
« Ce que le corps nous dit, ce que la culture nous donne » (compte-rendu de la rencontre 2009 du réseau Culture)
SOMMAIRE
I. Introduction 3
Déroulement de la journée
Présentation des intervenants: Sylvain Groud et Denis Lucas 4
Marie-Thérèse Esneault 4
II. Danser à l’hôpital :
Par Sylvain Groud et Denis Lucas 6
III. Un atelier d’odeurs en prison 8
Par Marie-Thérèse Esneault
IV. Les ateliers de l’après-midi (résumé et décryptage): 10
1 – Atelier des odeurs 10
2 – Atelier chant 11
3 – Atelier danse 15
4 – Arts Peinture 17
5 – Atelier Théâtre 25
V. Annexes 30
Qu’est-ce qu’un réseau Wresinski du mouvement ATD Quart Monde 30
Lexique 32
Liste des participants à la rencontre 34
I. INTRODUCTION
La huitième rencontre nationale du réseau Wresinski culture a pris pour thème de réflexion :
Ce que le corps nous dit,
Ce que la culture nous donne
Deux interventions dans la matinée ont illustré ce thème:
– Sylvain Groud, danseur en résidence au CHU de Rouen et Denis Lucas, administrateur en charge de la culture à l’hôpital.
– Marie-Thérèse Esneault, musicologue et aromacologue qui a travaillé pendant plus de vingt ans en prison à Fresnes et Fleury-Mérogis
Anne de Margerie remercie Sylvie Gonzales, directrice du musée d’art et d’histoire de Saint-Denis et Catherine Russac, chargée de l’accueil du public ainsi que tous ceux et celles qui ont aidé à organiser cette journée:
« C’est en écoutant les enregistrements de la rencontre de réseau de l’année dernière que j’ai été frappée par l’importance du rôle joué par le corps dans les pratiques artistiques créatrices de lien. Et en cherchant un thème sur lequel travailler, réfléchir et échanger cette année, l’idée du corps s’est imposée d’elle-même et plus j’y réfléchissais, plus je m’apercevais que ce thème était d’une très grande richesse.
Première évidence : depuis les corps décorés des civilisations d’Afrique, de Nouvelle- Guinée, du Brésil, du japon, aux quatre coins du monde jusqu’à nos civilisations occidentales, les corps sont comme le miroir d’une société, dans ses contradictions, ses aspirations, ses fonctionnements et ses dysfonctionnements.
Deuxième évidence : en l’espace de quelques années nous sommes passés du corps occulté à un corps dévoilé et glorifié. Les deux coexistent largement, des femmes afghanes entièrement cachées par leur burka aux starlettes qui posent quasi nues sur la Croisette pour se faire remarquer pendant le Festival de Cannes ; alors qu’il n’y a pas si longtemps, les femmes qui osaient mettre les pieds dans l’eau à la plage le faisaient dans des maillots de bain qui ne dévoilaient pas grand-chose de leur corps. Mais ce passage ne s’est pas accompagné de tous les autres changements qu’il aurait pu entraîner. De nouvelles responsabilités sont apparues, dans tous les domaines, de la bioéthique à la filiation, de la sexualité à l’euthanasie. Car ce n’est pas parce qu’on dévoile un corps que l’on résout tous les problèmes qu’il suscite depuis longtemps. Le corps surexposé aujourd’hui doit être sans ride, sans aspérités, lisse. Et ce dévoilement, cette exposition du corps en dit long sur les refoulements d’une société, la nôtre, il est générateur de violence : violence de ceux qui se sentent exclus par la maladie, la pauvreté, la différence. Violence des psychologies, on le voit aux symptômes dépressifs surtout chez les jeunes. Violence d’un réel qui impose sa nécessité et ses contraintes : ce n’est pas en interdisant de vieillir qu’on évitera l’usure et la mort. A un moment ou à un autre, le réel reprend ses droits et les revendique avec d’autant plus de vigueur qu’on les a niés.
La violence du réel, c’est également celle que vivent les plus pauvres. En 1965, J. Wresinski s’adressant à un groupe d’esthéticiennes exposait ce qu’il pouvait observer dans une cité d’urgence ou dans un bidonville : « La jeunesse, l’épanouissement, vous ne les retrouverez déjà plus sur les visages de mamans de 22, 23 ans. La physionomie est mutilée, le visage marqué par les coups reçus puisque le monde de la misère est un monde de violence…. Ce que vous remarquerez le plus, peut-être ce sont les excès : excès de maigreur ou d’obésité, visages émaciés ou étrangement enflés, boursouflés. » Comme vous pouvez le constater, il ne tournait pas autour de ce qu’il avait à dire, il le disait fortement !
On n’aura pas assez d’une journée pour étudier toutes les problématiques soulevées par le thème d’aujourd’hui. Mais on pourra tenter d’écouter les langages du corps, des cinq sens pour se découvrir, découvrir les autres au-delà de la peur, face à la violence créée par les situations de pauvreté. Et voir sans doute que les pratiques culturelles nous donnent une identité réparée, des capacités révélées pour un mieux vivre ensemble.
Nous allons écouter d’abord nos invités Sylvain Groud et Marie-Thérèse Esneault, puis en petits groupes cet après-midi, nous échangerons sur les initiatives qui placent les pratiques culturelles et artistiques au cœur de la lutte contre la misère et nous tenterons de voir les changements et les ouvertures qui en découlent. »
Déroulement de la journée
Chaque intervention sera précédée d’un film très court. Entre les deux, une courte pause-café. Puis nous déjeunerons dans le hall où un buffet vous attendra.
Après notre déjeuner, Sylvain nous réunira dans cette salle pour nous mettre en mouvement.
Après quoi nous partirons par petits groupes dans différentes salles du musée. Il y a 5 groupes. Chaque groupe a une couleur et un animateur.
A 4h ½ on se retrouvera pour prendre un café ou un thé dans le hall et on se réunira à nouveau dans cette salle pour une mise en commun de ce qui s’est échangé dans les différents groupes.
Présentation des intervenants:
Sylvain Groud et Denis Lucas
En 2002, celui qui fut pendant dix ans l’un des danseurs phares du ballet Prejlocaj, veut présenter son propre travail chorégraphique.
Il s’installe dans la région Haute-Normandie et commence un parcours prolifique avec 14 créations en cinq ans.
En 2006 l’Opéra de Rouen lui donne carte blanche et c’est en 2007 qu’il attire l’attention avec la pièce « ….si vous voulez bien me suivre ». Fruit d’une résidence d’un an au CHU de Rouen, elle illustre à la fois la sensibilité à fleur de peau du chorégraphe et sa foi inébranlable dans l’humain.
Illustrant le corps à corps entre danse et souffrance, Sylvain G. a frotté sa pratique chorégraphique à la réalité quotidienne du CHU de Rouen sous la houlette de la mission « culture à l’hôpital » pilotée par Denis Lucas.
C’est en 2008, au festival de “Mens Alors” qu’il fait la démonstration magistrale et bouleversante avec des danseurs handicapés moteurs sans compassion ni pathos, que la danse est autre chose que performance physique et technique.
Sylvain Groud et Denis Lucas témoigneront de l’émergence de la danse là où on ne l’attend pas mais à l’endroit exact où elle donne tout son sens au mouvement.
Marie-Thérèse Esneault
Marie-Thérèse Esneault a travaillé dans les prisons de Fresnes et Fleury durant vingt trois ans comme musicothérapeute et aromacologue. Ensuite elle a œuvré avec les personnes à la rue dans le cadre de l’association Emmaüs.
En retraite, elle partage ses expériences des nombreuses thérapies utilisées en milieu carcéral et celui du monde de la rue.
Son objectif actuel est celui de la transmission auprès des plus pauvres.
De son livre « Les murs et les rues ont des oreilles » deux chapitres traitent, d’après elle, plus particulièrement du sujet de nos rencontres:
– un corps pour parler,
– l’art, un pain nécessaire.
Elle témoignera au travers d’exemples, ouvrant de nombreuses pistes, de sa méthodologie qui révèle la beauté, l’écoute, le temps, les activités manuelles ou sensorielles, le dialogue verbal ou non-verbal pour découvrir ses manques, son corps, ses sens, ses peurs, ses capacités, les autres.
II. DANSER A L’HOPITAL
Sylvain Groud et Denis Lucas
Résumé de l’intervention
Sylvain Groud nous donne d’abord trois axes de réflexion qui ont irrigué son action et celle de ses danseurs:
1. Ne pas séparer le corps de l’esprit
2. Mener à l’hôpital une action d’excellence
3. Le faire avec la pleine reconnaissance de l’institution. Reconnaissance sans
laquelle tout travail est impossible.
Denis Lucas expose alors en quoi consiste ce travail de danse à l’hôpital et les conditions de sa mise en place.
Depuis 4 ans, la troupe de danseurs de Sylvain Groud a entrepris une action en partenariat avec le CHU de Rouen, à la demande de Denis Lucas, désireux de mettre en place des projets culturels destinés à humaniser la vie des patients à l’hôpital.
Il précise d’emblée que le rôle de médiateur entre l’hôpital et le monde extérieur est difficile et compliqué. L’hôpital se déshumanise. Les temps d’hospitalisation sont de plus en plus courts. Le personnel est toujours au taquet et pris dans une logique de technicité. La culture, elle, permet de remettre de l’humain et du sensible là où les gens sont considérés comme des objets.
Sylvain: le fait d’intervenir et d’être pérennisé peut être violent. Car mener ce type d’action auprès de services débordés entraîne au début un rejet. Or l’artiste n’est pas préparé à être rejeté.
La performance c’est de faire venir la danse in situ. Le danseur a comme seul lien le corps de l’autre et il va improviser face au soigné et proposer un échange autour du corps.
Denis: Pour réussir il faut partir du territoire, initier des passerelles. Cela nécessite un temps d’immersion pour prendre en compte la complexité de l’action. L’identité est au centre du questionnement. Le danseur face à l’hospitalisé cela suppose un lâcher prise. L’artiste est un individu face à d’autres individus et sa présence va remettre du sensible dans la relation soignant-soigné. Dans les ateliers par exemple autour de la mémoire, l’action s’intitule « Si vous voulez bien me croire ». Au départ la première phase c’est l’observation, l’immersion dans le service. Puis vient le temps du don: les danseurs dansent des pièces écrites au restaurant administratif, en gériatrie, auprès des malades du sida ou des anorexiques.
Au cours de temps dansés dans les chambres, ils interrogent l’énergie, la circulation, le temps proposé aux soignants Ce temps a un prolongement pour s’interroger sur des gestes professionnels: lever un corps, passer du fauteuil au lit. Sylvain propose de les humaniser, de reconnecter l’état du corps dans lequel on est. L’hôpital réduit le malade à une catégorie définie par l’organe ou le nom de la maladie, « le rein », « la leucémie ». Les malades sont “déguisés en rien ».
C’est la négation de l’affectif, la mise à distance du sensible. On observe alors une modification des façons de faire, une autre forme d’appréhension du corps de l’autre.
Cette reconnaissance du corps de l’autre permet de mieux se connaître soi, et offre une recherche du sens de ce qui doit se vivre dans le groupe; à la différence de l’art thérapie qui suppose une prescription médicale et par lequel il y a une certaine instrumentalisation du projet art et culture, sans grande distinction entre animation et divertissement.
Ce qui est bien différent du fait d’une pratique artistique qui part du territoire, se nourrit du réel pour le transformer et permet à ceux qui le vivent de prendre de la distance avec leur vécu. L’artiste est alors vu comme un outil de modification possible. Il relie.
A une question de la salle: « l’art créé du trouble, du déplacement et permet d’évoluer; mais comment évitez-vous l’instrumentalisation? »
Sylvain répond qu’il est protégé par la rigueur professionnelle. « Je dois être au clair avec mes outils, mon corps, mais pour moi la question c’est le corps: le corps oui, mais au service de quoi? Comment aller vers les malades? »
Autre question: « le corps c’est l’intime. Est-ce que cela devrait l’être moins? »
Sylvain: « Il y a une réponse différente pour chacun. Il faut d’abord s’affranchir du « il faudrait » car il arrive que la plus grande pauvreté se rencontre chez les riches (le médecin, le chef de service) qui considèrent le corps comme rien. Est-ce que le groupe fabrique l’individu ou l’inverse? »
Intervention de la salle: « le terme outil que vous utilisez mériterait une clarification, votre corps n’est un outil que par rapport à votre art. Quant à l’objectif, inviter l’autre à partager sa relation avec le personnel, c’est dans le partenariat qu’il se joue. »
Sylvain rebondit et conclue: « le projet est réussi quand il y a un référent qui a compris comment continuer.
