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Les visages d’ATD Quart Monde – Doris Mary : « je ne suis plus celle que j’étais »

Elle l’appelle « Monsieur Soleil ». Elle l’a vu une fois dans sa vie mais elle sait qu’elle ne l’oubliera pas. Ce soir-là, Doris Mary rentre chez elle à Strasbourg avec cinq minutes de retard. Elle est mise dehors. La jeune femme a juste le temps d’embarquer son fils de 13 mois Jérôme. Tous deux se retrouvent à la rue.

Heureusement « Monsieur Soleil » passe par là. Il se penche vers l’enfant et lui dit : « ta maman et toi, vous avez besoin d’aide ». Il les emmène à l’hôpital où elles sont prises en charge. «Il avait eu l’intelligence de s’adresser à mon fils et non à moi, paniquée, je ne l’aurais jamais écouté, je serais partie », se souvient Doris. Elle ne l’a jamais revu : « il a parlé humblement, il est reparti humblement ».

« Je suis là pour gueuler »

Doris Mary, 55 ans, pense que c’est à ce jour-là que remonte sa volonté de s’engager. Elle chemine avec ATD Quart Monde depuis plus de vingt ans– les dates, ça n’est pas son fort. « Je n’y suis pas au quotidien mais quand on m’appelle et que je peux, je fais », résume-t-elle. Elle ajoute, bravache, qu’elle est là « pour gueuler ». « Par exemple quand j’entends « les pauvres », j’ai l’impression qu’on me crache à la figure, explique-t-elle, parce que l’argent ça n’est pas l’essentiel et qu’il y a des accidents dans la vie. »

Pour l’interview dans son petit deux-pièces, elle a invité Guillaume Chesnot, un ancien volontaire permanent qui était aussi à l’Elysée. Sa présence la rassure. Même si en réalité, Doris Mary n’a besoin de personne pour raconter sa vie, une vie difficile mais « pleine de belles rencontres ». Elle en livre un récit par bribes, fracturé comme son parcours dont finalement elle est plutôt fière : « il faut voir l’évolution, je ne suis plus celle que j’étais.

« Je croyais que c’était une secte »

Après avoir fui Strasbourg, sa ville natale, Doris Mary se retrouve à Besançon. C’est là qu’elle rencontre ATD Quart Monde en la personne de Bernadette Boillon qui travaille dans le social. Celle-ci l’invite à un « pique-nique partagé » à La Bise, la maison de vacances du Mouvement dans le Jura. « Au début j’étais mal, se souvient-elle, je ne comprenais pas que l’on puisse parler si facilement de choses personnelles en petits groupes. Pour moi, c’était comme une secte, je pensais que je n’y remettrais pas les pieds. »

Elle reviendra pourtant à la Bise. Elle y fait notamment un séjour de quinze jours qui lui permet de renouer avec sa fille cadette Marjolène qui a été placée – Jérôme a, lui, refusé de revenir vivre à la maison. Vive et curieuse, Doris commence aussi des formations. Elle rejoint l’Université Populaire Quart Monde. Elle mènera plus tard un travail sur le handicap et la pauvreté, ira parler dans les écoles… Ce mois-ci, elle monte à Paris participer à un Croisement des savoirs (2) sur la justice.

« J’aurais voulu travailler »

Ce qui la passionne, c’est la politique. Elle vient de rejoindre le Pôle politique d’ATD Quart Monde à Lyon : « J’aime rencontrer les élus, souvent ils ne sont pas comme on les imagine dans leurs fonctions. » Doris Mary n’est en plus pas du genre à se laisser embobiner par la langue de bois – « il faut savoir les couper parfois », glisse-t-elle, malicieuse. A l’Elysée, sa peur s’était très vite envolée.

Sa vie professionnelle est une souffrance. Doris a travaillé dans une fac où elle saisissait les inscriptions étudiantes, dans un laboratoire médical, dans une mutuelle… Mais elle enchaîne les problèmes de santé. Elle essaie un mi-temps thérapeutique, décroche des contrats aidés. Son médecin finit par lui dire qu’elle ne pourra plus travailler et la met en invalidité. « J’aurais voulu travailler, dit-elle, sans travail, tu n’as pas de statut social, c’est dur. »

« On pense ensemble »

Arrivée à Lyon en 2008, elle a d’abord été hébergée dans un foyer d’urgence – « il y avait de la violence, mais aussi de la solidarité.» Puis elle obtient un premier logement dans une résidence sociale d’Habitat et Humanisme. Elle vient d’emménager dans un second. « C’est trop collectif, j’ai passé l’âge de prévenir quand je pars deux trois jours ». Elle a entamé des démarches pour une résidence où elle serait plus indépendante.

« J’aime être seule mais pas isolée, de toute façon il y aura toujours quelqu’un pour m’appeler comme les amis d’ATD Quart Monde », confie Doris qui dit ne jamais s’ennuyer. Elle coud, brode, peint, découpe des origamis… Sur la table basse sont posés les porte-clés qu’elle a fabriqués à partir de matériaux récupérés.

« Je suis qui je suis »

Il y a aussi les coups de fil de Marjolène, 29 ans, « qui n’a jamais été au RSA ». Après avoir fait des petits boulots et décroché un BTS (brevet de technicien supérieur), la voilà assistante dentaire. Jérôme, qui a connu la rue, a une vie plus chaotique. Mais il se stabilise : il travaille comme électricien et sa femme attend un second enfant.

« Pourquoi je suis toujours à ATD Quart Monde ? J’aime les échanges de pensées, explique Doris, on pense ensemble et tu n’as pas besoin d’être très calé, chacun apporte sa petite touche. Si j’y suis encore, c’est que ça m’enrichit. Et moi si je ne donnais plus rien, on ne m’appellerait plus. »

Dans son entrée, elle a collé l’affiche d’une pièce « Je suis qui je suis ». « Ça me correspond bien », précise-t-elle.

Véronique Soulé