Entrez votre recherche ci-dessous :

Daniel et Paulette Farineau : trente ans d’efforts pour obtenir leur terre

« Je ne sais pas si on a vécu la misère… mais la galère, certainement ! » Daniel et Paulette Farineau, exploitants agricoles dans la région de Maroilles dans le Nord, reviennent sur plus de vingt années qu’ils ne revivraient à aucun prix.

« On s’en sort pas mal psychologiquement, après toutes les épreuves qu’on a connues, reconnaît Daniel. Ça a été dur pour chacun de nous et certainement pour les enfants. » Paulette aimerait oublier ces années où les huissiers débarquaient pour obtenir le règlement d’un loyer ou d’une dette. « Pour moi, c’était le plus dur. J’en ai souvent pleuré », dit-elle.

Maintenant, tous deux sont en retraite, mais toujours très actifs, et ils ne reçoivent plus de visites d’huissiers. Ils sont installés depuis 2005 dans une petite ferme de trois hectares près de Maroilles, que la famille a remise en état en seulement six mois.

« Trois hectares suffisent à nourrir une famille, explique Daniel. Aujourd’hui, on arrive à payer tous nos frais. On n’a pas de dettes, mais on n’a pas non plus assez d’argent pour investir dans du matériel. » Chaque semaine, ils vendent sur les marchés leurs légumes, leur jus de pommes, leurs confitures, leur miel et leurs poules. Ils élèvent aussi quelques lapins, moutons et cochons, et des oies.

Leurs difficultés ont commencé dans les années 1980. Issus de deux familles d’exploitants agricoles, Paulette et Daniel ont toujours voulu cultiver la terre. Mais les problèmes n’ont fait que s’enchaîner. Sans capital pour s’installer vraiment et être indépendants, ils ont été pendant plus de vingt ans des « cobayes », comme ils disent. Cobayes de leur propriétaire jusqu’à 2005, qui ne leur a jamais donné les moyens d’exploiter vraiment des terres. Cobayes des syndicats agricoles et des organismes de prêt, qui ne les ont jamais soutenus. Cobayes des avocats et des notaires, qui ont toujours cherché à se débarrasser d’eux. « Sur la demi-douzaine d’avocats qu’on a eus en vingt ans, dit Daniel, il n’y en a qu’un qui nous a vraiment soutenus. » Avec le sentiment constant d’être « traités comme des chiens » par presque tout le monde. « Nous avons eu six enfants, ajoute Paulette, et cela aussi nous a fait mal voir. »

Pendant plus de vingt ans, les Farineau habitent une grande pièce sans sanitaires dans un corps de ferme à une vingtaine de kilomètres de leur résidence actuelle. Leur propriétaire veut récupérer la totalité de l’exploitation et obtient une décision d’expulsion en 1984. La sous-préfecture ne fait pas procéder à l’expulsion tant qu’une solution de relogement n’est pas trouvée. Les dettes s’accumulent et les visites d’huissiers se font régulières. Des procédures sont lancées contre eux au tribunal. « Tout le monde nous conseillait de nous reconvertir, d’abandonner l’exploitation, de chercher un appartement », se souvient Daniel. Mais sa raison de vivre est de travailler la terre et il croit dur qu’un jour il y arrivera.

À la fin des années 1980, les Farineau rencontrent ATD Quart Monde, dont quelques membres ont créé deux antennes non loin, à Avesnes-sur-Helpe et à Maubeuge. La sous-préfecture continue de surseoir à l’expulsion. La famille continue de vivre au jour le jour. Ses ressources proviennent de quelques vaches allaitantes et des minimas sociaux. Comment résistent-ils à toutes ces difficultés ? « On tenait, c’est tout », répond Paulette. « Ce sont les enfants qui nous ont aidés à tenir », reconnaissent-ils tous deux.

Pour Daniel, le plus dur, c’étaient les tribunaux : ne pas être reconnu dans son bon droit et son projet de faire vivre sa famille dignement.

Ils vont jusqu’à Plogoff, dans le Finistère, chercher une petite ferme à reprendre, mais sans succès.

Au début des années 2000, la situation change. Les enfants ont grandi. Quatre d’entre ont un travail. Un de leurs fils repère un jour de 2005 cette fermette qu’ils réussissent à acquérir à la SAFER(1), avec le soutien de la Chambre d’agriculture, d’ARCADE(2) et d’ATD Quart Monde. Pour Daniel, se séparer de ses vaches est un arrachement.

Ils développent peu à peu une activité qu’ils poursuivent aujourd’hui, même retraités. Leurs efforts acharnés et ceux des alliés d’ATD Quart Monde ont payé.

« Pendant trente ans, on nous a maltraités, conclut Daniel. Maintenant, on est un peu plus respectés. On n’a plus de gros problèmes, mais on a toujours des petits problèmes. On est toujours mis de côté par certains. » Il est prêt à soutenir de jeunes agriculteurs qui veulent conserver leur terre ou s’installer.

Quand on lui demande s’ils continueront à faire leurs cinq marchés hebdomadaires pendant l’hiver qui arrive, il répond : « Les clients nous attendent, on ne peut pas les décevoir. S’il faut, on met trois paires de chaussettes et on y va ! »

Jean-Christophe Sarrot
Merci à Michèle Courcier et Guillaume Tissot

C’est aussi la société qui doit changer
Benoît Fabiani, volontaire permanent d’ATD Quart Monde, écrivait dans le journal Feuille de route en juin 2008 : « Souvent, on nous demande combien de personnes, de familles sont « sorties de la pauvreté » grâce à notre action. On nous demande beaucoup plus rarement combien de citoyens ont changé, comment notre société dans son ensemble a changé pour refuser que certains soient abandonnés. Pourtant, quelles possibilités d’amélioration de la vie des très pauvres et d’accès aux droits fondamentaux pour tous si nos sociétés ne changent pas ? »