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Conférence « Droit au logement : droit individuel et action collective », organisée par le Serdeaut et la fondation Abbé Pierre

En ce mardi 5 mai 2015, j’ai assisté à une conférence sur le droit au logement, vu sous l’angle, à la fois du droit individuel, mais aussi en tant que droit qui pourrait faire l’objet d’actions collectives initiées par les associations de défense du droit au logement.

Un double constat s’impose. D’abord, le droit au logement opposable n’est pas effectif, son opposabilité est contestable et ne garantit pas de réel accès au logement[1]. Depuis 2007 un recours DALO (droit au logement opposable) a été ouvert aux mal-logés, permettant ainsi au juge de se saisir de la question. Lorsqu’il constate que le requérant, reconnu prioritaire par la commission DALO, n’a pas obtenu de logement adapté, il enjoint le préfet, sous astreinte, de lui attribuer un logement.

La fondation Abbé Pierre a relevé à l’heure actuelle 550 000 demandeurs de logement en Ile de France. Sur les 70 000 reconnus prioritaires par la commission DALO, il reste 44 000 ménages restant à reloger[2].

Si le mécanisme actuel ne garantit pas réellement le droit opposable au logement, il est ressorti des discussions que réduire la question à un simple problème d’urbanisme, de manque de logement, d’augmentation de la population, n’est pourtant pas pertinent. Rendre ce droit effectif relèverait également d’une politique d’État et de régulation du marché du logement – il est utile de mentionner ici l’existence de logements vacants. Une reconnaissance constitutionnelle de ce droit, au même titre que le droit à la propriété privée serait tout à fait souhaitable et permettrait une véritable politique de protection et de sécurité juridique autour de la question du domicile. Rappelons que le droit au logement en tant que tel est reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels mais que les juges suprêmes se refusent à considérer toutes les dispositions du pacte comme étant opposables devant les tribunaux. Par ailleurs, le juge ne bénéficie pas de suffisamment de moyens pour défendre le droit au logement. La France a récemment été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, le 9 avril 2015. En effet, l’absurdité du système d’astreinte par lequel les fonds ne sont pas versés au requérant mais retournent dans les caisses de l’État a été pointée par la Cour. Il est regrettable cependant que le fondement légal de la décision n’ait pas été le droit au logement, ce qui aurait eu pour effet de lui conférer une valeur supra-législative, mais a été le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme[3]. Plus simplement, cela signifie que la Cour européenne des droits de l’homme ne reproche pas à l’État français de n’avoir pas respecté le droit au logement mais de ne pas garantir l’effectivité d’un recours – le recours DALO- qu’il a lui-même mis en place.

Ouvrir la possibilité aux mal-logés d’intenter collectivement des recours contre les départements qui ne respectent pas leur obligation de fournir des logements décents aux personnes reconnues prioritaires par la commission DALO pourrait se présenter comme une réponse au manque d’effectivité du recours DALO. Plus largement, il ramènerait les collectivités et l’Etat dans la sphère de contrôle du juge. En effet, l’action collective mobilise les revendications face à une injustice et exerce une pression plus forte sur les pouvoirs publics alors qu’un citoyen isolé est bien souvent découragé face à la complexité des procédures judiciaires. Cette possibilité a déjà été ouverte pour les associations de défense des consommateurs agréées. Elles peuvent saisir le juge afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique à l’occasion de la vente d’un bien ou service[4]. Il est aisé de faire un lien avec le rôle des associations de défense des intérêts des mal-logés. Ces associations sont présentes tout au long de la procédure DALO, elles accompagnent les mal-logés dans la constitution de leur dossier, sont interrogées par les commissions DALO et sont un intermédiaire indispensable de vulgarisation du droit et des procédures[5]. Elles participent aussi au processus d’élaboration de la loi notamment par l’intermédiaire des comités de logement[6]. Pourtant elles ne bénéficient pas d’un statut spécifique leur permettant d’agir pour la défense des intérêts collectifs des mal-logés comme c’est le cas pour les associations de défense des consommateurs. Elles ne peuvent pas initier une procédure DALO, un recours en excès de pouvoir, ou un recours contre une décision de la commission DALO.

