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« Chaque portrait réveillait une envie de faire bouger les lignes »

Co-auteur du livre Déclics, sorti en juin aux Éditions Quart Monde, le dessinateur Damien Roudeau explique comment il a travaillé sur cet ouvrage et ce qu’il retient de ces parcours d’engagement.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur ce projet de livre avec ATD Quart Monde ?

ATD Quart Monde m’a contacté en octobre 2019. J’avais entendu parler du Mouvement via des collaborations avec plusieurs ONG ou associations, mais dès l’année 2000, ma prof d’illustration à l’École Estienne, Marie-Michèle Poncet, sculptrice et ancienne bonne sœur, m’avait proposé d’y faire un stage. Foncièrement athée, je pensais alors qu’ATD Quart Monde  avait une dimension religieuse, donc je me suis méfié et j’ai préféré participer à un atelier de lithographie ! Mais elle faisait venir tous les ans devant les étudiants un travailleur social, également prêtre dominicain, Pedro Meca. Nous sommes devenus proches, j’ai découvert son association, Les compagnons de la nuit, et surtout leur local, la Moquette, juste à coté du Panthéon à Paris, qui accueille tout le monde jusqu’au dernier métro. J’y ai fait mon premier reportage dessiné, j’avais 20 ans, je voulais comprendre ce que signifiait « s’insérer » dans la société…

Comment avez-vous travaillé pour ce livre ?

Nous avions une règle : le temps du témoignage était celui du dessin. Donc, je posais mon crayon au bout de 45 minutes environ, après avoir fait plusieurs portraits de la personne interviewée. Nous avons un peu triché, parce que j’ai repris ensuite les dessins au lavis pour apporter des nuances et quatre portraits n’ont pas été réalisés en direct, parce qu’il était impossible de rencontrer les personnes, notamment Virginie qui est à New York. Mais quand je ne pouvais pas être présent, nous faisions quand même des vidéos au cours de l’entretien pour que je vois les personnes en mouvement. Chaque personne a pu valider son dessin. D’habitude, je recueille le témoignage, j’enregistre ou je prends note de ce qui s’est dit juste après avoir fait le portrait. Là, c’était très confortable d’être deux, j’avais juste à dessiner.

Qu’apporte le dessin pour illustrer les portraits écrits ?

Nous aurions pu mettre des photos, mais le dessin bénéficie de cette aura : il demeurerait un moyen plus doux d’accéder à l’autre. Même si je suis persuadé qu’on peut être extrêmement empathique avec une caméra ou un appareil photo, à partir du moment où la relation de confiance est établie. Dessiner dans le bidonville de Calais, avec des compagnons d’Emmaüs ou des hommes à la rue, que tu sois « à poil », juste avec un crayon et un papier, cela fait sens, face à des gens qui se mettent réellement à nu pour te parler. Dans Déclics, les personnes nous ont confié leur parcours de militantisme, d’engagement, comment ils avaient parfois pris des coups, qu’ils soient choisis ou subis. Devant ce reflet un peu cabossé, on peut avoir peur de la photographie, le dessin peut parfois permettre un autre échange.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces 15 entretiens ?

Chaque entretien était très riche, souvent émouvant. Je garde un souvenir fort de la rencontre avec Guendouz, parce qu’il est peintre et que l’entretien s’est déroulé dans son atelier. Ses réflexions sur le sens de la peinture, ses questions sur le sens de la vie, me parlaient beaucoup. Mais chaque parcours était très éclairant : le témoignage d’Alain m’a aussi beaucoup marqué, le fait de réfléchir sur sa pratique professionnelle, en tant que professeur. Chaque fois que je sortais de l’un de ces entretiens, cela me remotivait, entretenait une flamme de colère ou réveillait une envie de faire un peu bouger les lignes.

Qu’est ce qui, pour vous, caractérise les différents parcours d’engagement présentés ?

On voit que l’engagement, c’est souvent d’abordune colère face à des injustices. Et ce qui est assez beau dans tous ces parcours, c’est que ces 15 personnes ont vu qu’il ne suffisait pas de se mettre en colère, mais qu’à un moment il fallait se mettre en mouvement et agir. Elles ont vu qu’ATD Quart Monde pouvait donner un cadre, des actions concrètes comme les Bibliothèques de rue, un panel d’actions très large, se nourrissant d’échanges entre militants, alliés, volontaires…Le Mouvement a créé ces catégories, tout en laissant les frontières poreuses, parce qu’il n’y a pas d’ « eux » et de « nous ». Nous avons tous à apprendre, partager et proposer.

 

Biographie

Spécialisé dans le documentaire dessiné, Damien Roudeau publie en 2005 un carnet de reportage dans une communauté Emmaüs, De bric et de broc : Un an avec les compagnons du partage. Il se consacre depuis à témoigner, par le croquis, d’univers en autarcie, groupes de vie, de travail ou de militantisme. Il a notamment publié Brest à quai, carnet de 140 portraits de travailleurs du port, avec Nicolas le Roy (2015), Bienvenue à Calais, témoignages du bidonville de la jungle, avec Marie-Françoise Colombani (2016), Texaco, récit en bande dessinée de la plus grande pollution pétrolière de l’histoire, avec Sophie Tardy-Joubert (2019), L’Eau vive, un combat écologique aux sources de la Loire, avec Alain Bujak (2020).

 

Retrouvez le livre Déclics sur le site des Éditions Quart Monde

 

Photo : Damien Roudeau lors de l’entretien avec Agathe en janvier dernier. ©GR, ATD Quart Monde