Entrez votre recherche ci-dessous :

Dialogue à quatre voix autour d’ATD Quart Monde

Quatre membres du Mouvement ont dialogué autour de ce qui les rapproche, au-delà des générations. Une façon de raconter ATD Quart Monde de l’intérieur, avec ses constantes et ses évolutions. Dossier réalisé par Véronique Soulé

Ils sont quatre à s’être mis autour d’une table pour débattre durant une heure et demie au siège de Montreuil : Lucien Duquesne, 74 ans, volontaire permanent depuis 50 ans, Christine Gonzalez Géroudet, 57 ans, volontaire depuis 25 ans, Etienne Pelsy, 28 ans, allié depuis 4 ans, et Marie-Anne Lenfant, 20 ans, militante Quart Monde.

Comment êtes-vous arrivés à ATD Quart Monde ?

Lucien Duquesne : Avec mon ami d’enfance Claude Ferrand, on voulait aller rencontrer les plus pauvres en Afrique, en Amérique latine… Un jour, quelqu’un nous a dit : « Vous devriez aller voir à Paris, il y a un prêtre qui fait du bon boulot. » Et on s’est retrouvé en 1967 dans le bidonville de Noisy-le-Grand (où Joseph Wresinski créa le Mouvement avec les familles).

Marie-Anne Lenfant : Ca s’est fait naturellement. Mon papa est militant, ma grand-mère maternelle aussi. C’est madame Simon, d’Ermont (Val-d’Oise). Petite, je faisais partie du groupe Tapori (la branche enfants d’ATD) à Nogent-le-Rotrou, ma ville, et ça m’a beaucoup aidée.

Christine Gonzalez Géroudet : Enfant à Perpignan, je passais tous les jours devant des gitans qui vivaient en bidonville. Je m’étais dit qu’un jour, je lirai des livres avec les enfants. L’accès à la culture, à l’art, c’est une respiration immense quand la vie n’est pas facile. Un jour j’ai eu l’opportunité de le faire. J’ai d’abord été alliée avant de devenir volontaire en septembre 1992.

Etienne Pelsy : J’étais en école de commerce et on a beaucoup de temps pour soi. Je me demandais ce que j’allais faire. J’ai croisé ma tante, très engagée à ATD Quart Monde à Nancy, et elle m’a dit : « Viens à ATD, on a besoin de gens ».

Pourquoi y êtes-vous encore ?

L.D : Parce qu’il n’y a pas beaucoup de mouvements qui sont sur un projet de société plutôt que dans l’aide aux plus pauvres. Avec ATD Quart Monde, il s’agit de faire bouger la société pour que tout le monde y ait sa place. Si les plus pauvres ne disent pas comment s’y prendre pour aller vers cette société, on ne peut pas y arriver. C’est essentiel que des personnes rejoignent celles qui ont le plus de difficultés pour apprendre d’elles ce qu’est vraiment la justice. Qui peut le dire mieux que ceux ayant toujours vécu dans l’injustice, disait le père Joseph.

M-A.L : Pour moi, c’est essentiel : je veux apporter à d’autres enfants ce que le Mouvement m’a apporté quand j’étais jeune. C’est pour ça que, dès que la bibliothèque de rue s’est mise en place à Nogent, je me suis portée volontaire.

C.G.G. : A ATD, j’ai la conviction de participer à une lutte contre l’exclusion, l’isolement, la misère. Même si ce n’est pas tous les jours facile, même si on n’est pas toujours d’accord, c’est passionnant de faire mouvement ensemble, d’être d’un même combat, de partager les mêmes aspirations.

Tu as été volontaire à l’étranger ?

C.G.G. : J’ai été quatre ans en Angleterre, entre 1992 et 1996. Avec mon mari, volontaire aussi, nos enfants étaient petits et on rencontrait des familles anglaises avec des vies très difficiles dont les enfants étaient souvent placés et très souvent adoptés. Je me suis pris comme une claque.

Nous avons vécu aussi sept ans en Bolivie. Un autre peuple, une autre culture. J’ai dû tout réapprendre. C’est très déstabilisant. En même temps, tu grandis en humanité.

E.P. : A ATD, j’ai rencontré pour la première fois des gens en situation de précarité. Ca a été un choc de voir que j’avais construit un millier de préjugés. La démarche du Mouvement m’a tout de suite accroché. On demande aux personnes en situation de pauvreté : « qu’est-ce que vous vivez, qu’est-ce que vous voulez, on ne va pas faire à votre place mais avec vous. »

On est loin des intellos avec le melon qui pondent une solution dans leur coin. On fait émerger les solutions des gens qui connaissent la précarité. C’est génial, c’est pour ça que je reste.

M-A.L : Il n’y a pas assez de jeunes à ATD Quart Monde. C’est nous qui sommes les premiers concernés car c’est nous qui allons créer la société de demain. Le Mouvement reflète tout de même bien la société car on s’y bat pour qu’elle soit meilleure.

Pour cela, je veux créer un groupe jeunes à Nogent. Dans ma petite ville, il y a une dynamique jeunes au quotidien. Mais les jeunes sont très réticents à venir nous rejoindre. Il faut du temps pour faire connaître le Mouvement. En plus, ça ne fait que deux-trois mois que j’ai pris cette décision.

Comment fais-tu pour convaincre ?