Pour plus amples informations aller sur le site: www.compagniesylvaingroud
III. UN ATELIER D’ODEURS EN PRISON
Des odeurs pour guérir
Marie-Thérèse Esneault
1- Genèse de l’expérience
Professeur de musique dans un collège, Marie-Thérèse Esneault avait remarqué déjà que la musique devenait un moyen d’expression pour ceux qui n’en n’avaient pas.
C’est en 1983 qu’elle est amenée à faire de la musique en milieu carcéral, à Fleury- Mérogis, puis à Fresnes au service de psychiatrie ( auprès de toxicomanes).
En dix ans de musicothérapie à l’hôpital de Fresnes, elle nous confie qu’elle tout appris à l’école des détenus . Même les surveillants « sniffaient » aussi car cela les détendaient beaucoup.
Rapidement elle fait le lien entre permettre la parole à travers la musique, puis par le biais des odeurs. « Je suis devenue aromacologue c’est à dire « passeur de sens » (titre de la vidéo projetée durant l’intervention). Cet intérêt pour les odeurs s’est fait à la demande des patients incarcérés et privés de toute odeur vivante. « Ce n’est que progressivement que j’ai mis en place cette thérapie et que j’en ai noté les bienfaits. »
Ce n’est sans doute pas un hasard si l’association des sons et des odeurs ont un lien étroit.
La création d’un parfum ressemble à une composition musicale. On parle aussi des « vibrations » des parfums. On cherche « l’harmonie » qui créera l’émotion.
2- Fonctionnement du système olfactif
Alors que la vision renseigne sur l’apparence des choses, l’odorat livre quelque chose de leur substance intime. Il est relié au cerveau archaïque et au cerveau émotionnel.
C’est probablement la raison pour laquelle l’odorat est relativement ignoré, méprisé, comme un tabou. Il a avoir avec notre côté animal. D’ailleurs Freud, dès 1897, révèle une conception plutôt négative de l’odorat comme un trait archaïque et néfaste relevant de l’analité. Et pourtant l’odorat occupe un rôle essentiel dans les relations mère-enfant. C’est le premier sens qui s’ouvre dans le ventre de la mère et donne accès à tous les autres sens. Chacun se souvient de l’odeur de sa mère, voire du liquide amniotique dans lequel il a bercé.
Plus tard ces odeurs joueront parfois un rôle de « doudou, » comme un objet transitionnel. Il suffira parfois de se retrouver dans un environnement où telle odeur a été mise en mémoire, pour que son évocation rappelle la scène toute entière.
Notre compréhension consciente , par contre, se détourne du souvenir ; ce qu’on nomme refoulement.
3- Effet des odeurs
Elles permettent de créer un espace intérieur (où l’on peut accueillir quelque chose).
Elles permettent la redécouverte d’un imaginaire parfois éteint.
Les odeurs les plus demandées sont la mer (comparable au liquide amniotique), celle du lait et de la vanille (la mère), celle de la rose (l’amour). Elles ouvrent « les archives de notre enfance », « la caverne d’Ali Baba de la vie ».
Jamais une personne ne s’est tue avec une odeur. C’est un matériau de liberté offert aux psychothérapeutes.
Elles provoquent un plaisir, « Sniffer » (pour les toxicomanes) redevient permis, car cela fait du bien, des sensations fortes et des émotions vives, qui échappent au mental. Elles font alors jaillir la parole sous forme d’histoires, parlées ou écrites.
Elles redonnent de l’énergie (chaleur au niveau du plexus solaire).
Lors de grandes souffrances, des patients ou des détenus collent les mouillettes imbibées d’odeur sur l’oreiller et cela soulage leur solitude.
Conclusion
Le travail avec les odeurs s’est construit de manière artisanale. Passer de l’odeur au sons, au toucher, au regard permet de donner corps aux expériences qui ont fondé la personnalité de chaque être humain.
De l’acte de sentir à la pensée, du sensible à l’intelligible, l’histoire personnelle resurgit comme une médiation et développe une relation nouvelle et constructive.
Bibliographie
Coauteur avec Michel Gaulier de Odeurs prisonnières , éditions Quintessence, 2001
Les parfums de la liberté, éditions de l’Atelier, 2005
Les murs et les rues ont des oreilles, éditions Quintessence, 2008
IV. LES ATELIERS DE L’APRES-MIDI
Ils étaient au nombre de 5 et sont présentés ci-dessous. Ils sont d’abord en résumé suivis, quand cela a été possible, du décryptage complet.
1- Atelier odeurs animé par Marie-Thérèse Esneault
Participaient à l’atelier : Emmanuelle Aupècle, Bella Berdugo, Noldi Christen, Françoise Dahmane, Alice de Margerie, Gabrielle Esnault, Elisabeth Le Jan, Denis Lucas, Catherine Nasser, Joëlle Rousset.
Résumé
Marie-Thérèse Esneault explique que la prise de risque que suppose ce travail et cet engagement n’a été possible qu’après une longue expérience du milieu carcéral, et grâce à sa maturité personnelle.
La relation avec des toxicomanes doit être claire, elle impose des limites, de la rigueur et un cadre précis, mais il reste indispensable de garder une certaine souplesse ; par exemple faire une « séance d’odeurs » a été possible dans le métro auprès d’une personne vivant à la rue.
« C’est un accompagnement, mais je ne sais pas où j’emmène la personne. »
Le thérapeute est un passeur. Dans l‘accompagnement, on entend aussi l’aide à « partir ».
La prise de risque consiste aussi à être à l’écoute de l’autre et de se laisser emmener vers l’inconnu.
Marie-Thérèse insiste sur le travail en équipe et enfin sur un travail indispensable sur soi-même. En prison le thérapeute ne choisit pas ses patients et ne connaît pas non plus leurs crimes ou délits. Travaillant à l’origine sur la musique, elle peut aussi intervenir avec des muets et des aveugles.
Il existe une méfiance de la part des détenus vis-à-vis des thérapeutes, souvent due aux enquêtes qu’ils ont eu à subir. En leur faisant entendre de la musique ou sentir des odeurs, cela libère leur parole et parfois l’écriture. Mais parfois ils sont si démunis que Marie-Thérèse Esneault parle en leur nom.
Au cours de l’atelier les 11 participants ont été invités à choisir une odeur qui faisait sens pour eux dans le « menu du restaurant des odeurs ».
Une musique d’ambiance accompagnait la recherche intérieure, la quête de souvenirs, d’enfance souvent.
Après un temps d’imprégnation pour chacun, des souvenirs remontent à la mémoire, le plus souvent des événements heureux, mais aussi des cas de souvenirs tragiques, Marie-Thérèse parvient à relever une chose positive dans une séance à laquelle la personne peut se raccrocher.
Elle précise qu’aujourd’hui on enferme les gens et on les bourre de médicaments. Elle nous invite à rendre visite à des malades ou des exclus en leur apportant un objet ou un aliment odorant.
Décryptage
MTE propose dans un premier temps de partager les réactions liées à son travail filmé en prison à Fresnes et d’apporter des précisions à son exposé du matin.
Dans un deuxième temps, elle invitera chacun des 11 participants à vivre lui-même concrètement l’expérience de son « restaurant des odeurs », méthode qu’elle a pratiquée pendant 23 ans en prison.
MTE apporte une précision : la prise de risques que suppose ce travail et cet engagement n’ont été possibles qu’après une longue expérience du milieu carcéral ; également grâce à sa maturité personnelle (« on ne fait pas la même chose à 40 ans qu’à 65 ans »)
Dans une prison le cadre est très précis du fait de la dangerosité de certains détenus. La maladie mentale est aussi une dimension présente dans ces lieux. Il y a donc une limite possible à ce travail (par exemple pour des personnes relevant d’abord d’un traitement médicamenteux.)
La relation avec des toxicomanes doit être claire. MTE refuse de donner ou de faire passer quoi que ce soit. Tout ceci impose beaucoup de limites, de rigueur et de cadre. Mais garder une certaine souplesse d’adaptation aux situations reste indispensable ; par exemple faire une « séance d’odeurs » a été possible dans le métro (voir ci-dessus).
Il faut aussi savoir accepter l’absence de régularité (personnes de passage).
Il s’agit de savoir saisir le déclic là où il éclot et bien sûr d’aller vers ces personnes à la rue qui restent en retrait.
« C’est un accompagnement mais je ne sais pas où j’emmène la personne «
Le thérapeute est un passeur. Dans l’accompagnement, on entend aussi l’aide à « partir ».
La prise de risque consiste aussi à être à l’écoute de l’autre et à se laisser emmener vers l’inconnu. La thérapie peut aussi être envisagée sous forme de sortie si cela concorde avec une problématique de la personne (par ex avec un alcoolique aller au cinéma voir un film sur ce sujet).
MTE insiste sur le travail en équipe et enfin sur un travail indispensable sur soi-même. En prison le thérapeute ne choisit pas ses patients et ne connaît pas non plus leurs crimes ou délits.
Travaillant à l’origine sur la musique avant les odeurs, MTE peut aussi intervenir avec des muets ou des aveugles.
Il existe une méfiance de la part des détenus vis à vis des thérapeutes, souvent due aux enquêtes qu’ils ont eu à subir. Souvent ils la connaissent uniquement sous son prénom et sans « casquette ».
Leur faire entendre de la musique ou sentir des odeurs libère la parole et parfois même l’écriture.
Les 11 participants à l’atelier sont maintenant invités à venir choisir une odeur
une odeur qui fait sens pour eux, dans le « menu du restaurant des odeurs ».
MTE recueille quelques gouttes d’un flacon sur une languette de papier parmi multiples petites bouteilles rangées dans une boîte à tiroirs. Une musique d’ambiance accompagne la recherche intérieure, la pêche aux souvenirs (d’enfance souvent) de chacun.
Ainsi MTH a reconstitué les conditions offertes aux détenus dans une cellule spécialement aménagée pour cette thérapie. Les odeurs sont parfois plus ou moins fidèles aux souvenirs olfactifs. Parmi celles qui ont été choisies, on peut citer l’odeur de l’herbe coupée, de la forêt, l’odeur du lait (très souvent demandée), celle de la cire.
Après un temps d’imprégnation pour chacun, des souvenirs remontent à la mémoire, la plupart du temps des événements heureux : odeurs de desserts cuisinés (cannelle, riz au lait), de nature (mimosa, forêt, mousse, tilleul, rivière. Le souvenir se développe en sensations ou en émotions (chaleur, bien-être). Nous sommes tous à égalité dans cette expérience. Lorsque des souvenirs tragiques reviennent (ex. suicides par noyade dans une rivière ou sauvetages), même dans ces moments difficiles MTE arrive toujours à relever une chose positive dans une séance, avec laquelle la personne va pouvoir repartir et s’y raccrocher dans des moments de découragement.
Une dernière précision : il faut bien différencier l’odeur qui est pure, essentielle du parfum composé d’un mélange et qui comporte une dimension de séduction, un rapport à la sexualité ou aux fantasmes.
MTE nous fait remarquer que ne sachant rien de nous en début de séance, elle peut maintenant nous distinguer à travers nos histoires d’odeurs.
A l’issue d’une projection courte, MTE nous explique que son poste va être supprimé. Aujourd’hui on enferme les gens et on les bourre de médicaments.
MTE, toujours positive, nous invite, forts de cette expérience à visiter des malades, des exclus, en leur apportant un objet ou un aliment odorant plutôt que des fleurs et tout devient simple.
N.B. La confection des odeurs (dans un laboratoire du sud de la France) reste coûteuse.
Nous repartons riches de cette expérience sur des territoires oubliés.
2. Atelier chant animé par Brigitte Bourcier
Participaient à l’atelier : Valérie Brunner, Nadia Choukroun, Gustave Depincé, Maxence Faivre d’Arcier, Anne-Marie Lallement, Perrine Levasseur, Corine Michineau, Soazig de la Moissonière, Caroline Oger, Dominique de Saint-Gérand, Manuela Saudrais.
