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[Dossier] Conditionner le versement du RSA : « le gouvernement prend le problème à l’envers » (Denis Colombi)

Sociologue et auteur en 2020 de l’ouvrage « Où va l’argent des pauvres », Denis Colombi constate que le renforcement des contraintes pesant sur les plus pauvres n’est pas une solution adaptée pour réduire la pauvreté.

Cette interview fait partie du dossier RSA : les allocataires sous pression.

Pensez-vous que le fait de conditionner le versement du RSA à des heures d’activités puisse inciter un retour à l’emploi des allocataires ?

Sur la base des travaux de sociologie que je mène, je dirais plutôt non. Ce type de mesures suppose que des personnes ne veulent pas travailler et qu’il faut les y obliger à tout prix. Il n’y a aucune source sérieuse, aucune mesure, aucun rapport parlementaire ou travail de sciences sociales qui indique que c’est ça le problème. Généralement, si les personnes sont en difficultés, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’emplois, qu’elles n’ont pas de diplôme ou des diplômes et des formations qui ne correspondent pas aux emplois ouverts, ou qu’elles sont dans des situations de précarité telles que rechercher un emploi n’est pas possible. Cela peut être lié à des formes de handicap, reconnu ou non, à des situations familiales particulières…

Conditionner le RSA ou diminuer les allocations chômages supposent qu’il faut appauvrir les plus pauvres pour qu’ils puissent sortir de la pauvreté, leur rendre la vie plus dure. Mais ils vivent déjà des vies extrêmement contraintes.

Ce n’est donc pas une bonne solution selon vous ?

Il me semble que le gouvernement prend le problème à l’envers. Depuis l’introduction du RMI, il y a toujours eu la volonté de mettre en place des dispositifs pour s’assurer que les personnes recherchent bien un emploi. Le RSA les a déjà renforcés. Maintenant, on renforce encore les contraintes, alors qu’on n’a pas vu des résultats mirobolants.

Cela traduit une perception de la question de la pauvreté et du chômage comme étant un problème d’individu. Dans cette vision, ce sont les individus qui ne font pas ce qu’il faut, qui ne savent pas s’obliger à travailler. Ce n’est pas perçu comme un problème de système. Pourtant, le premier problème c’est qu’il n’y a pas assez d’emplois. Le deuxième, c’est que les personnes qui sont dans des situations de pauvreté subissent des contraintes les empêchant de revenir vers l’emploi.

Il faut peut-être commencer par les sortir d’un certain nombre de difficultés, leur offrir une stabilité, un revenu minimal, des conditions de vie, de santé, de logement, de garde d’enfants qui soient de bonne qualité, pour les rapprocher ensuite de l’emploi. C’est le cas par exemple des mères célibataires qui ne peuvent pas faire garder facilement leurs enfants. La question n’est pas de leur rendre la vie plus compliquée, mais de leur donner les moyens de faire garder les enfants. Il faudrait également garantir aux personnes une offre de formation, qui soit adaptée à leurs capacités, à leurs désirs, à leurs projets personnels.

Constatez-vous une augmentation des contraintes pesant sur les personnes en situation de pauvreté ces dernières années ?

L’idée de contrôler leurs dépenses de toutes sortes de façons revient régulièrement. Il s’agit des contrôles de la CAF, qui vont jusqu’à rentrer dans l’intimité des personnes pour vérifier si elles sont en couple ou non, en regardant leurs paniers de linges sales. Il y a aussi ces propositions de verser les prestations sociales sous forme de chèques trimestriels, de bons d’achat, de bons alimentaires dont on entend parler de plus en plus souvent. Chaque année maintenant, il y a une polémique en août sur l’allocation de rentrée scolaire qui ne serait pas utilisée « correctement » et qu’il serait préférable de verser directement à l’école. C’est la même logique lorsque le gouvernement veut verser moins longtemps les allocations chômage, de les soumettre à plus de contrôles, de les limiter…

Pourtant, ces allocations constituent des droits que les personnes ont accumulées parce qu’elles ont travaillé avant. C’est de moins en moins conçu comme cela, comme un droit, et de plus en plus comme quelque chose qui doit être soumis au contrôle de la collectivité.

Dans votre livre « Où va l’argent des pauvres », vous affirmez pourtant que la pauvreté peut être « sinon tout à fait vaincue, du moins considérablement réduite ». Avez-vous des exemples de politiques publiques qui permettraient ce résultat ?

On peut déjà regarder notre propre histoire. Au 19e siècle, il y avait un vrai problème avec la pauvreté chez les personnes âgées. Elle existe toujours, mais elle a été fortement réduite grâce à la mise en place de systèmes de redistribution. C’est extrêmement efficace pour réduire la pauvreté.

La France a un taux de pauvreté, qui est certes loin d’être négligeable, mais par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne, l’Angleterre ou les États-Unis, elle n’a pas de trop mauvaises performances en termes de redistribution. Pourtant, ce système est sans cesse attaqué, critiqué, parce qu’il coûterait « un pognon de dingue » et ne servirait à rien. En fait si, il réduit quand même la pauvreté de façon efficace.

Des expérimentations ont été menées dans différents pays sur l’idée d’un revenu universel, versé sans condition à tout le monde. Elles montrent que, contrairement à ce que certains craignaient, les gens ne se mettent pas à arrêter de travailler. Au contraire, cela facilite le retour à l’emploi et la création d’entreprises et cela permet d’améliorer considérablement la vie des personnes concernées, donc il y a plutôt de bons résultats. Tout cela montre que la redistribution, ça marche, on a une solution. On peut discuter ensuite des formes qu’elle peut prendre, mais on sait que, s’il faut lutter contre la pauvreté, c’est encore la meilleure chose à faire. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet

 

Photo : Denis Colombi