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Comment mesurer la pauvreté ? ATD Quart Monde lance une recherche internationale

ATD Quart Monde a lancé avec l’université d’Oxford une recherche participative sur de nouvelles mesures de la pauvreté qui durera trois ans et démarrera par un séminaire international à Villarceaux du 5 au 10 septembre 2016.
Mesurer la pauvreté, c’est aussi la comprendre, savoir agir contre elle et pouvoir mesurer les avancées de cette lutte.

C’est pourquoi on ne peut entreprendre une telle recherche sans les premiers concernés – les personnes les plus exclues sur tous les continents.
C’est la première fois qu’une telle réflexion sera menée avec la participation non seulement d’universitaires et de praticiens – enseignants, travailleurs sociaux -, mais aussi de personnes en situation de pauvreté, grâce à la méthodologie du Croisement des savoirs développée depuis 20 ans par ATD Quart Monde.

Les participants à cette recherche vivent dans sept pays : Bangladesh, Bolivie, États-Unis, France, Tanzanie, Royaume Uni et Ukraine.

Pour Xavier Godinot, coordinateur de cette recherche avec le professeur Robert Walker de l’Université d’Oxford, « le chiffre de 1,90 dollar par jour fixé censé mesurer la pauvreté ne prend en compte que la dimension monétaire. Or il en existe beaucoup d’autres – la honte, l’exclusion, l’absence de pouvoir politique… Les mesures les plus récentes, par exemple l’Indice de Pauvreté Multidimensionnelle du PNUD, représentent un réel progrès par rapport aux mesures unidimensionnelles. Cependant, leur validité conceptuelle est discutable. En effet, peu de données permettent d’évaluer l’importance relative des différentes dimensions de la pauvreté ou d’établir des relations entre elles. »

La recherche s’achèvera en juin 2019. Elle débouchera sur des propositions pour mesurer la pauvreté qui devront être travaillées avec des statisticiens pour définir de nouveaux indicateurs.

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L’économiste Amartya Sen a défini, dans les années 1980, la pauvreté comme un déficit de « capabilités de base » permettant d’atteindre certains niveaux de minimums acceptables, variables d’une société à une autre : être bien nourri et logé, prendre part à la vie de la communauté, pouvoir se montrer en public sans honte, etc.
En 1987, Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, a donné une définition similaire de la grande pauvreté : « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer des responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible. »
Cependant, alors que Sen et Wresinski insistent sur le caractère multidimensionnel de la pauvreté, les mesures officielles se basent, en France comme dans les autres pays, sur des indicateurs quantitatifs de la pauvreté centrés sur l’aspect monétaire :

  • les revenus : pour l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union européenne (UE), une famille est dite « pauvre » si son revenu se situe sous un seuil de pauvreté défini à 60 % du revenu médian de l’ensemble des ménages. En France, l’Insee mesure aussi le nombre de personnes dont le revenu est inférieur à 50 % du revenu médian – que l’on pourrait appeler seuil de grande pauvreté – et le nombre de celles dont le revenu est inférieur à 40 % – que l’on pourrait appeler seuil de très grande pauvreté.
  • l’accès à un panier de biens. Aux États-Unis et au Canada, la pauvreté n’est pas seulement définie de façon relative, mais aussi de façon absolue, en comptant le nombre de personnes qui ne peuvent pas s’offrir un « panier » de biens et services de base. Cette approche a ses avantages et ses inconvénients : il est difficile de définir ce panier et de déterminer comment le faire évoluer au fil des années. En France, l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) a défini en 2014 un tel panier en associant des personnes confrontées à la pauvreté : le « budget de référence » minimum serait ainsi de 1 424 € par mois pour une personne seule locataire en HLM.
  • les « conditions de vie ». Chaque année, l’Insee (de même que des indicateurs européens) mesure également la « pauvreté en conditions de vie » avec des indicateurs absolus comptant le nombre de personnes qui cumulent des difficultés ou privations dans quatre domaines : consommation, insuffisance de ressources, retards de paiement, difficultés de logement.En 2013, en France, le taux de pauvreté en conditions de vie était de 12,8 %.

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La question des relations entre les différentes dimensions de la pauvreté est elle aussi cruciale. Par exemple, dans le domaine de l’éducation, on sait maintenant qu’aux États-Unis, au moins 60% de la variance des résultats scolaires sont liés à des facteurs extrascolaires (1). C’est bien le signe que les conditions de vie ont un poids déterminant sur la réussite scolaire. En France, entre 8% et 10% du retard scolaire seraient liés au mal-logement (2). Pour faire reculer l’échec scolaire, il est plus efficace de lutter contre la pauvreté que de lutter seulement contre l’échec scolaire (3).

Lire aussi une interview de Xavier Godinot.