Résumé
Un chef de Chœur, Jean-Paul Baget et une volontaire permanente d’ATD Quart Monde, Brigitte Bourcier ont créé un atelier chant réunissant des personnes en situation de grande pauvreté, d’autres qui ne vivaient pas dans la misère, des jeunes d’une autre chorale, des volontaires permanents. Pendant dix ans, ils ont chanté ensemble en travaillant sur la voix et sur le corps pour permettre à chacun de découvrir et partager la joie de chanter ensemble.
Les conditions de la réussite et les différentes étapes de cet atelier se retrouvent dans deux DVD publiés par les éditions Quart Monde.
Au cours de l’atelier plusieurs intervenants ont fait part de leurs expériences, atelier d’écriture à Paris dans le 18ème arrondissement, atelier danse en région parisienne et tous mettent en évidence les bienfaits et la libération qu’un travail corporel provoque. Quelques grandes règles : donner du sens aux gestes pour les dédramatiser, partir des personnes elles-mêmes pour établir une relation, donner un cadre au départ, importance de la durée, bienfaits de la présence d’un artiste pour découvrir la richesse de l’autre et créer des liens.
Décryptage
Brigitte présente l’atelier chant d’ATD Quart Monde : au départ, elle souhaitait faire un atelier corporel. N’ayant finalement pas trouvé l’approche ni les personnes adéquates pour l’imaginer avec elle, c’est par le biais du chant que les choses ont commencé. De fait, les personnes en situation de pauvreté font tous les jours des exercices difficiles avec leur corps (travail très physique, dans une cantine, d’une des participantes, « une vraie gymnastique », dit-elle) et sont obligées de marcher beaucoup. Brigitte, l’animatrice confie qu’elle a été élevée à la campagne et adorait la gymnastique, notamment la gym douce qu’elle a pratiquée avec ses enfants également. En tant qu’animatrice de l’Université populaire, elle a constaté combien toutes les personnes ayant la vie difficile ont le corps bloqué. Elle a voulu aller au-delà du travail qui se passe dans les têtes et chercher une autre voie, accéder à un autre niveau de communication.
C’est finalement faute de trouver un prof de gym qu’elle a fait appel à un chef de chœur, Jean-Paul Baget !
Une volontaire confirme combien les personnes qui prennent la parole à l’Université populaire*sont mal à l’aise avec leur corps. Brigitte, l’animatrice n’avait jamais chanté et voulait seulement entamer un travail par des exercices avec les familles en précarité. Mais le chef de chœur a été radical et a proposé cet atelier à tout le monde et pas seulement aux plus pauvres, comme l’a toujours préconisé Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD Quart Monde.
L’animatrice passe ensuite de très larges extraits du CD ROM « Quand des voix se rencontrent » édité par ATD Quart Monde et réalisé en 2001 par Delphine Duquesne avec tous les participants de l’atelier chant. Elle indique que l’atelier a démarré en 1997, et qu’au départ, on ne se touchait pas ; une femme a même abandonné lors des premiers exercices.
Comment les gens sont-ils venus ?
C’étaient d’abord des habitués de l’Université populaire d’ATD Quart Monde. Ils n’ont pas choisi le chant. Ils ont suivi Brigitte, beaucoup d’hommes au départ dont quelques-uns ont abandonné. Une participante, militante d’ATD Quart Monde, qui n’avait pas vraiment choisi le chant a tenu néanmoins à aller jusqu’au bout. Au début, elle arrivait en retard pour zapper les exercices de souffle, de respiration, de relaxation, son ventre ne bougeait pas, et puis grâce à une relation d’amitié avec une jeune, elle s’est lancée un défi et elle a réussi ! D’autres personnes sont venues, entraînées par les premiers participants. Jean-Paul Baget était très exigeant sur l’assiduité, mais Brigitte l’a tempéré : il est important d’adjoindre un médiateur qui connaisse bien les personnes et les contraintes qui pèsent sur elles du fait de leurs conditions de vie, à un professionnel de l’art.
Une volontaire souligne que des chants en langues étrangères ont été parfaitement appris en lien avec une gestuelle. Brigitte a veillé à l’équilibre entre hommes et femmes, pauvres et non pauvres. Jean-Paul Baget s’est appuyé sur son chœur de jeunes appelé « Passador » qu’il a greffé sur l’atelier. Une des conditions pour participer à Passador était que les jeunes devaient venir une fois par mois à l’atelier chant d’ATD Quart Monde et ils sont devenus « entraîneurs » des autres.
De l’atelier de pratique à la représentation publique
L’idée de donner une représentation est venue progressivement, d’abord dans le cadre de l’Université populaire, puis lors de sorties à des concerts, enfin lors d’un concert des autres chœurs de Jean-Paul Baget, avec participation de l’atelier chant. Ensuite tous voulaient recommencer mais il a fallu les modérer, ne pas aller trop vite. On a inventé des « fêtes du chant » dans un cadre plus privé, et ces fêtes ont suscité de nouvelles vocations (par exemple une participante a été attirée vers l’atelier chant en entendant les chanteurs qui passaient dans les rangs des spectateurs dont elle faisait partie.)
Enfin, en 2004, dans le cadre des Journées du Livre à Lille, il y a eu une représentation publique, et en guise de clôture de cette expérience longue de dix ans, un grand concert à la Cartoucherie de Vincennes devant un très large public.
Le chant et le corps
Le travail de la voix emmène loin… Le corps a toujours été le guide pour entrer dans le chant.
Une participante évoque un documentaire sur Arte montrant une personne sortie du coma qui ne réagissait plus qu’aux chansons de son enfance.
Une autre explique que chacun dans la chorale a été invité à tour de rôle à trouver des gestes pour incarner chaque chant. Une Antillaise atteinte de surdité avait très peur, mais après s’être fait appareiller, elle a dirigé le reste du groupe avec un talent incroyable, elle était littéralement habitée par le chant et la danse. Un autre participant, ex-policier, avait le geste dans la peau et a beaucoup influencé l’interprétation générale.
Brigitte et une autre volontaire participante rendent hommage à Jean-Paul Baget qui a été un maître exceptionnel. Formé à l’École Marteneau ainsi qu’à la méthode d’une école en Hongrie, il a été d’abord musicien puis musicothérapeute. Entre viser à « soigner » les gens et faire de l’art, il a résolument opté pour la qualité de l’art, ce qui était un vrai défi.
De la timidité à l’épanouissement, en passant par le désir et l’improvisation
Une participante de l’association Mosaik ‘ampignoise déclare :
« Pour faire venir les gens, il faut déclencher l’envie : on a tous des capacités qui ne demandent qu’à se révéler. » Elle travaille sur les gestes de la vie quotidienne avec ceux qui ont des difficultés. C’est la personne en difficulté qui mène le groupe. On crée des chorégraphies à partir de gestes de travail (par exemple dans une plantation de canne à sucre). La danse, c’est sensuel ; pour aider les participants de certaines communautés à dépasser leur timidité face à la danse, on leur suggère d’imiter les ancêtres.
Une volontaire: « C’est magnifique de dédramatiser les gestes en leur donnant du sens. »
La participante de Mosaïk’ampignoise fait beaucoup appel à l’improvisation individuelle, sur une même musique.
Avec une dizaine d’associations, elle a également réalisé un défilé de mode. Les membres de plusieurs communautés ont fait les costumes et les chapeaux, véritable métissage de tissus et de créations. Le défilé a été mis au point par une chorégraphe, mais elle-même anime chaque semaine des ateliers de danse et de chant avec des adultes et des enfants, en fonction de leurs goûts (elle propose aux jeunes qui aiment la tectonique d’en faire avec des instruments). Ces activités s’adressent à tous, il suffit de régler une adhésion annuelle de 30 € mais après tout est gratuit ; c’est tout un esprit qui s’est développé dans le quartier et tous les habitants participent à des degrés divers.
Brigitte souligne que chaque groupe est encouragé dans sa création et que lorsqu’on monte un projet, on innove en permanence.
Des projets qui prennent vie dans des lieux ouverts sur la ville
Partir des personnes elles-mêmes, ce n’est pas les laisser dans le vide. Il faut faire les premières propositions, donner des pistes au départ, établir une relation, poser un cadre si l’on veut faire émerger la pensée des plus pauvres.
Lorsqu’il est reproché à ATD de venir implanter des bibliothèques de rue, nous disons que c’est un départ pour établir une relation avec les personnes du voisinage.
Une participante est à la recherche de compagnies qui ont envie de sortir des lieux de représentation habituels et veulent aller vers les gens, en donnant des spectacles dans des lieux plus ouverts ou en étant accueillis dans des appartements : « les Petites formes ».
Ainsi à Champigny sur Marne, des spectacles ont été donnés à la piscine où les gens viennent plus facilement, dans des bibliothèques ou des écoles. Les artistes et le public peuvent ensuite parler de ce qu’ils ont ressenti et les spectateurs peu familiarisés avec la culture n’ont pas de sentiment d’infériorité.
Une participante dit que cela permet souvent une première expérience de l’art à côté de chez soi.
Mosaïk’ampignoise travaille aussi au service d’ insertion comme responsable de l’accès à la culture pour ceux qui en sont les plus éloignés. Avec des personnes en grande difficulté et très mal dans leurs corps, qui n’osaient même pas prendre le bus, elle a réussi à faire de la danse. Différents ateliers sont proposés pour les accompagner et leur donner envie peu à peu de monter eux-mêmes des projets culturels.
L’importance de la durée dans les actions qu’on mène
L’animatrice rappelle combien il est important que ces actions soient financées dans la durée car il faut beaucoup de temps pour gagner la confiance des personnes très éloignées de la culture et il y a parfois des échecs ou des difficultés avec des artistes parachutés pour de courtes durées.
Une participante a eu la chance de partager l’expérience d’ « artistes en résidence ». Deux années de présence avec un compositeur chef de chœur dans un même lieu permettent de créer des liens. A partir de la question « qui est l’étranger ? », il a été possible de créer de vraies passerelles entre des personnes d’âges et de milieux très différents, de faire un travail de fond et d’aboutir à la production d’un spectacle, avec 250 participants qui, pour la plupart, n’avaient jamais chanté avant.
Lors d’une autre résidence d’artistes dans le Var, à l’initiative d’un retraité de la marine revenu dans son village natal, la création d’une chorale a été très dure au départ : il y avait beaucoup d’animosité contre « les parisiens » ! Mais en faisant revivre la tradition musicale des fifres et des tambourins provençaux qui s’était perdue, tout s’est apaisé, d’abord en faisant de la musique avec les enfants à l’école, puis en attirant les parents, les grands-parents et ensuite les commerçants ; finalement au bout de sept mois, le soir du concert, quasiment tout le village chantait ! La présence des artistes en résidence a permis de recréer du lien et de dépasser les vieilles histoires de famille et les querelles de clocher au sein du village.
Différentes manières d’aborder les gestes du corps
Dans le cadre de l’atelier chant d’ATD Quart Monde, Brigitte a fait appel à une thérapeute de la méthode Feldenkreiss qui était passionnée par les gestes de la vie quotidienne et cherchait toutes les petites choses de la vie pour travailler sur le corps. Elle a su donner un côté ludique aux gestes proposés, que certains avaient du mal à exécuter. Une femme qui avait horreur de bouger, s’est laissée prendre et s’est mise à danser !
Chacun s’accorde à dire à quel point c’est admirable de voir également comment le danseur chorégraphe Sylvain Groud (intervenu le matin) arrive à faire bouger chacun, dans des groupes où les gens ne se connaissent pas et dans des lieux très divers.
Dans son atelier d’écriture, une volontaire évoque une maman presque illettrée qui avait peur de rejoindre le groupe. Au départ, elle avait les deux poignets dans des attelles, à cause de son travail très pénible de repasseuse auquel elle avait du renoncer et elle ne pouvait pas écrire, sinon par signes phonétiques qu’il fallait retranscrire. Un jour elle est arrivée sans attelle et comme on s’en étonnait, elle a dit qu’elle n’en avait plus besoin !
