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[Dossier] RSA : les allocataires sous pression

Les pressions et les mesures de contrôles pesant sur les allocataires du RSA se sont multipliées ces dernières années. Ces dispositifs s’avèrent stigmatisants et peu efficaces.

Le président de la République avait annoncé pendant la campagne présidentielle sa volonté de réformer le RSA (Revenu de solidarité active) de façon radicale en conditionnant son versement à une activité. L’expérimentation, dont les contours sont encore flous à l’heure où nous écrivons ces lignes, doit être lancée dès le début de l’année 2023 dans dix-huit territoires. Selon les premières pistes avancées par le gouvernement, des « parcours intensifs » de 15 à 20 heures d’activités par semaine seraient proposés aux allocataires, par un conseiller référent Pôle Emploi, en lien avec les professionnels associés. Cet accompagnement aurait notamment pour but de « prendre confiance en soi et se mobiliser », « construire son projet professionnel » ou encore « rechercher des solutions d’emploi ».

La proposition n’est pas nouvelle. Elle était aussi présente dans les programmes de deux autres candidats à la présidentielle, Valérie Pécresse et Nicolas Dupont-Aignan. Le département du Haut-Rhin avait également voté, dès 2016, une mesure conditionnant le versement du RSA à la réalisation de 7 heures hebdomadaires de bénévolat. ATD Quart Monde avait alors dénoncé cette mesure, par ailleurs invalidée par la justice administrative et par la cour d’appel de Nancy en avril 2017. En 2018, le Mouvement avait réitéré son opposition, quand le Conseil d’État avait finalement donné raison au Conseil départemental du Haut-Rhin. Six ans après sa mise en place, le dispositif n’a pas atteint des résultats très convaincants. Au 31 décembre 2021, seuls 1 298 allocataires du RSA sur 43 000 en Alsace étaient engagés dans le programme de bénévolat, soit seulement 3 % d’entre eux.

De réels « freins à l’emploi »

Entré en vigueur le 1er juin 2009, le RSA a remplacé le Revenu minimum d’insertion (RMI) avec pour objectif de garantir à toute personne, qu’elle soit ou non en capacité de travailler, de disposer d’un revenu minimum. Mais il ne se résume pas uniquement à une aide financière et comprend, depuis sa création, un « droit à un accompagnement social et professionnel adapté » aux besoins de l’allocataire. Un accompagnement jugé « nettement insuffisant » par la Cour des comptes, dans un rapport rendu en janvier 2022. « L’orientation vers un organisme d’accompagnement n’est pas réalisée pour 18 % des allocataires », écrit-elle. Et alors que le contrat d’engagements réciproques (CER) était supposé être « l’outil central de l’accompagnement social et la condition de son suivi » ces dernières années, seuls 50 % des bénéficiaires du RSA orientés vers ce type de parcours en disposent effectivement, selon la Cour. La question des moyens mis en œuvre par l’État pour activer, début 2023, les parcours d’accompagnement « intensifs » est donc cruciale, sans que le gouvernement n’y apporte de réponse pour le moment.

Faire peser la pression sur les allocataires du RSA revient à laisser penser qu’il s’agit d’ « assistés » qui « profitent du système » et « ne font pas d’efforts pour trouver un travail », des clichés trop souvent entendus. Aucune étude ne vient cependant démontrer la véracité de ces propos. Les professionnels de l’action sociale ou encore l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée montrent même, au contraire, qu’il « y a un désir très profond, chez beaucoup de gens, de travailler », comme l’indiquait l’économiste Esther Duflo, prix Nobel d’économie, sur France Inter, le 28 novembre dernier. Pour la vice-présidente du département de la Gironde chargée de l’Urgence sociale et des politiques de l’insertion, Sophie Piquemal, le « chantage à l’allocation » démontre surtout une méconnaissance des allocataires du RSA : « en Gironde, un quart d’entre eux occupent déjà une activité professionnelle à faible rémunération », rappelait-elle dans une tribune publiée en septembre sur le site de Rue89 Bordeaux.

« Les autorités connaissent-elles les freins à l’emploi tels l’impossibilité pour certains de se déplacer, de faire garder leur enfant hors période scolaire ? Comment faire fi de l’existant, du manque d’offres d’emploi adaptées à la réalité des allocataires ? […] Des dizaines de milliers d’allocataires du RSA, pour ne pas dire plus, sont dans l’incapacité de travailler à cause de leurs fragilités psychologiques, leurs conditions de vie ou à cause de la grande précarité sociale dans laquelle ils se trouvent », constatait Didier Dubasque, ancien membre du Haut Conseil du Travail Social, sur son site « Écrire pour et sur le travail social », en mars 2022.

Crainte d’une augmentation du non-recours

« Un retour à l’emploi, c’est exactement ce que veulent en majorité les personnes qui sont au RSA. Ce n’est pas en conditionnant une allocation que l’on va les inciter à retourner à l’emploi, C’est en les accompagnant dans la recherche d’emploi », affirme la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard. Elle craint notamment que cette marque de défiance vis-à-vis des allocataires ne fasse augmenter le taux de non-recours, qui est déjà « préoccupant ».

« Il y a déjà 34 % de personnes qui ne demandent pas cette allocation, alors qu’elles y ont droit et qu’elles n’ont rien pour vivre, c’est énorme », ajoute-t-elle. Pour elle, « l’État ne remplit pas ses devoirs et incite les services sociaux à être dans la surveillance plutôt que dans l’accompagnement. On va surveiller si les personnes ne fraudent pas, ne demandent pas indûment le RSA, n’hébergent pas quelqu’un chez elles… ».

« Le RSA n’est pas un choix »

La présidente d’ATD Quart Monde estime que la stigmatisation des plus pauvres montre une méconnaissance des réalités. « Le RSA n’est pas un choix, c’est le dernier filet de la solidarité nationale. Une solidarité qui n’est pas une charité que l’on accorderait aux plus démunis. On ne vit pas avec le RSA, on survit. » Elle tient ainsi à rappeler que le RSA est une allocation différentielle, réévaluée tous les trois mois. Cela rend souvent le système illisible pour les personnes qui ne savent pas, d’un mois sur l’autre, combien elles vont percevoir et voient leurs comptes bancaires être scrutés par les services sociaux. « Cela abîme les personnes dans la durée, ça les ronge d’être surveillées sans cesse, d’être montrées du doigt. »

Marie-Aleth Grard souhaite cependant rester optimiste : « On va arriver à trouver des responsables politiques qui auront le courage de dire qu’éradiquer la grande pauvreté, cela ne coûte pas tant que ça. Nous ne sommes pas simplement quelques militants utopistes à y croire. On voit des économistes, des sociologues, qui travaillent sur le sujet. Ils montrent que partir de ceux qui ont le plus de difficultés dans la société va profiter à tous », conclut-elle.