
Débats animés autour du cannabis
L’Université Populaire Quart Monde de Caen a pesé le pour et le contre d’une légalisation de cette substance, interdite mais de plus en plus consommée. Sans pouvoir trancher.
Une franche camaraderie règne dans le local du Mouvement à Caen en ce jour d’Université populaire Quart Monde. C’est devenu un rituel de dîner ensemble avant de se rendre, à 20 heures 30, à cette université un peu particulière.
Il existe 10 Universités populaires Quart Monde en France. Plusieurs fois dans l’année, on s’y se retrouve pour échanger sur des sujets de société. Le 31 mai dernier, une soixantaine de personnes ont réfléchi à Caen sur le cannabis. Beaucoup de questions sur cette substance dont l’usage s’est banalisé et qui reste illégale en France.
En famille
Comment aborder le sujet en famille ? C’est la première question que pose à l’assemblée Martine Le Corre, co animatrice de l’Université populaire. Des mains se lèvent et elle fait circuler le micro. Certains en ont déjà parlé en famille au même titre que de la sexualité, de l’alcool ou d’autres drogues. Parfois on est forcé d’en parler parce qu’un membre de son entourage en consomme.
Pour d’autres, c’est plus difficile d’évoquer le sujet. Patricia, au cinquième rang, précise : « Quand on ne connaît pas, on peut pas en parler ». Liliane, de l’autre côté de la salle, avoue qu’elle n’en a jamais discuté avec ses enfants mais qu’elle en parle maintenant avec ses petits-enfants : « Avec mes enfants je représentais l’autorité, avec mes petits-enfants j’ai un rôle différent. » Damien rappelle que les jeunes aussi peuvent avoir des appréhensions à en discuter avec leurs parents.
Peurs
Le cannabis fait peur. Mais de quelles peurs parle-t-on ? Les témoignages se succèdent. Martine distribue la parole. Chacun attend son tour pour parler et s’écoute. Marie-Thérèse, venue avec sa fille, exprime la crainte de « se mettre en danger par rapport à la justice ». Elle redoute également l’engrenage, ce besoin de toujours plus et le risque basculer dans le deal pour des questions d’argent. Commencer à dealer, c’est « s’exposer à la violence et aux règlements de comptes », dit-elle.
Joseph enchaîne : « Ce qui fait peur, c’est la banalité du produit. » Les intervenants font ensuite le parallèle entre les effets nuisibles du cannabis et de l’alcool qui, pour certains, serait moins destructeur pour la famille. Martine reprend le micro : « Quand ma fille était dedans (le cannabis), ça me bousillait aussi. »
Avis partagés
Sur la dépénalisation – le fait de ne plus sanctionner pénalement les usagers – , les avis sont partagés. Les opposants expliquent que ce produit « tue la santé ». Ensuite, il y a la crainte que la dépénalisation mène à une banalisation encore plus forte du cannabis. On s’interroge. « Qu’est-ce que ça cache, cette envie de se shooter ? »
A l’inverse, la dépénalisation permettrait « d’assainir les bas d’immeubles », remarque un participant, en référence aux trafics et aux gangs. Marie-Thérèse est pour, car «de toute façon, ils en trouvent aussi en prison. Et puis je manque de courage, c’est dur mais je le dis, j’arrive pas a l’interdire. C’est pour ça aussi que je suis pour la dépénalisation car j’ai peur que mes enfants retournent en prison ou qu’ils y aillent.” Martine salue “ le courage de Marie-Thérèse “ d’oser parler ainsi.
Priscilla, sa fille, insiste : « S’il y a dépénalisation, il doit y avoir légalisation. » La légalisation implique de poser un ensemble de règles légales à l’usage.
Chansons
Mireille Carpentier, directrice régionale de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, est la professionnelle invitée aux débats. Elle rappelle que le cannabis est une substance psychoactive illégale en France et qu’il n’y a pas de dépendance sans souffrance. Alors, que faire face à une personne qui consomme ? Elle recommande de l’écouter et de lui dire son inquiétude.
L’Université populaire se termine avec les aux-revoir pleins d’émotion de Martine Le Corre et Nathalie Georges qui passent le relais après six ans d’animation. Martine, militante Quart Monde de la première heure, formée auprès de Joseph Wresinski, le fondateur du Mouvement, va rejoindre la délégation générale le 1er janvier 2017. Nathalie, bénévole, se cherche une autre mission. Pour les remercier, les participants leur ont écrit des chansons.
Geoffrey Renimel