Une participante ayant travaillé comme psychologue dans le secteur de la petite enfance cite Françoise Dolto qui a toujours dit que l’enfant parle avec son corps et insisté sur « ce que le corps dit, ce que le corps montre ». Pleurer, tomber, se faire mal sont des signes souvent compliqués à faire comprendre aux parents. Chez les adultes, il en est de même.
Elle a constaté que grâce aux ateliers et à la préparation du défilé, des femmes de taille 50 ont découvert leur corps dont elles avaient souvent honte. Avant, elles le cachaient sous des vêtements amples, mais peu à peu l’image qu’elles se faisaient d’elles-mêmes a changé. Au défilé, elles avaient toutes choisi des costumes près du corps et après avoir été filmées elles se sont trouvées très belles !
Une volontaire se souvient de Jean-Paul Baget qui disait en plein atelier chant « rallumez-moi tout ça !», alors que tout le monde pensait avoir bien chanté. Mais elle s’est rendue compte que si chacun faisait l’effort mental «d’allumer ses yeux » en souriant, le chant devenait différent et lumineux…
Brigitte pense à une passionnée de théâtre dans le Val d’Oise qui avait démarré un atelier théâtre où personne ne venait au début, qui a finalement réussi à rassembler des femmes très marginalisées.
Une volontaire réunit dans son atelier d’écriture des participants de milieux divers qui ne sont pas tous en lien avec ATD. C’est un défi pour elle d’aller au rythme des plus lents, avec des gens parfois illettrés. Dans le XVIIIème arrondissement de Paris, il y a des gens qui n’ont pas fait ce choix et il peut y avoir des insultes envers les autres. Elle doit parfois gérer des provocations du type : « Toi t’es nul ! ». Il faut trouver des moyens pour faire accepter les différences ; mais progressivement les gens découvrent la richesse de l’autre et voient qu’il y a autant de qualité chez les autres que dans leur propre écriture et c’est ça qui les incite à rester !
Une volontaire ajoute que lorsqu’on voit l’impact très positif de ces ateliers sur les adultes, c’est dès l’école, avec les tout petits qu’il faudrait commencer ! La danse notamment est trop souvent réservée à certains milieux familiaux alors que tous les enfants pourraient y trouver beaucoup de plaisir et de confiance en eux tout en leur permettant de se sentir en lien avec les autres.
Philosophie des expériences en guise de conclusion
Le fondateur d’ATD Quart Monde disait que l’éradication de la misère devrait être basée sur les savoirs et les échanges de savoir, en établissant des liens dans la durée avec les plus démunis. Jean-Paul Baget a estimé lui aussi dès le début de l’expérience très important de ne pas créer « un chœur de pauvres », mais de rassembler d’autres personnes aux côtés de celles issues des familles du Quart Monde.
C’est ce type de fondements que l’on retrouve à travers tous les projets pilotes d’ATD Quart Monde et dans tous les domaines (culture mais aussi travail/métiers, école, logement, vacances) où d’une part ce sont les plus démunis qui s’expriment en leur nom et d’autre part la participation de personnes d’horizons et de milieux différents se révèle tout aussi importante.
3. Atelier danse animé par Sylvain Groud
Participaient à l’atelier :
Marion Blank, Christiane Botbol, Florence Castera, Anne Florence Dauchez, Françoise Deaudeville, Michel Lambert, Marie-Noelle Mathieu, Colette Tassel, Isabelle Thibault.
Résumé
La consigne proposée par le secrétariat culture était de ne pas faire d’exercice mais d’analyser le vécu au travers des témoignages des participants.
Rappelons que la demie heure précédente, Sylvain Groud a fait travailler corporellement les 70 personnes dans une empathie stupéfiante par l’énergie émanant du groupe qu’elles constituaient. Seule une personne un peu âgée a préféré se reposer.
Donc, quand l’atelier danse démarre avec sa dizaine de participants, Sylvain explique tout d’abord qu’il a inventé ce travail corporel après la lecture de « l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau » de Sacks. Il s’agit d’une pathologie d’un homme qui repérait tous les tics des personnes croisées dans la rue, se cachait ensuite pour redonner en accéléré, l’un après l’autre, tous les gestes, mimiques, mémorisés.
Sylvain par cet exercice valorise nos gestes les plus humbles, les plus anodins qui sont du rythme, qui tracent une danse dans un espace donné. Le groupe fait tomber l’inhibition individuelle grâce au chorégraphe qui vit/endosse/revendique son rapport au mouvement en aimant ré enchanter les gestes quotidiens. « Le mouvement devient danse quand il perd sa fonction première et devient un acte poétique ».
C’est donc ce que nous avons testé avec bonheur lors du travail collectif autorisé grâce à l’espace vaste de la salle du Musée, où chacun, chacune empruntait une attitude de celui qu’il ou elle croisait.
Sylvain conclue par une sorte d’acte de foi: « par son extra lucidité le danseur est un corps passeur au service de tous les autres).
Décryptage
S.G., assistante sociale, qui assiste pour la première fois aux Rencontres intervient pour dire qu’elle a beaucoup reçu ce matin.
A-FD. pose la question économique en regrettant la situation actuelle où de nombreux projets sont bloqués par manque d’argent public, réservé aux grosses institutions. L’Etat se désengage avec les DRAC* affaiblies, alors que les collectivités territoriales, les communautés de commune par exemple tentent de prendre le relais. Mais il y a le risque de privilégier l’événementiel, plus lisible pour leurs électeurs potentiels. 50% de son énergie est consacrée à la recherche de fonds et tout peut être remis en cause chaque année !
MB: Dans notre bibliothèque de rue avec les enfants roms de St Denis, les enfants aimeraient bien avoir la visite de Sylvain car ils débordent d’énergie. Le talent est de chercher la curiosité contre la bêtise.
I.T: Avec notre mission dans les bidonvilles itinérants des Roms en 93, on accompagne, on ne fait pas à la place, on échange des savoirs, des compétences ; on partage.
ML:raconte la rencontre avec les Beaux-Arts à Nancy, l’opéra Médée et le public ATD Quart-Monde ; il est demandeur d’activités qui sortent les familles du quotidien comme l’exposition des monstres qui a permis des réflexions de mise en miroir entre les mythes et la réalité.
SG : Le monstrueux fait la frontière entre ce qui est possible ou pas possible.
M-NM : regrette de n’avoir pas de lien direct avec les élus ; elle cite l’usage réussi des mythes dans le spectacle vivant comme le projet de l’Enéïde de Virgile.
SG : L’essentiel est de bien transmettre en travaillant à long terme. Quand l’œuvre a été bien appropriée, elle fait son chemin.
CT : Des travaux corporels comme celui proposé ici permettent de prendre conscience des capacités à créer de chacun.
SG : Je ne vais nulle part sans définir un cahier des charges précis. Par exemple : dans le cadre du programme Culture à l’Hôpital, par les ateliers proposés, pour prolonger leurs gestes techniques, les soignants sont amenés à s’interroger sur leur pratique professionnelle en poétisant le geste par le changement du rythme. Un phénoménologue accompagne le travail et deux danseurs animent le groupe en question. Il permet une prise de conscience, par les médecins et infirmiers, de l’état du corps malade dans le présent par rapport à ce qu’il était dans le passé.
DL :À l’hôpital on a tendance à être réduit à sa pathologie. On n’est rien ! Le sensible est mis à distance. Le programme Culture à l’Hôpital remet du vibrato, du sensible. Au bilan avec les soignants, ces derniers ont reconnu que leur façon de faire avait été changée, entre autres dans leur capacité à improviser en étant dans leur vérité du moment, dans la recherche du sens de chaque être dans un groupe donné.
FD : remarque la différence avec l’approche de l’art thérapie.
DL : La prescription médicale a un objectif défini mais ne doit pas instrumentaliser pour autant le projet artistique et culturel. Le choix des artistes est fait avec la DRAC* qui est déjà sensibilisée et préconise des artistes dont le processus de création inclue les personnes en souffrance.
L’animation artistique serait-elle un divertissement? Cette question revient de manière récurrente. Pour ma part, je réponds avec fermeté, non ! La pratique artistique est radicalement différente quand elle colle avec le réel dont elle se nourrit pour le transformer si telle est la demande. Il s’agit alors d’une mise à distance, de fenêtres ouvertes et d’un autre rapport au monde en contradiction avec une animation qui occuperait !
SG : Il s’agit d’un vrai moment sacré ou magique quand l’artiste fait lien, fait médiation. La pauvreté -ou du moins nommée comme telle- devient richesse, miracle.
DL.: Jamais d’une chambre à l’autre la proposition artistique n’est la même. Par exemple dans les soins palliatifs, la verticalité est signe de dignité retrouvée. C’est dans le partage avec l’autre que la création révèle la beauté des gestes quotidiens.
FC : Le mécénat privé est ponctuel et ne remplacera pas les financements publics. Dans le comité national dynamique des banlieues, il y a des DRAC* relais qui font pont entre les projets soutenus par les collectivités régionales recentrées sur leurs compétences. Des collectifs d’artistes mutualisent leurs efforts pour lutter contre le décrochage scolaire par des projets culturels transversaux. Il faut noter qu’il est essentiel d’évaluer les projets pour valoriser et perpétuer cette spécificité, ni sociale, ni culturelle.
Dans l’éducation populaire comment faire pour que chacun apporte sa pierre, que chacun définisse sa part ?
SG : Les résultats des ateliers sont conditionnés par le bon choix : un bon créateur n’est pas forcément un bon pédagogue.
Intervention non identifiée : L’expression culturelle est conditionnée par la culture : en France, on a peur de se toucher, en Amérique Latine, non.
SG : la pudibonderie, le faux-semblant avec le corps est violence de l’apparence par une adhésion obligée à une image qui est sans rapport avec le corps.
GA: l’Occident a-t-il institué un carcan corporel intime ?
SG: Il faut s’en affranchir.
La définition de l’outil est intéressante, l’outil par rapport à votre pratique et la question de l’objectif. Celui de pratiquer son art en résonance avec l’autre. La qualité d’un projet artistique réside dans la clarification des objectifs avec ceux qui travaillent. Il n’y a pas d’objectifs sociaux directs mais la nécessité d’un partenariat.
SG : Le projet est réussi avec et par une personne référent qui en assume la démarche.
DL. : L’artiste n’est pas un travailleur social. Les prisons, hôpitaux, quartiers prioritaires nécessitent les artistes les meilleurs.
SG: Enfin, ne pas perdre de vue altérité et non altruisme dans le dialogue avec l’autre !
4- Atelier peinture animé par Olivier Nodé-Langlois
Etaient présents : Marie-Dominique Darche, Hélène Deswaerte, Céline Faivre, Loïc Chevrant-Breton, Monique Fontan, Alain Léger, Nathalie Rouxel, Emilienne Briche, Marie Cayol, Gustave Depincé, Françoise Deaudeville, Catherine Taleb, Marie Aubinais
Résumé
Après une longue discussion pour éclaircir ce qu’est ou n’est pas la culture, les participants étudient la relation qui s’établit entre le fait de peindre et le corps qui peint, chez l’adulte et chez l’enfant. Le résultat des ateliers devrait être considéré pour certains non comme une manifestation artistique mais comme une simple expression, le plus souvent nécessaire et libératrice. Dans un atelier d’écriture une animatrice veillait à ce que les participants ne se considèrent pas comme des écrivains mais simplement comme des « écrivants ». Les productions des ateliers d’art ne sont pas nécessairement « de l’art ». Mais elles sont du domaine du sensible et, à ce titre, peuvent atteindre une dimension toute autre, du moment qu’elles pourront parler à la sensibilité de gens tout à fait étrangers aux conditions et à l’état de ceux qui les ont créées. Il est important de laisser l’enfant libre de son expression et de donner à l’adulte un espace assez grand pour qu’il soit libre de ses gestes.
A plusieurs reprises la question de l’art thérapie est abordée ainsi que la difficulté qu’il y a à rendre une œuvre publique.
Décryptage:
Olivier Nodé-Langlois ouvre la discussion en disant sa gêne devant le terme « culture » au singulier : « je tiens beaucoup à un terme pluriel. Nous avons tous une culture. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, chacun d’entre nous a une conscience, donc une culture, et pour moi, l’expression de cette culture est innée. Alors, bien sûr, on nous rabâche qu’il y a la culture avec un grand C qu’on trouve au Louvre et ailleurs. Mais cette grande Culture n’est jamais que la somme de toutes les cultures qu’on y a accumulées. Victor Hugo n’avait rien à voir avec François Villon ou Molière. Pour moi le plus important n’est pas d’apprendre à quiconque Victor Hugo ou Lamartine, mais de tirer de chacun ce qu’il peut donner pour le faire participer à la culture générale et mondiale.
