnelles, qui freinait la formation des stagiaires, et l’accompagnement sans faille d’ATD Quart Monde ». Elle a également constaté l’évolution des stagiaires. « Cela a été un choc pour certains de se pencher sur leurs parcours, de comprendre, en prenant un peu de distance, ce qu’ils vivaient. Cela a entraîné parfois des remises en question personnelles, qui ont pu être favorables à la formation, mais qui ont aussi créé des perturbations », détaille-t-elle. L’un des enjeux est ainsi de passer d’une expérience bénévole à une posture professionnelle, en « trouvant la bonne distance avec son propre vécu, pour pouvoir mieux accompagner les autres ».

Pour la suite du projet, elle préconise de se pencher sur les conditions nécessaires pour entrer dans cette formation. « Il est important de s’adresser à un public très large de personnes en grande précarité. Mais il faut prendre en compte les capacités des personnes à travailler en groupe », estime-t-elle. Pour elle, ce projet nécessite donc « beaucoup de moyens, peu de stagiaires, des accompagnateurs et des formateurs très investis ».

« Ne pas vendre du rêve »

Chargée de mission dans le pôle évaluation du projet, Camille Darnaud avait quant à elle pour mission de faire le lien entre les sociologues de l’Institut social de Lille, chargées de l’évaluation, et l’équipe projet d’ATD Quart Monde. Elle a participé à l’organisation de journées trimestrielles permettant la présentation des évaluations. Cela a permis des ajustements au cours de l’expérimentation, comme par exemple une clarification des rôles de chacun. L’évaluation a aussi montré comment les stagiaires avaient repris confiance en eux. « Pour moi, c’est un bel objectif rempli », souligne-t-elle.

De nombreuses interrogations subsistent pour la suite du projet, comme celle de l’accompagnement des stagiaires par leurs « personnes-ressource », qui est en effet fondamental dans le fonctionnement de la formation. Mais « l’objectif est d’autonomiser peu à peu les personnes. Jusqu’où l’accompagnement doit-il aller ? », questionne Camille Darnaud. Elle pointe en outre la nécessité de faire un état des lieux des débouchés accessibles. « L’enjeu est de ne pas vendre du rêve et, en même temps, face aux nombreuses portes encore fermées, de ne pas s’avouer vaincus et de continuer à se battre pour ouvrir plus largement des formations… » Camille Darnaud note enfin qu’une des réussites du projet est la manière dont ATD Quart Monde et le Greta, qui ont « des cultures très différentes », ont su « faire un pas de côté, dans l’intérêt des stagiaires ». Dossier réalisé par Julie Clair-Robelet

Ces articles sont extraits du Journal d’ATD Quart Monde de janvier 2023.

Photos : 1 et 3 Stagiaires de la première promotion d’OSEE, été 2020. 2 Stagiaires de la seconde promotion d’OSEE au Centre national d’ATD Quart Monde à Montreuil le 15 décembre 2022. © ATD Quart Monde