
Changer le regard sur la misère au collège et au lycée
En Île-de-France, des membres d’ATD Quart Monde se déplacent dans des établissements à la demande d’enseignants, de documentalistes, d’assistantes sociales. Afin d’échanger avec les jeunes, les faire réagir sur la pauvreté, mais aussi écouter leur expérience.
C’est un moment où, dans la salle de classe, tous les repères sont chamboulés. On pousse les tables. Tous les élèves sont invités à s’exprimer. Et leur parole a autant de valeur que celle de leur professeur. «En général, la demande de l’établissement est que nous présentions ATD Quart Monde. Mais nous arrivons avec des outils pédagogiques, un livret de jeu (lire encadré). L’idée est de traiter des discriminations avec les jeunes, puis, à travers l’expérience qu’ils vivent, leur présenter ATD Quart Monde» résume Isabelle Furnon, 27 ans, qui a participé à plusieurs interventions depuis la rentrée 2014. «Nous leur disons que l’on a besoin d’eux. En fin d’intervention, nous leur demandons un debriefing écrit : on prend leurs écrits au sérieux», souligne Julien Millot, 22 ans, qui participe à l’aventure depuis septembre. «Nous adaptons les interventions au contexte, résume-t-il. Il s’agit de toucher les jeunes là où ils en sont, dans leur vécu, et non pas d’évoquer des choses lointaines comme l’engagement ou ce qu’ils devraient faire… Quand nous sommes intervenus dans un lycée professionnel, nous avons parlé des préjugés sur ces lycées».
Les 31 interventions réalisées la dernière année scolaire pourraient être dépassées en 2014-2015. «L’an dernier, nous avions déjà multiplié par deux leur nombre par rapport à l’année précédente », note Claudie Gerschel, qui pilote, avec Anjali Khote et Michel Perrin, le «Groupe Ecole» au sein de l’équipe francilienne. Les interventions durent le plus souvent une heure à une heure et demie et ont lieu dans des établissements publics ou privés, en collège, en lycée, dans des institutions comme les Apprentis d’Auteuil ou même dans l’enseignement adapté. Évolution récente : des interventions ont eu lieu dans deux établissements formant des travailleurs sociaux, auprès d’élèves post-bac. Pour Claudie, «c’est un peu exponentiel : on a fidélisé des gens et de nouveaux établissements nous ont sollicités. On s’est structuré. Il y a désormais toujours au moins un retraité bénévole et un jeune volontaire permanent. Plusieurs fois depuis, j’ai entendu des remarques d’élèves : ATD Quart Monde, c’est bien, c’est intergénérationnel».
Qu’ont en commun ces interventions ? Tordre le cou aux idées reçues… mais aussi au fatalisme. « A l’EREA (établissement régional d’enseignement adapté), une élève en échec a dit : «on n’est pas des ratés, si on veut un jour, on peut avoir un déclic et s’en sortir», se rappelle Isabelle. Autre souvenir fort pour Julien : «une jeune fille en lycée professionnel qui est venue nous voir à la fin de l’intervention : on sentait que cela l’avait touchée que l’on amène un cadre permettant d’exprimer ce qu’elle vivait». Donner un cadre… et en malmener d’autres. Comme pour cette enseignante qui, au sortir d’un jeu, s’est exclamée : «en fait, j’avais plein de préjugés !».
Marie Bidault
Outils et méthode
Les intervenants utilisent les outils pédagogiques produits par ATD Quart Monde (en bas de cette page) ainsi que des extraits du film «Joseph Wresinski, 50 ans de combat contre la misère»(1). Parmi les jeux pour susciter l’échange, «La rivière du doute» : les élèves et leur professeur se positionnent dans différentes zones de la salle selon qu’ils sont d’accord, pas d’accord ou dans le doute au sujet de la phrase lancée par l’animateur – «Les pauvres ne paient pas d’impôts ?», «Les pauvres sont des fraudeurs ?»… « On prend position physiquement, on se confronte au fait que son pote n’est pas du même avis, explique une intervenante. On nous a dit : c’est la première fois que l’on peut discuter, entendre d’autres opinions». Il y a aussi la manière de faire : «nous souhaitons faire parler le jeune le plus en retrait, construire un savoir commun, vivre quelque chose ensemble… Des professeurs nous ont dit avoir essayé d’utiliser seuls ces outils et que c’était difficile».
Photo : Dans une école du Morbihan en 2010 (F. Phliponeau)