Souvent les gens pensent qu’aller au musée ou lire des livres « c’est la barbe », ou encore « je sais pas lire, donc j’ai pas de culture « et ce n’est pas vrai.
MA: Inversement, on peut se dire que s’ils voyaient un Picasso ou s’ils lisaient Victor Hugo, ils diraient « C’est génial, je pensais que c’était pas pour moi et c’est pour moi ». Peut-être diront-ils : « ça ne m’intéresse pas ». Or ce qui est intéressant est qu’ils soient à même de choisir.
ONL: Je me souviens de militants Quart-Monde à qui on proposait des places à l’Opéra et qui disaient « je n’ai aucune envie d’aller là-bas, je n’ai pas envie de me confronter avec des gens très bien habillés, dans des lieux de luxe où j’ai pas les moyens et ensuite je ne connais rien de tout ça. »
GD : Il y en avait aussi qui connaissaient et aimaient l’Opéra.
ONL: Il n’y a pas une culture, une façon d’aimer les choses. Mais il faut laisser à ceux qui n’ont pas aimé, la possibilité de se dire que ce n’est pour ça qu’ils sont hors du coup.
MA: L’écueil, c’est de destiner à priori une culture à chaque catégorie sociale. Par exemple, lors d’activités extra scolaires dans une ville de l’est, on emmenait les enfants de certaines écoles à l’Observatoire pendant que, dans d’autres écoles, on faisait faire de la cuisine algérienne aux enfants pour valoriser leur culture. Et pourquoi les uns n’auraient-ils pas aussi fait de la cuisine et les autres pris goût à l’observation des astres ? Connaître l’héritage n’empêche pas d’être acteur culturel d’aujourd’hui, je suis même sûre du contraire.
ONL: C’est pas du tout ce que je veux dire et je et dirai même que j’aime beaucoup travailler à faire de la culture générale quelque chose d’agréable. Et nous avons fait tout à l’heure le tour du Musée avec une jeune médiatrice qui faisait très bien cela. Et c’est vrai qu’il faut faire les deux. Mais ce qui me paraît très important c’est de dire « vous n’êtes pas rien » « vous êtes quelque chose et avec ce quelque chose vous pouvez participer à … »
MF: Il faudrait se mettre d’accord sur ce qu’est la culture. Dans certains milieux sociaux, ce sont les musées, les livres. Mais il y a une conception beaucoup plus vaste de la culture, c’est la compréhension du monde, c’est entrer en relation avec des gens que vous n’auriez jamais rencontrés, vers lesquels vous avez fait une démarche. Être cultivé, pour moi, c’est rencontrer l’humanité chez l’autre. Voir de peintres, lire des livres est une vision très restrictive de la culture. Et si on peut donner l’occasion aux gens d’accéder à des choses qui ne sont pas leur environnement immédiat et qui peuvent les aider à se mettre en mouvement, alors oui c’est très bien.
EB : La culture dont tu parles, c’est la culture dominante dans une société. On n’a pas forcément envie de donner les mêmes goûts à n’importe qui, mais quand j’ai travaillé à la formation d’ouvriers qui passaient la maîtrise, je leur donnais des idées de la culture dominante sur le thème « Vous allez avoir affaire à des ingénieurs qui ont une façon de parler et une façon de penser différente, vous les mettrez dans votre poche quand vous saurez leur parler le même langage ». Je pense que la langue est un signe de culture, et l’on oublie de dire que les gens n’ont pas tous la même langue. On parle français ici, mais on ne parle pas tous le même français. Quand vous dites : « on ne va pas les obliger à aimer l’opéra », peut-être pas à l’aimer mais à savoir un peu ce que c’est. En parler pour ne pas avoir justement un sentiment d’infériorité en disant « je comprends rien, je sais rien, je n’ai rien à dire. »
MDD: J’ai envie de revenir sur le corps et la peinture. J’anime des ateliers de peinture. Avant et pendant quatre ans, j’ai animé des ateliers d’écriture pour des gens en rupture d’insertion et, avec ce groupe, on a fini par écrire un roman qui a été publié. À la fin de cet atelier, il y avait des gens qui auraient bien aimé y participer, mais qui n’avaient pas accès au symbolique, à l’écrit et qui étaient exclus de nos ateliers d’écriture. Donc j’ai voulu essayer de faire autre chose et j’ai créé cet atelier de peinture qui s’appelle « Les mains pour le dire ». Il n’a aucune prétention artistique puisque je ne travaille pas avec un artiste et que je ne suis pas artiste, mais c’est une façon d’essayer de redonner la parole à des gens qui ne savent plus communiquer. Ce n’est même pas comme vous le disiez « ne pas avoir la parole des dominants », c’est ne plus savoir ni parler ni écrire. Donc on essaie de communiquer par la peinture. Cela se passe à l’espace RMI de Champigny.
ONL : Tu dis ce n’est pas artistique, ce n’est pas de l’art, Mais dans ton cas c’est quoi l’art ?
MDD: C’est de l’animation et de la création sans prétention artistique. Aux gens qui viendraient nous voir avec l’envie d’apprendre à peindre, ou de se perfectionner, je dirais « ce n’est pas ici ». Notre atelier est un lieu où les gens viennent pour créer du lien social et pouvoir enfin dire quelque chose autrement qu’avec des mots. On n’est pas obligé de parler, on n’est pas obligé de regarder les autres, on fait ce qu’on veut avec un pinceau et de la peinture.
M.F. Arno Stern a travaillé sur le dessin, la peinture et les premières traces chez l’enfant. Il arrive à l’idée qu’il existe un vocabulaire chez tous les enfants du monde, indépendamment de la culture. Il s’est promené, en Amérique Latine, en Afghanistan et il a donné un stylo bille ou de la peinture à des gens. Et tous, quel que soit leur pays, leur culture, le climat, l’organisation de la société, faisaient les mêmes choses, passaient par les mêmes étapes. Et il dit que l’école par exemple est un très grand formatage, elle oblige l’enfant à dessiner d’une certaine façon alors que ce n’est pas forcément ce qu’il a spontanément envie de faire. Et il pense que ce n’est pas de l’art, contrairement à ce qu’on a pu dire. On dit souvent que les enfants sont artistes, à un certain âge ils font des choses extraordinaires et qu’après « ça se casse la figure tout d’un coup. » Arno Stern, lui, dit « Ce n’est pas de l’art. L’art est destiné à être vu par des gens. C’est une expression certes très importante pour l’enfant, mais qui ne doit être ni revue par des adultes, ni rectifiée, ni jugée. L’enfant doit être parfaitement libre d’exprimer ce qu’il a à exprimer. » Pour lui cette expression remonte à la période prénatale. Nous faisons cette expérience à Noisy-le-Grand, dans une Cité de promotion familiale d’ATD Quart Monde. Il y a des règles très précises : le lieu est complètement fermé, sans fenêtres sur l’extérieur, un peu comme un utérus et il y a une palette de 18 couleurs avec trois pinceaux par couleur. On n’a pas du tout à manipuler les pinceaux pour les nettoyer, et apparemment ça suffit pour une dizaine ou une quinzaine de personnes. Des règles techniques très strictes sont données au départ, pour tenir le pinceau, le tremper dans l’eau, dans la peinture. L’adulte place les feuilles à la hauteur du regard pour être à l’aise pour peindre. L’atelier rassemble des gens de 3 à 70 ans qui sont tous dans la même situation. Ils reproduisent tout un tas de choses qui ont été enseignées par l’école. Par exemple les cœurs : les enfants apprennent à faire des cœurs à l’école pour dire qu’ils aiment, mais ce n’est pas dans leur spontanéité. Une maison doit avoir une cheminée droite, verticale. Alors que tous les enfants font d’instinct une cheminée toute de travers. Suivant les prescriptions d’Arno Stern on ne reprend jamais l’enfant, on le laisse faire. On ne juge pas ce qu’il fait, sauf la technique parce que c’est important qu’ils maîtrisent la technique, qu’ils tiennent bien le pinceau, qu’ils ne mettent pas trop d’eau etc… Et au bout d’un moment, l’enfant s’il vient régulièrement, abandonne ce qu’il a appris à l’école pour en arriver à une expression fondamentale et importante pour lui. Et nous constatons que dans les ateliers à Noisy, quand les enfants en arrivent la, ils peuvent être très heureux, on le sent, on le voit. Ils ne disent pas nécessairement grand-chose. Je me souviens d’un petit garçon qui faisait des personnages très grands, il arrive un jour et il demande trois feuilles et il me dit « tu me les disposes comme ça, une, deux, trois, en hauteur. » Nous avons des tabourets, des échelles. Il monte sur l’échelle, il dessine une énorme maison, une énorme fleur complètement disproportionnée, un ciel, un énorme bourdon et il est absolument ravi, il descend, il dit « voilà, j’ai fini, je m’en vais ! ». Les tableaux sont gardés, classés. On voit l’évolution de l’enfant. Il peut s’il en a envie demander à les voir. Mais il n’emporte rien chez lui. Il arrive à la représentation quand il commence à sortir de l’enfance et de ce qu’on appelle les gribouillis. Ce qui est très important c’est qu’il soit heureux de peindre. S’il nous demande ce qu’on en pense, on lui répond : « Est-ce que tu as eu du bonheur à faire ça ? » Et pour des enfants en grande difficulté, cela peut leur faire un bien fou d’être capable de créer quelque chose, et de ne pas dépendre de la vision ou du jugement d’un adulte.
N.R.: Dans le cadre d’ATD Quart Monde, et dans plusieurs pays nous avons créé et échangé de silhouettes peintes sur tissus. Nous avons proposé aux enfants, ainsi qu’à leurs parents, de dessiner leur silhouette, de l’habiller avec de la peinture ou du tissu, et ça a donné lieu à un magnifique atelier où, sous prétexte de créer cette silhouette, les enfants ont pu s’exprimer et discuter de sujets qui leur paraissaient importants. Une petite fille qui avait été excisée a fait apparaître la blessure au niveau du pubis de sa silhouette, et on a pu en discuter avec ses amis, avec la maman. Nous ne sommes pas allées plus loin, mais le fait de pouvoir exprimer cette souffrance et, d’une certaine manière, de la dédramatiser, a été très important. Puis devant l’engouement que cela a généré au niveau du quartier, nous étions à l’extérieur, d’autres personnes ont pu venir. Et, avec l’accord des enfants et des parents, ces silhouettes sont parties dans différentes parties du monde. Une petite fille m’a fait cette réflexion « C’est que de la peinture, c’est pas si beau, c’est pas comme dans les musées ». Et j’ai répondu « une œuvre quelle qu’elle soit, un simple dessin, à partir du moment où il crée un sentiment, pour moi c’est ce qu’on appelle de l’art. Pas besoin d’avoir fait de hautes études. ».
FD : Faire des silhouettes, c’est vraiment montrer à l’enfant ou à l’adulte, comment son corps existe dans l’espace. C’est important avec les enfants autistes et avec tous ceux qui ont des difficultés avec leur corps. On projette la silhouette sous des formes diverses. Ça peut être avec un crayon. Un enfant s’allonge par terre sur une feuille et un autre fait le tour de son corps, très respectueusement et soigneusement. On montre comment il faut faire. On peut aussi projeter sa silhouette par ombre chinoise et après on les laisse libres de se représenter comme ils en ont envie.
EB : Je pense qu’il ne faut pas confondre expression, aussi libre soit-elle, même si elle est séparée d’une utilité immédiate, et art. Ce n’est pas la même chose. Les enfants ont besoin de s’exprimer. L’expression joue beaucoup de rôles, pour son évolution, pour l’aider à résoudre les problèmes internes qu’il ne sait pas expliquer clairement.
MF : Quand on dit ça, on valorise l’art. Et on donne à l’enfant l’impression d’être un artiste. Ce qui est intéressant ce n’est pas qu’on soit tous des artistes, mais qu’il puisse s’approprier quelque chose et qu’il soit bien dedans. C’est ce qui va lui permettre d’avancer. Quand on lui dit « c’est de l’art » c’est faux. Ce n’est pas de l’art.