M-A.L : J’ai recruté une jeune à la bibliothèque de rue. Et maintenant, elle essaie de monter le groupe avec moi. Pour moi, la bibliothèque de rue c’est le plus simple pour présenter le Mouvement. C’est quelque chose d’essentiel pour les enfants. Ca leur permet d’avoir une certaine culture, de découvrir les livres qu’ils ne trouvent pas forcément chez eux car ils coûtent cher, parce que les parents ont peur d’entrer dans des bibliothèques ou qu’ils craignent le regard des autres.
La bibliothèque de rue peut vraiment être une alternative pour ces familles et les pousser ensuite à emmener leur enfant dans des bibliothèques municipales où elles peuvent rencontrer plus de personnes.

E.P. : Ce n’est pas facile d’expliquer ce que fait concrètement le Mouvement. Il ne distribue pas de repas. C’est une philosophie complètement différente qui remet en question ce que l’on est. Quand on donne, on ne perd pas son statut. Alors que rejoindre ATD Quart Monde, c’est abandonner une bonne couche de ses oripeaux, de son statut.

Le Mouvement a par ailleurs des points de vue très particuliers, originaux, dans le discours associatif, avec par exemple cette notion de ne pas faire à la place.

Ce qui peut manquer aussi parfois, c’est une incarnation dans un personnage comme était le père Joseph ou dans des résultats concrets. Le Mouvement a pourtant contribué à des avancées mais il n’y est pas toujours associé.

C.G.G. : Ca n’a jamais été simple d’expliquer ATD pour que des gens nous rejoignent. Car ça demande de changer quelque chose en toi et on n’a pas forcément envie. Moi-même quand je me lève, je n’ai pas tous les jours envie d’être dans ce bouleversement que me demande l’engagement avec les très pauvres. Il y a des jours où j’ai envie de penser à moi.

Ce qui aide à faire le choix, c’est lorsque quelqu’un en qui tu as confiance te dit : « On t’attend, on a besoin de toi ».

L.D : Ce qui est extraordinaire et ce qui va marquer, c’est la façon dont ATD forge ses objectifs à partir de ce que vivent les personnes les plus démunies, en formant des militants. Affirmer que des personnes ayant vécu dans un bidonville ou dans une cité d’urgence ont quelque chose à dire et que la question est comment croiser leurs savoirs (avec les connaissances des chercheurs et des professionnels), c’est révolutionnaire. Le Croisement des savoirs devrait déboucher sur une nouvelle manière de penser la société.

Ce sera toujours difficile d’expliquer ATD, notamment à des jeunes qui ont besoin de quelque chose de concret tout de suite.

Rien n’a changé ?

L.D. : Je me demande si le Mouvement est capable aujourd’hui de faire autant confiance que le faisait Joseph Wresinski. Il pouvait te demander un jour de lui succéder à l’Université populaire de Paris. Ou il te disait : «  Ils t’attendent à Créteil et tu n’y es pas encore ? » Et quand on lui demandait : « Comment on va vivre ? », il répondait : « Tu te débrouilles, mon pote ! ».

E.P. : On m’a fait confiance. On m’a dit : « Prends tes clics et tes clacs et va négocier un contrat de complémentaire Santé pour les personnes en précarité ». Par ma formation, je sais négocier des contrats. Mais je ne connaissais rien aux mutuelles.

Les militants ont expliqué : il faut trouver une solution pour qu’on arrête de payer très cher des mutuelles qui ne couvrent rien et que l’on comprenne les conditions. Je me suis retrouvé à négocier au nom des militants. Ensuite, on est allé avec eux présenter notre projet de mutuelle au ministère de la Santé et à l’Assemblée nationale.

C.G.G. : Dans l’équipe de la Dynamique enfance où je travaille, une jeune stagiaire en Master à l’université, qui est là pour 6 mois, est chargée de suivre les Festivals des savoirs et des arts. Une grosse responsabilité. Elle fait ça très bien. Parfois je lui dis : « Vas-y, si on fait des erreurs, c’est pas grave.. » C’est hyper important de faire confiance aux personnes qui nous rejoignent, jeunes et moins jeunes.

M-A.L : A Nogent, on me fait confiance pour le groupe jeunes. Mais il faut être bien entouré. C’est un groupe de personnes qui fait les choses. Les faire tout seul, ça ne peut pas fonctionner.

C.G.G. : Quand je faiblis un peu, ce sont les gens qui me redonnent le sens. Leur courage, leur peine aussi. Je me dis : oui, on doit mener ce combat-là.

Il y a aujourd’hui plein d’autres associations très engagées, sur des chemins vraiment intéressants comme l’écologie. Ca pourrait être bien à un moment d’aller voir ce que font les autres, comment ils cheminent, réfléchissent…

L.D : Considérer les progrès de la société à l’aune de la qualité de vie des plus pauvres : si on arrivait à faire passer ça, on construirait ensemble une autre société. C’est tout de même autre chose que de donner de la nourriture ou des vêtements. Il faut arriver à faire cette bascule.

C.G.G. : Parfois j’ai envie qu’on ré-invente autrement nos actions. C’est ennuyeux quand on s’installe. Nous sommes un mouvement et c’est intéressant quand ça s’invente constamment. C’est là que des personnes nouvelles, jeunes et moins jeunes, apportent du renouveau.

En chiffres

ATD Quart Monde comptait en 2016 en France 18 060 adhérents et membres actifs dont 5 968 alliés bénévoles, 2 406 militants qui ont connu ou connaissent la pauvreté et 72 volontaires permanents. Il anime 50 bibliothèques de rue, 10 Universités populaires, 6 projets pilotes et 9 réseaux – culture, école, santé… (Rapport moral 2016)

Photos Carmen Martos