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Co-formation « Grande pauvreté, droits et pratiques professionnelles » : quand juges et militants croisent leurs savoirs

Une co-formation s’est tenue à l’École Nationale de la Magistrature de Paris du 12 au 15 novembre avec douze juges et cinq militants Quart Monde ayant ou ayant eu l’expérience de la grande pauvreté. Témoignage de trois participantes.

Anne Kiriakides est magistrat depuis 32 ans et juge des enfants depuis 15 ans. « Pendant les deux premières journées, explique-t-elle, je n’arrivais pas à comprendre ce que les militants exprimaient. À un moment, j’ai demandé : « Si je vous reçois dans mon bureau et que je vous dis que je suis à votre écoute, me croirez-vous ? » Ils m’ont répondu non. Je m’attendais à cette réponse, mais cela a été dur de se l’entendre dire en face. Car dans mon travail de juge, j’ai le sentiment de faire des efforts pour communiquer avec les personnes. Heureusement, les deux derniers jours, nous sommes parvenus à mieux nous comprendre. Cette formation m’a énormément intéressée. Elle devrait nous être proposée beaucoup plus tôt. Elle va changer mes pratiques. Par exemple, j’accepterai dorénavant plus facilement que des personnes soient accompagnées par un tiers, à condition que cela respecte leur liberté. Nous avons aussi travaillé sur l’accès des personnes à leur dossier. Il ne suffit pas de dire : « Vous pouvez consulter votre dossier. » On doit aussi prendre en compte l’effet paralysant que peut avoir la lecture d’un écrit qui peut être négatif et partiel. »
Laurence Blisson est juge d’application des peines depuis 2010. Elle statue sur les demandes d’aménagement des peines d’emprisonnement des personnes détenues et de personnes demeurées libres après leur jugement. Elle s’assure aussi que les personnes qui ont reçu diverses condamnations respectent les obligations auxquelles le juge les a soumises. « Ce qui m’a attiré dans cette formation, explique-t-elle, était l’idée de la compréhension mutuelle, de la rencontre, le fait que le savoir viendrait aussi des personnes en précarité elles-mêmes. Pendant la formation, notamment au début, j’ai trouvé à certains moments que nous, les magistrats, pouvions avoir tendance à dévaloriser trop vite la parole des militants en ayant l’impression qu’elle était simpliste et qu’elle ne décrivait pas notre réalité. J’ai trouvé riche de se confronter à cette parole violente, parce qu’en tant que juge, nous avons parfois une parole et des actes très violents, même lorsqu’on les veut bienveillants. Dans notre quotidien, nous ne pouvons jamais entendre cette parole. La question de la présence d’une tierce personne pendant les entretiens avec un juge m’a beaucoup interpellée. On me le demande parfois et je réponds souvent : « Ce n’est pas nécessaire, ne vous inquiétez pas. » Or, avec cette formation, j’ai mesuré tout le soutien que cela peut apporter, même quand ça ne me semble pas nécessaire. Souvent, les gens ont aussi le sentiment que tout est joué d’avance, qu’il ne sert à rien de parler au juge, que, par exemple, le placement de l’enfant a été décidé avant l’audience, à partir du dossier. Nos paroles qui se veulent réconfortantes sont parfois interprétées tout à fait à l’opposé. Comment alors mener l’entretien pour qu’il y ait une vraie confiance et une vraie communication ? »
Micheline Adobati faisait partie du groupe des militants. Elle accompagne souvent des familles devant le juge. « Il est souvent arrivé qu’on me refuse d’accompagner une personne à une audience. Lors de la formation, nous avons demandé la possibilité que les familles soient accompagnées par un « tiers taisant », présent à l’audience, mais sans droit à la parole ou seulement exceptionnellement. Son rôle est surtout, après l’audience, de bien faire le point avec la famille sur sa situation. Nous avons aussi proposé qu’un écrit signé par la famille puisse être joint au dossier. J’ai appris beaucoup de choses avec cette formation. Les gens ne savent pas toujours qu’ils peuvent avoir accès à leur dossier ou comment le faire, alors que c’est essentiel pour se défendre. Pourquoi les juges ne nous expliquent-ils pas tout cela dans leur bureau ? Cette formation me donne des armes pour mieux aider des personnes. Ça a démystifié à mes yeux le métier de juge. On se rend compte que l’on peut communiquer ensemble. Il faudrait que tous les participants à cette formation en parlent autour d’eux. »

Jean-Christophe Sarrot

→ À lire sur www.atd-quartmonde.fr : un compte-rendu de cette co-formation

Une cinquantaine de magistrats s’étaient inscrits mais il n’y avait que douze places. Cette formation sera reconduite en 2014.