MDD: Je reviens sur être artiste ou pas, par rapport au danseur qui parlait ce matin. Il arrivait bien à montrer cette position, il était là en tant qu’artiste ; et moi si je fais de la peinture ou de l’écriture avec des gens, je suis là en tant que travailleur social. Je n’ai pas les mêmes objectifs, je ne travaille pas pareil. Je travaille sur le lien social, je fais attention à d’autres choses qu’à la création qui va apparaître. J’ai plus l’expérience de l’écriture parce que c’est ce que j’animais auparavant. Dans notre atelier d’écriture on faisait très attention à ce qu’ils ne se prennent pas pour des écrivains. On était des « écrivants ». Après on a écrit ensemble et on a publié un roman. On ignore ce que chacun en tirera. Mais on a toujours fait attention à ne pas les emmener sur une voie où ils se diraient « je suis un artiste, j’ai tout gagné ».
CF: Expression et art, les deux sont essentiels. En travaillant avec des ados dans un atelier théâtre, si j’en restais à la simple expression de ce qu’ils vivent on resterait collés à leur quotidien. Le fait d’aller dans un processus de travail avec des techniques ou des outils, va permettre aussi d’aller vers une forme artistique et d’élaborer quelque chose. Par contre le but, c’est bien l’expression, ce n’est pas de plaquer une forme artistique dominante, d’arriver en disant « On va faire du THEATRE ! » C’est d’arriver à faire que cette expression puisse donner lieu à une forme artistique.
CT: Je continue à m’interroger sur art et culture. L’année dernière, il y a eu une exposition des jeunes qui sont en hôpital de jour, des ados autistes. Et dans ce qu’ils avaient produit il y avait des choses extraordinaires. Même si c’était de l’expression libre accompagnée. Alors si ça génère une émotion est-ce que c’est de l’art ?
ONL: C’est un point essentiel que l’on a du mal à définir aujourd’hui. L’art et particulièrement l’art graphique, le dessin, la peinture, la sculpture et la gravure étaient les seuls moyens que possédait l’humanité pour représenter quelque chose jusqu’à l’apparition de la photo. Et pour moi, il y a une cassure fondamentale, dans l’art jusqu’au XIX ème siècle et après. On représentait surtout les grands, religieux, rois, princes, artistes etc…qui pouvaient payer, et petit à petit avec la photo, l’art est devenu quelque chose de beaucoup plus intime, de beaucoup plus modeste, de beaucoup plus diversifié. Les techniques aussi ont varié, c’est beaucoup plus facile aujourd’hui de faire de la peinture que lorsque Rembrandt faisait ses mixtures tout seul. Avant, les artistes étaient des chimistes. Maintenant on achète sa peinture et si on ne veut pas se servir des pinceaux, on se sert de ses doigts, de son pied, de ce qu’on veut. Dans les difficultés d’aujourd’hui, je voudrais revenir à notre niveau, l’art c’est vraiment d’abord de la sensibilité et moi j’aimerais beaucoup voir ce qui est produit. On peut produire de l’art sans être un artiste patenté, le Facteur Cheval qui a fait son palais imaginaire était facteur, le Douanier Rousseau était douanier. Ils ont fait des choses extraordinaires quand même, Séraphine de Senlis était femme de ménage. Il y en a comme ça beaucoup qui ne sont pas artistes de métier qui ne peuvent pas en vivre, mais ça c’est différent. Pour moi l’art c’est une expression sensible.
MA: …et inspirée aussi. Il existait peut-être quelqu’un à côté de Séraphine ou du Douanier Rousseau qui faisait des toiles et qui n’est pas passé à la postérité – bien que la seule postérité ne soit pas nécessairement un signe de qualité artistique – ou qui n’avait pas cette façon de sublimer la réalité, de donner une sorte de puissance à ce qu’ils expriment, ce qui pour moi intervient dans la dimension artistique. Dans ce qu’ils expriment, il y a une puissance au-delà de l’expression personnelle. L’art n’est pas juste l’expression. On emploie les deux mots de manière bien différenciée. Effectivement tout enfant qui dessine n’est pas artiste ou si moi, je m’exprime par le dessin, ça n’est pas forcément artistique. Alors que peut-être quelqu’un d’autre fera quelque chose de plus puissant en tout cas. Il y a une espèce de force dans ce qui est exprimé. Je pense que dans l’art il y a une dimension supérieure à l’expression.
FD: Goethe disait que dans la création il y avait 1% d’inspiration et 99% de travail (en fait c’est Thomas Edison, fondateur de la Général Electric, qui disait « le génie est fait de 1% d’inspiration et 99% de transpiration », NDL Transcripteuse). N’importe qui, s’il prend un pinceau, ne fera pas quelque chose de terrible parce qu’il ne se sera pas entraîné. Mais n’importe qui, s’il s’y met, quel que soit son niveau culturel, d’où qu’il vienne, quelle que soit son histoire, est capable de sortir quelque chose. Alors après il y a des degrés bien sûr. J’ai eu des petites dames qui s’étaient retrouvées toutes seules, à Sarcelles au milieu des HLM. Elles n’avaient jamais mis les pieds dans un musée et d’un seul coup elles se sont révélées. À un moment, l’une d’elles a commencé à faire des expos, parce qu’elle se réveillait la nuit comme Séraphine. C’était au départ une expression et c’est devenu de l’art.
MA: Mais peut-être qu’elle aurait été nulle pour le théâtre ou pour un autre art. Je ne crois pas que tout le monde puisse être artiste peintre s’il se met à faire de la peinture, que tout le monde puisse être un bon acteur s’il se met à faire du théâtre. Le travail seul ne fait pas l’artiste.
FD: Tout le monde est capable de s’exprimer.
ONL: Ce n’est pas si simple. Selon sa formation de théoricien, de praticien, ou son absence de formation, on n’a pas la même vision des choses et c’est l’une des recherches très passionnantes que mène le mouvement avec d’autres. C’est le Croisement des savoirs. Comment arriver à se comprendre, à s’exprimer, à se faire comprendre? Est-ce que c’est aux personnes les plus modestes et qui ont le moins de formation d’apprendre le langage des autres ?
MDD : Est-ce que ce qui est exprimé est de l’art ? La démarche importe beaucoup. Je reviens à l’écriture. J’ai eu l’impression de mener des gens sur un certain chemin pendant quatre ans. Et au bout de quatre ans, chacun avait découvert une écriture singulière, la sienne. Avec la peinture je n’ai pas le même sentiment.
MA: Tu les emmènes vers l’expression…
MD: Alors que dans l’écriture, j’avais l’impression de les avoir aidés à découvrir une écriture singulière…
MF : Il me semble que ce serait la différence entre art et expression. Il y a une décision quand même, de s’adresser aux autres. Et en plus, on disait tout à l’heure que le langage n’est pas le même selon les couches de la société. Mais s’il n’y avait que le langage, ce ne serait rien, je crois qu’il y a tout un tas de choses qu’on reçoit tous à la naissance, un bagage qui est diffusé par le milieu dans lequel on naît, qui passe par la façon de s’habiller, les goûts et qui permet avec un peu d’habitude, de situer socialement quelqu’un quand on le voit. Donc il n’y a pas que le langage à conquérir, pour ceux qui sont considérés comme les plus pauvres et qui le sont. Ça va bien au-delà du langage, ça passe par les codes d’un milieu, ça passe par les goûts, par ce qu’on lit, par ce qu’on a entendu.
MA: Est ce qu’il n’y a pas justement dans l’art une dimension intéressante qui a à voir avec l’universel, est ce que quelque chose n’atteint pas le statut d’art ou de culture, disons universelle, quand ça peut rejoindre les autres ? Ce qui n’empêche pas, heureusement, qu’il y ait différents registres, différentes sortes de formes artistiques. Mais n’est ce pas heureux que nous ayons justement des choses communes ? N’est ce pas une forme de langage ? Car c’est quand même tout l’intérêt du langage. Même s’il a des registres différents, ou qu’on se l’approprie différemment, c’est bien parce qu’on a un langage commun qu’on va se comprendre et se sentir reliés. De même, il y a des choses dans la peinture qui ont une dimension universelle ; bien sûr Picasso parlera plus à certains, Rembrandt à d’autres, mais leurs œuvres relient. Et qu’est-ce qui fait que certaines œuvres d’art sont associées à l’idée d’élitisme ? Sont-elles l’émanation de certaines catégories sociales, ou ont-elles une valeur universelle, mais devenues l’apanage de certaines catégories sociales sont associées à elles ? Je me demande si la culture n’a pas d’abord et avant tout à voir avec un héritage commun et une participation à une production qui concerne le collectif. Le tout étant de pouvoir y accéder, librement, et de choisir dans la production ce qui correspond à ce que l’on est, ce que l’on aime. L’art et la culture sont pour moi ce qui fait le lien dans la communauté, ce qu’un individu a su exprimer et qui rejoint les autres, alors que l’expression concerne l’individu, sans forcément atteindre les autres. Cela me rappelle le travail autour des textes que nous menions dans la presse pour enfants. Nous recevions des histoires pour les publier, et certains textes, sans aucun intérêt littéraire, ennuyeux dès les premières lignes, nous étaient présentés par leurs auteurs comme ayant beaucoup plu « à mes enfants, ou à mon petit fils, mon entourage… ». Et ces auteurs, nous les croyions. Mais ce qui marchait dans un registre familial, ou de proximité, avec tout l’affectif qui va avec, le contact, la relation directe, ne fonctionnait plus forcément pour s’adresser au nombre, et hors lien direct, ces histoires ne « passaient pas » et étaient impubliables. Ce qui n’empêche pas que dans ce que nous publiions, rien n’était jamais complètement universel, et plaisait à certains et moins à d’autres. Mais en deçà de tout jugement critique, c’était lisible par tous.
ONL : C’est là où tu rejoins la culture universelle, c’est là où l’expression individuelle quand elle rencontre suffisamment d’écho auprès de ses contemporains ou des suivants, rejoint la culture universelle. Lorsque les hommes de la grotte de Lascaux ont peint leurs mains et leurs bisons, ce n’était peut-être pas de l’art du tout, mais c’est devenu de la culture universelle. Ça en fait partie.
NR: J’ai eu l’occasion d’accompagner un militant quart monde dans sa relecture. Il a publié un livre dernièrement, Ce qui m’est apparu, et j’ai trouvé ça vraiment intéressant, c’est qu’il écrivait pour lui-même pendant un certain temps et à partir d’un moment il a eu un message à délivrer, d’un seul coup c’est devenu une nécessité pour lui et ça rejoignait un peu ce que dit Rilke, l’œuvre est une nécessité. Comme disait quelqu’un tout à l’heure, à propos de Séraphine, elle se levait la nuit etc.. lui disait « il n’y avait pas d’heure, il fallait que ça sorte, et il fallait que je délivre ce message ».
MF: Je reviens en arrière par rapport à ce qu’on disait sur le langage. J’élargissais ça à beaucoup d’autres choses, la façon de s’habiller, de décorer son intérieur, qui permet de situer quelqu’un socialement, et c’est par là que se fait la domination. Et c’est ça qu’il faut bien comprendre, car la domination est économique mais elle passe aussi par des choses qui ne se disent pas, qui ne sont pas amenées au niveau conscient, mais que tout le monde vit. Moi je ne me sentirai pas nécessairement à l’aise avec quelqu’un qui socialement se situe nettement au-dessus de moi. Je ne vais pas être dans ses codes. Quand on parle de culture. il faut bien avoir en tête l’idée de domination. Cet héritage-là on l’incorpore à soi et il faut avoir tout ça en tête Parce qu’il y a la culture pour les gens qui sont d’un certain niveau social. Comment accéder à ça ? Ce n’est pas seulement une question de langage.