Le défenseur des droits de Buenos Aires, Horacio Corti, et son adjoint, Luis Duacastella, nous ont présenté leur action pour la défense du droit au logement des populations habitant dans la province de Mendoza. A la suite d’une décision de justice, l’État s’est vu contraint de nettoyer les eaux de la rivière de Mendoza. S’est alors posée la question du relogement des populations riveraines pour lesquelles rien n’était prévu, et la question de leurs conditions de vie dans les bidonvilles du sud de Buenos Aires. Le défenseur des droits, en Argentine, a comme particularité de pouvoir se saisir au nom de la défense collective des intérêts individuels de chaque personne lésée pour intenter une action devant le juge. Son rôle est comparable à celui du Ministère public en France qui peut initier l’action, mais il intervient ici sur le plan de la réparation civile et défend une collectivité d’individus ayant subi le même préjudice. Le défenseur des droits en France n’exerce pas les mêmes fonctions. Il formule principalement des recommandations et des avis à l’attention des pouvoirs publics. Horacio Corti et Luis Duacastella se sont saisis de la question et sont allés chercher les plaintes de tous les habitants riverains mal-logés, pour intenter une action en justice. Leur combat, à terme, se place sur trois niveaux. Celui de l’urbanisation des zones dans lesquelles il n’existe pratiquement pas de logement, et l’accès aux services publics dans les bidonvilles, mais également une urbanisation juridique, c’est à dire, la sécurité juridique dans l’accès au logement et enfin une répartition dans la ville des populations défavorisées. Dans cette conception du droit au logement effectif, les habitants ne sont plus des contribuables mais des citoyens et participent, par une réelle intégration territoriale, à la gestion démocratique de la ville.

Sur le plan idéologique, ce combat Argentin nous amène à envisager e droit au logement non pas seulement comme une obligation des collectivités territoriales de construire des logements mais également comme un droit à l’intégration et à la citoyenneté. Il fait intervenir d’autres branches du droit comme le droit de la consommation, le droit de l’urbanisme ou le droit de l’environnement. Par ailleurs, l’introduction dans le code pénal d’un nouveau critère de discrimination fondé sur le lieu de résidence peut-être une piste à explorer dans le combat pour l’intégration sociale de la ville.

Cela nous amène également à nous interroger sur la place, en Europe, du collectif dans le droit. Elle se pose aussi bien concernant l’exercice collectif  des droits que s’agissant du groupe en tant que sujet de droit. Il ne s’agit plus alors d’envisager le droit sous l’angle des libertés individuelles mais sous le prisme de la protection des droits de l’homme. Cette vision implique un rapport de droit qui n’est plus simplement dualiste, entre les individus et l’État, mais fait intervenir de nouveaux acteurs comme les syndicats ou les associations, au niveau local, national et européen. Il convient de repenser le système juridique et le rôle de l’État en tant qu’acteur d’une solidarité sociale pour qu’une transition s’opère, passant de l’exercice collectif du droit individuel au logement à l’existence d’un droit de la collectivité au logement.

 

Mathilde Brouzes

Secrétariat des Comités « Solidaires pour les droits »

 

 

[1]Mise en œuvre du droit au logement opposable, points sur les chiffres de l’année 2013, ministère de l’égalité des territoires et du logement, direction de l’habitat, du l’urbanisme et des paysages, 5 mars 2014

[2]L‘état du mal logement en France, 20e rapport annuel, Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, 2015

[3]CEDH., 9 avril 2015, Affaire Tchokontio Happi c. France , requête n°65829/12

[4]Loi n°2014-3144 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite « loi Hamon »

[5]V. Réseau Jurislogement et Dalila Abbar, Défendre les droits des occupants de terrain, La Découverte Guides, Paris, 2014

[6]V. le « Contrat social » de la Fondation Abbé Pierre, signé par quatre candidats aux élections présidentielles.