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[Coronavirus] : « Beaucoup d’enfants n’ont pas du tout repris le chemin de l’école »

Continuité pédagogique, école à la maison, orientation subie, peur de reprendre l’école… La vice-présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, a détaillé, lors d’une visioconférence le 18 mai, les difficultés rencontrées par les familles en situation de pauvreté lors de la crise sanitaire actuelle.

Que signifie le terme de « continuité pédagogique » ? À l’occasion d’une visioconférence avec l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint et Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre, la vice-présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, a pu revenir sur cette expression qu’elle réfute, mais qui a été employée à de nombreuses reprises depuis le début du confinement.

« Quand on sait que 3 millions d’enfants et de jeunes sont dans une famille vivant sous le seuil de pauvreté, on peut difficilement parler de continuité pédagogique, car les enseignants n’ont pratiquement jamais parlé de pédagogie aux parents.  Avant cette crise, lorsque les enseignants rencontraient les parents, c’était pour parler de la manière dont l’enfant se tient dans la classe ou arrive à suivre les cours. Mais, jusqu’à présent, il n’y avait pas de dialogue comme cela entre les enseignants et les parents pour expliquer, en termes pédagogiques, ce qu’ils font de leur journée avec les enfants et les jeunes », a-t-elle expliqué.

Confiance dans l’école

Dès le début du confinement, les questions des parents en situation de pauvreté ont été nombreuses. « Ces familles croient beaucoup dans l’école, mais ont peur de mal faire avec leurs enfants, parce qu’on ne leur a jamais dit qu’elles en étaient capables. Elles nous ont dit : ‘Moi j’ai eu un parcours scolaire qui ne m’a pas donné de diplôme, est-ce que je ne vais pas mettre mon enfant sur une mauvaise voie en lui faisant faire les devoirs ?’ » Pour Marie-Aleth Grard, cette situation est désormais inquiétante. « Que vont devenir les enfants qui n’auront pas repris l’école avant juillet et qui la reprendront, nous espérons, en septembre ? Est-ce que ceux qui n’ont pas été suivis vont continuer à ne pas l’être ? »

Une autre question préoccupante est celle de l’orientation scolaire des élèves. « Avant cette crise sanitaire, déjà, il y avait beaucoup d’orientations scolaires non choisies pour les enfants des milieux les plus défavorisés. Il faut absolument que, dans le temps que nous vivons, il n’y ait pas d’orientation qui soit décidée trop rapidement, sans avoir pu être discutée avec les parents, les jeunes. Il faut beaucoup de dialogue », a expliqué Marie-Aleth Grard. Elle a ainsi indiqué que « notre système scolaire est particulièrement ségrégatif. Les enfants des milieux les plus défavorisés sont majoritairement orientés dès le plus jeune âge vers des filières spécialisées, qui ne leur permettent pas de se bâtir un avenir à égale dignité des autres jeunes, qui ne leur permettent pas de choisir leur orientation scolaire. »

Afin que plus aucune décision d’orientation scolaire ne soit prise pour cause de pauvreté, ATD Quart Monde mène l’expérimentation Cipes (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation) avec une vingtaine d’établissements scolaires en France, a rappelé la vice-présidente du Mouvement.

Une difficile reprise de l’école

La reprise de l’école depuis la fin du confinement constitue, en outre, un sujet de crainte pour de nombreuses familles. « Les directeurs d’école ont téléphoné aux familles les plus défavorisées sans avoir les modalités de cette reprise, elles ont eu très peur, car il y avait beaucoup d’informations contradictoires sur la dangerosité du virus pour les enfants. Leur réaction est justifiée, car elles sont nombreuses, du fait de leur vie en grande précarité depuis des années, à être porteuses de pathologies qui sont à risques avec le Covid-19, et craignent que les enfants ramènent le virus à la maison. »

Alors que la priorité semblait être mise sur une reprise de l’école des enfants de familles en situation de pauvreté, « beaucoup n’ont pas du tout repris le chemin de l’école dans de nombreux quartiers », a constaté Marie-Aleth Grard. « L’idée était généreuse, mais comme au début du confinement avec l’idée de continuité pédagogique, les professionnels n’y étaient pas du tout préparés, et cela n’a pas touché autant qu’on le souhaiterait, ces enfants. » Elle a cependant précisé que de nombreux enseignants avaient « fait des choses absolument formidables » pour rester en lien avec ces enfants, « se sont défoncés et continuent de se défoncer pour eux ».

Interrogée, pour finir, par Marie Toussaint sur un vœu à formuler pour bâtir le monde de demain, Marie-Aleth Grard a choisi de reprendre le titre d’un rapport présenté en 2003 au Conseil économique, social et environnemental, dont elle est membre : « L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous ». « Cela dépend de chacun de nous. Ce ne sont pas simplement des militants incroyables ou des politiquent qui décident, c’est chacun de nous, au quotidien, là où il peut agir, qui peut faire quelque chose pour que notre société soit enfin une société de l’égale dignité de tous », a-t-elle conclu.

Retrouvez la totalité du débat du 18 mai.