EB: J’appelle ça « le monde des possibles » c’est-à-dire que tout au long de la vie, de l’enfance à la vie adulte on emmagasine, pas toujours consciemment, le monde des possibles. Il est plus ou moins large selon votre histoire et vous le retrouvez très facilement dans les conversations que vous avez avec les gens qui sont en situation difficile. J’ai fait des entretiens à propos des vacances l’année dernière et il y en avait qui disaient « les vacances c’est pas pour moi. C’est pas pour moi parce que je suis chômeur ». Ou bien on leur proposait de faire des sorties au ski et ils disaient « le ski c’est pour les gens chic, c’est pas pour moi » et je pense que ça, une des images de la pauvreté c’est ça, c’est qu’on enserre les gens dans un monde qui est de plus en plus petit et le monde des possibles se rétrécit. Quand ils disent « l’opéra c’est pas pour moi » et qu’on essaie de dire ce que c’est que l’opéra, qu’on les y emmène, tout d’un coup ils se disent « ah oui c’est pas mal, peut-être que je vais y aller etc… ». Et c’est ça qui est terrible, il faut lutter contre toutes ces prisons.
MF: Contre ces interdictions.
MDD: Pour revenir à la peinture, dans mes ateliers, je m’inspire de certains maîtres, c’est Henri Michaux je pense qui fait l’éloge du ratage. Or, je travaille avec des gens en réinsertion, avec qui nous essayons, par la parole, de dépasser des blocages, de voir où ont été les échecs et ça ne marche pas. Alors, j’ai imaginé qu’on allait suivre les traces d’ Henri Michaux, qui a travaillé à partir du ratage. Je donne donc une consigne aux gens qui sont à l’atelier, de faire quelque chose, (c’est très difficile parce que c’est des gens qui n’ont pas forcément accès au langage) et d’essayer de pointer où a été leur ratage et de persévérer dans ce ratage pour que naisse quelque chose d’autre. Et ça au niveau symbolique, j’espère que ça va pouvoir faire un écho sur leur parcours d’insertion, et ça grâce à la peinture.
HD: Je ne suis pas artiste pour deux sous mais je me questionne de loin en loin depuis tout à l’heure sur la question qui a été posée, c’est-à-dire l’engagement du corps. A Lille on a un atelier de peinture notamment. Un homme qui est à la rue depuis très longtemps, qui est dans l’état des hommes à la rue en général, c’est-à-dire très abîmé, y participe. Et on peut dire qu’il y a un désengagement du corps, il y a une rupture pour ces gens là. Je me dis, quand il vient jusque dans les locaux d’ATD pour peindre, c’est un moment où il y a un raccrochage et où il peut s’exprimer, exprimer une certaine vérité de ce qu’il est lui. Ils sont encadrés par une artiste qui donne des directives, mais dans les résultats, il n’y en a aucun qui ressemble à l’autre. Je me dis qu’à travers cette expression-là, il y a l’expression du corps, l’expression de soi et je pense que c’est une forme d’art.
ONL: C’est vrai, je ne crois pas qu’il y ait un art codifié. L’art brut en particulier, qui a été ressorti par Dubuffet, qui est l’art de tous ceux qui ne sont pas considérés comme artistes. Ce sont souvent des personnes atteintes de troubles psychiques ou de grande pauvreté…. Et pourtant Dubuffet a fait un musée à Lausanne où ces oeuvres sont exposées et c’est assez surprenant. On parlait ce matin de l’atelier du non-faire qui fonctionne à partir de personnes malades psychiques qui sont suivies par l’hôpital Maison-Blanche à côté de Paris. Certains font des choses extraordinaires. Et ce n’est pas du tout de l’art thérapie. Je disais à une personne de cet hôpital « ce type fait un travail extraordinaire ! » Oui, m’a-t-on répondu, mais ça n’a rien changé pour lui il est toujours avec ses troubles psychiques, mais il sort des choses extraordinaires. Est ce que ce n’est pas de l’art ? Je pose la question.
CF: De toute façon, au niveau des ateliers du non-faire menés par Christian Sabas, ce qui est intéressant, pour les avoir vus à plusieurs reprises, c’est le processus qui se met en œuvre et à long terme. Ce que j’en ai compris, c’est que cela se joue sur plusieurs mois, voire plusieurs années. C’est un long travail, qu’ils s’approprient totalement. Quand ils sont venus en parler, c’était pour parler de leur travail artistique. Pas pour parler d’eux, surtout pas. C’était ce qui les agaçait. J’ai assisté à des colloques où il y avait des gens qui parlaient pour eux, alors qu’ils étaient dans la salle. Ils ont pris la parole pour dire : « avant d’être étiquetés malades ou avec des pathologies, on est là parce qu’on est artiste et on a fait un travail dont on peut parler, que ce soit un travail d’écriture, de peinture… ». C’est important.
ONL: J’aimerais lancer l’idée que chaque être humain est un artiste potentiel. Et quand il est enfant, contrairement à ce que dit Arno Stern, j’ai l’impression qu’il s’exprime tout à fait naturellement sous une forme artistique et que petit à petit, les aléas de la vie – j’aime bien l’expression « le monde du possible » – qui nous rejoignent ou nous conditionnent, font que l’on perd nos capacités. Mais autant du temps de Rembrandt ou de Fra Angelico, avant la photo, il y avait une nécessité d’être pas simplement artiste mais aussi technicien, d’avoir appris ce que c’est que l’anatomie, le savoir-faire des couleurs, de savoir tailler la pierre, autant aujourd’hui par la simplification technique qui nous est donnée, pour moi l’art est une capacité d’expression que nous avons tous.
MF: Je me demande pourquoi c’est si important de dire « nous sommes tous des artistes » parce que ce qui me semble important, c’est que chacun arrive à être centre de lui-même et à faire ce qu’il a vraiment besoin de faire fondamentalement, c’est ça qui est important, alors qu’il soit artiste ou autre chose finalement peu importe. L’important c’est que ce ne soit pas les injonctions de la société, des parents qui priment, mais qu’on arrive à se frayer son chemin propre. Alors on peut être artiste dans le chemin qu’on va suivre. Je ne sais pas si c’est intéressant de se dire que tout le monde est artiste. Ce qui est intéressant c’est d’arriver à être bien dans ce qu’on est. On est dans une société où c’est de plus en plus difficile, et c’est encore plus difficile pour les gens qui sont dans la misère parce que tout s’y oppose. On va vers des sociétés qui encadrent, qui formatent, il faut être comme ça et pas autrement, parce que sinon ça marche pas. C’est ça qui me paraît capital c’est d’arriver à être au centre de soi-même.
ONL: Si la société est de plus en plus difficile, justement, elle est peut-être de moins en moins artiste. Où l’art a de moins en moins de valeur.
MF : Marchande !
ONL: Le marché de l’art ça ne veut absolument rien dire. Le marché de l’art c’est rien du tout, c’est fait par dix personnes, mais la sensibilité qui est la base de l’art, existe de moins en moins, il y a de plus en plus de rigueur et si plus de personnes voulaient épanouir leur sensibilité artistique, peut-être que ça aiderait à faire changer la société. L’exercice qu’on a fait tout à l’heure en danse, on peut le faire aussi en dessin. On part d’un trait, de trois traits, on rajoute une couleur etc. Et puis on fait des choses qu’on a choisies, qui ne sont pas aussi simples que ça, ça vient de là-dedans et je crois que ça nous appartient à tous de ne pas avoir peur d’être artiste.
MF: Ce qu’on a fait tout à l’heure, c’est de l’expression.
EB: C’est de l’expression, pas de l’art
HD: Mais l’expression, on la fait de plus en plus taire. Tout ce qui est artistique et qui peut en découler est peut-être en train de se perdre parce qu’on s’écoute plus….
CF: Je comprends mieux ce que tu dis Olivier, quand tu le reformules, parce que devenir tous artistes… de toute façon, « artiste » on ne sait même pas ce que ça veut dire. Même les gens qui sont artistes eux-mêmes sont face à cette aberration de se dire artiste ou pas. Est ce que c’est être intermittent du spectacle ? C’est tellement complexe. Ce qui est important c’est de créer son chemin, d’être citoyen. Je suis toujours hallucinée de voir la richesse des ados avec lesquels je travaille, la richesse d’expression et de création qui pourrait en découler. Il y a une telle richesse, sur les codes de langage utilisés par exemple les smileys, les petits bonhommes, moi je connaissais pas. J’ai trente ans, c’est plus ma génération et voilà c’est toute une expression avec les SMS. Alors on pourrait dire : c’est pas de la culture, et en fait c’en est. C’est extraordinaire de voir la complexité et les choses magnifiques qui peuvent se dire à travers ces codes là, du SMS. C’est l’adolescence, c’est des filles, donc des codes amoureux, essentiellement, à 15 ans. Et c’est très intéressant de voir ça. Et moi, je suis plutôt optimiste, c’est une expression qui peut aussi témoigner d’une époque.
ONL: Les filles de Cro-Magnon elles ne faisaient pas des Smileys et des SMS mais elles faisaient autre chose, et c’est vrai que parce que les téléphones portables existent, ça va créer un nouveau mode d’expression, qui peut être artistique. Je prétends être artiste, mais pour moi c’est un engagement. Et si je porte une veste de velours, c’est parce que je me veux artiste. Je n’ai jamais porté de jean de ma vie. Le velours c’est « Beaux-Arts ». C’est idiot, je le sais bien, mais c’est ma soutane. Mais personne ne vous dit « toi tu es artiste, toi tu n’es pas artiste », c’est toi qui dis « moi, je suis artiste ». C’est tout.
EB: Oui mais tu es reconnu ou non ?
ONL: Ça c’est autre chose. Tu peux être reconnu après ta mort. Van Gogh se savait artiste, mais il a été vendu bien après sa mort. Il ne faut pas mélanger les choses. Qui était celui qui a peint dans les grottes de Lascaux? On ne le sait pas et on découvre aujourd’hui des tas de tableaux qu’on pensait être de Machin et qui ne sont pas de lui, etc. Tout ça c’est autre chose, on est des hommes de bonne volonté, pas des génies. Comment on se situe par rapport à la société et quelle part peut-on y apporter ?
GD: Tu as dit c’est un engagement, dans quel sens ?
ONL: Je suis architecte, mais pour moi ce qu’il y avait d’important c’est d’abord d’être artiste et architecte parce que c’est un art et pas une technique. C’est un engagement par le mode de pensée, par le mode de faire, par le mode d’expression et de participation à la société, par le fait de dire « il faut des couleurs, il faut je ne sais quoi » enfin de faire passer des choses.
FD: On parlait tout à l’heure de la nécessité intérieure. Etre artiste pour moi c’est pas du tout une question de savoir si on en vit ou si on n’en vit pas. C’est qu’à un moment on ne peut pas faire autre chose et que c’est tellement prenant que c’est là et il faut qu’on le fasse. Nécessité intérieure c’est le mot qu’emploie Kandinsky dans « Le sacré dans l’art » je pense que c’est ça la différence entre un artiste qui va se lancer et un autre qui ne le fera pas parce qu’il ne sentira pas le même élan. Alors s’il le sent peut-être, il ne répondra pas. Ça peut mettre des années à se révéler. C’est un chemin spirituel. C’est du spirituel dans l’art.
EB: Est-ce que ce n’est pas un sentiment d’originalité ? J’ai fait des ateliers d’écriture, je voyais des gens qui quelquefois au départ avaient du mal et progressaient. Ils arrivaient à écrire des choses bien écrites, sans erreur par rapport au langage habituel, intéressantes, étonnantes, mais ils n’avaient pas le sentiment de leur originalité. D’ailleurs tous ne faisaient pas quelque chose d’original. Pour moi, ça restait de l’expression. Et l’art ce serait quelqu’un dont tu te dis quand tu ouvres son livre: « oh la la, il a écrit ça ! Ça me transporte à ça, il arrive à me fait ressentir ça ». C’est ça l’originalité à mon avis..
ONL: Je crois quand même que l’art ça se travaille, toujours. Quand tu parlais tout à l’heure de l’expérience de Noisy. Les gamins, ils travaillent. Les enfants peuvent se dire « je fais de l’art » ça c’est autre chose. L‘art se travaille. Si demain je veux être menuisier, il va falloir que je travaille la menuiserie. Je vais faire des choses de mieux en mieux et c’est là où on arrive à la notion d’originalité. Je me souviens que gamin, je recopiais des photos d’un journal qui arrivait à l’époque, un journal avec des peintures. Et je les portais à ma mère qui me disait : « bravo mon chéri » Et je recommençais, je ne savais pas du tout, ce que je faisais, j’étais content d’être reconnu par ma mère qui me disait bravo. J’ai découvert beaucoup plus tard la nécessité de la chose.
MF: Pour lever un malentendu qui semble s’installer, c’est que dans les ateliers pour lesquels on a été formés à Noisy il y a une notion de peinture automatique, comme il y a pu avoir au niveau de l’écriture automatique, comme il y a dans la psychanalyse : dire tout ce qui va venir, sans aucune censure. Arrive un moment où les choses viennent au bout du pinceau.
MA: Mais n’est-ce pas, par nature, présent dans l’art ? Ce n’est pas forcément de l’art mais n’est-ce pas présent dans l’art ?
MF: Oui mais ce n’est pas destiné à être vu, c’est une expression personnelle, pour soi.
CF: Par rapport au sujet d’origine, on ne parle pas beaucoup du corps. Je voulais savoir comment ça se passait au niveau du corps, comment dans le travail de la peinture, finalement c’est tout le corps qui est engagé, comment on va lâcher prise. C’est un peu la même chose peut-être qu’en danse -je connais ce qui est danse-théâtre- on lâche prise avec le pinceau, et on est engagé complètement, physiquement. Et il se passe des choses.
FD: Juste en trois mots : je pratique beaucoup la peinture en grand format, et tous les groupes que j’ai, des gens qui savent ou pas peindre je les colle devant une grande feuille. On fait de la peinture collective, au départ je fais toujours une fresque. Je leur donne des gros pinceaux de peinture pour les murs et puis je leur fais faire de la gestuelle. Je leur dis « voilà, vous avez une grande feuille, ça va vous changer. Habituellement vous êtes sur des formats cahier et donc il va falloir faire une ligne, vous passez chacun l’un derrière l’autre sans prendre de peinture. Vous prenez votre pinceau et vous me faites une ligne sur cette grande feuille en prenant le plus d’espace possible. » Donc en général, les gens vont au bout du bras ; la ligne va être comme ça parce qu’on est habitué à ce que ce soit au niveau du bras. Petit à petit la ligne va se délier et le corps va aussi s’assouplir et je leur dis « vous pouvez peut-être monter plus haut. Ou alors si vous avez des rhumatismes vous n’allez pas pouvoir aller jusqu’en bas. C’est dommage ». Et petit à petit, ils prennent conscience qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. Et ça devient un espace de liberté, où le corps peut s’exprimer tout entier. C’est pour décoincer le geste qui est toujours plus ou moins coincé par l’idée qu’on sait pas dessiner et qu’on n’a jamais fait ça ; ce sont toutes les limitations qu’on peut se mettre par la pensée. C’est par la pratique que petit à petit on prend conscience de ses capacités. L’intérêt de la grande fresque collective c’est qu’on fait des choses très simples, chacun fait d’abord une ligne, les lignes vont s’entrecroiser, il y a des couleurs différentes qui vont se créer par l’entrecroisement. On apprend déjà la couleur de cette façon là, les mélanges de couleur. Puis on va remplir les espaces qui sont créés par les lignes. Donc c’est d’une simplicité enfantine. Et là ils découvrent que, en plus, ça a de la tenue, c’est-à-dire qu’une fois terminé – c’est fait par un groupe, un ensemble d’individus qui se sont retrouvés sur la même feuille – c’est une danse. Ils ont pris chacun un espace, ils ont bougé, changé de couleurs, vraiment une danse et l’impression ensuite est intéressante. Ils s’y retrouvent et pourtant ils n’ont peint qu’un petit morceau. Je commence tous me groupes, en insertion ou ailleurs, avec des enfants ou des adultes, par cette expérience-là. Dans les groupes avec ATD à la Bise, je ne fais que ça. Je prends un temps dans le séjour pour une fresque. Ceux qui veulent viennent et on fait cette expérience. Puis on met la fresque dans le salon et tout le monde la voit et en est très fier. Ensuite les gens veulent aussi le faire individuellement, donc ils vont prendre le même système de lignes et ils ont vont le faire aussi sur des grands formats. Ca peut déclencher une envie de faire des choses plus individuelles. Mais c’est une façon de débloquer l’expression.
MA: Quand ils le font de façon individuelle, ça ne passe plus par la tête ?
FD: Pas forcément, s’ils ont compris qu’ils n’étaient pas obligés de représenter quelque chose et qu’ils pouvaient aussi se laisser aller à la couleur, ils vont dire des choses avec les couleurs. Et en plus dans les fresques, on reconnaît des formes. Avec les enfants, on peut même raconter des histoires « oh là, il y a un dinosaure, et là il y a une rivière. » « tiens, là tu as fait des poissons? ». Ce ne sont que des formes qui sont spontanées, mais ensuite on peut faire une histoire. Partir d’un geste tout simple pour arriver à la peinture plus définie. De même on va partir d’éponges ou de couteaux à peindre ou de toutes sortes de techniques que je montre vraiment très brièvement et les gens s’en emparent et s’aperçoivent qu’ils peuvent s’en servir très facilement. Après ça peut durer des séances et des séances et devenir plus construit, mais sur une séance c’est déjà une découverte.
ONL : Ce qui est intéressant c’est d’arriver à simplifier le côté technique, de donner des règles de départ qui soient aussi valables que ce que nous a dit Sylvain tout à l’heure : bouger, etc… Et à partir de la on peut commencer et il faut continuer. Mais c’est commencer à être artiste, commencer un geste d’artiste.
MDD: Dans mon atelier, il y a des gens qui sont psychotiques et qui ont des hallucinations. Une dame en particulier savait écrire, mais ne pouvait pas se relire. Pour elle c’était complètement impossible.
EB: C’était une cécité psychique ?
MDD: Non, ce qu’elle avait écrit n’avait aucun sens pour elle. C’est la psychose qui provoque ce genre de choses. Et elle a eu des épisodes où son corps se morcelait ; des choses assez terribles quand on se rendait compte de ce qui se passait dans sa tête. Donc, j’ai commencé l’atelier peinture avec elle.. On a eu trois séances. La troisième séance, elle était en train de peindre, elle avait peint toute sa feuille. Elle l’avait frappée comme ça, et tout d’un coup elle a eu un effet de corps terrible, elle a eu envie de vomir. Elle a dit « il faut que j’arrête, j’en peux plus, c’est insoutenable ». Je ne sais pas ce que ça a provoqué, jusqu’où ça peut aller. L’acte de peindre a à voir avec le corps malade, mais j’imagine avec le corps sain aussi.
EB: L’écriture provoque aussi la même chose.
MDD: Oui, oui l’écriture peut provoquer des choses assez terribles.
FD: L’écriture passe plus par le cerveau que la peinture qui est plus directement un geste sans qu’on ait besoin de réfléchir. Le corps est plus impliqué dans le geste de peindre, peut être moins intellectuel.
CF: Pour rebondir, par rapport au film que Sylvain a projeté tout à l’heure. Dans le film, il dit : « notre corps est un outil propagande » et c’est vraiment intéressant de voir ce corps qui se déplace dans l’espace. J’aime beaucoup sa façon de parler dans les halls des hôpitaux, les salles d’attente avec toutes ces personnes âgées sur leur siège. On voit son corps et les liens qui se passent. Être dans un acte créateur c’est aussi lâcher prise ou accepter cette porosité de la création. Par exemple, quand je fais de la danse ou du théâtre il y a bien cette question, ça engage quelque chose de très profond. Quand on était dans la salle, il se passait quelque chose de fort.
MA: On se mettait en jeu. Le fait qu’il demande qu’on mette notre corps en jeu c’est très exigeant.
ONL: C’est un exercice qu’on ne peut pas faire avec des cadres supérieurs de la Défense. Je caricature. Il y en a sûrement qui en sont capables. Mais l’image de ce cadre supérieur c’est de dire : « C’est pas sérieux ce que vous faites. Je ne veux pas me prêter à ce jeu-là. » C’est ça aussi le sentiment artistique, c’est d’arriver à être d’accord pour se compromettre, pour risquer l’expérience.
MF: Mais ce qu’il a dit est très fort : dans les civilisations premières, la danse existait, tous les gens étaient à l’aise par rapport à ça. Alors que nous sommes complètement coincés, il faut tout un boulot pour y aller, et se dire finalement qu’on me regarde ou pas, peu importe. Nous avons énormément perdu.
ONL: Nous avons perdu de l’expression artistique. Notre société est une société appauvrie artistiquement. Et effectivement quand tu prends les magnifiques peintures corporelles de l’Afrique de l’est, uniquement à l’argile, c’est magnifique. Et nous on ne sait plus faire ça. Et ce que je voudrais essayer de faire passer, c’est que si on se ressent un quelconque goût artistique il ne faut surtout pas le cacher, au contraire, il faut en faire profiter toute la société, elle en a besoin.
MDD: Par rapport à la valeur marchande de l’art, quand on a écrit notre bouquin avec des bénéficiaires du RMI, je leur avais promis qu’il serait édité. Et ils m’avaient dit : « tu n’y arriveras jamais ». Je leur avais promis qu’on irait au bout et qu’on l’éditerait. Il a bien été publié. Mais on n’a pas eu le droit de toucher de droits d’auteur et il a été publié à beaucoup d’exemplaires par le Conseil général. Après j’ai été présenter cette expérience dans des écoles de travailleurs sociaux et on m’a demandé pourquoi on n’avait pas réussi à aller au bout. Quand ils ont écrit le bouquin, ils disaient : « On est des précaires, on vit la précarité et on veut être reconnus comme les autres dans la société, au même titre que les autres », et en ça on a échoué. C’est un bouquin dont plein de gens ont entendu parler mais qui est resté dans le milieu de l’insertion. Il a été donné dans forums, dans des écoles de travailleurs sociaux, à des gens qui s’y intéressaient. Mais le grand public n’y a pas eu accès. On m’a demandé les raisons pour lesquelles ça n’avait pas été plus loin. C’est parce que je n’avais pas les billes pour appuyer mais c’est surtout parce que c’était écrit par des précaires et ça n’intéressait pas le grand public. On a parlé de la valeur marchande de l’art. Là c’était une production, ça s’est arrêté un moment, on n’a pas pu aller plus loin. Ils avaient bossé quatre ans et ils voulaient que ce soit reconnu comme n’importe quel bouquin écrit par n’importe qui.
Voix dans la salle : C’est pas pour ça !
NR: Le monsieur dont j’ai parlé tout à l’heure, il y a eu plusieurs éditeurs qui se sont présentés pour publier son livre et il a été édité par Le Cerf qui est une grande maison d’édition, et l’autre jour il me disait qu’il y avait quatre autres maisons qui l’avaient contacté.
EB: Ce n’est pas parce que c’était une population précaire….
CF: Par rapport à la question de ces productions faites soit dans le milieu psychiatrique, soit en milieu d’insertion, c’est toujours la question qui se pose. J’avais interviewé un éducateur qui travaillait dans un ESA de culture (nouveau nom des CAT) qui a fermé depuis, faute de financement. Et il bossait là depuis plusieurs années. C’étaient des travailleurs handicapés et chaque fois, il fallait se bagarrer pour que ce qu’ils faisaient soit reconnu comme une œuvre artistique. Ils bossaient pendant trois ans, il y avait tout un processus qui était mis en œuvre et la première difficulté à laquelle ils étaient confrontés c’était : « C’est quand même bien pour des travailleurs handicapés ». Donc il y a aussi toute cette question qui se pose par rapport au milieu d’où ça vient.
5. Atelier Théâtre animé par Clémence Bucher
Participaient à l’atelier : Marie-Claude Allez, Gaëlle Audouard, Yolande de Courèges, Chantal Dahan, Anne-Claire Delatte, Nathalie Gendre, Nicole Guignon, Christine Le Gall, Anne de Margerie, Geneviève Piot, Esteban Reyes.
Résumé
Un ensemble d’exercices a été proposé au groupe pour faire prendre conscience de son corps dans l’espace, et pour arriver à une relation de confiance avec son partenaire. En sollicitant successivement, la vue, le toucher, l’ouïe, chacun de ces exercices a permis de prendre conscience dans son propre corps de tous les sens dont on dispose et qu’on peut mettre en œuvre des forces ainsi que des gestes pour favoriser la relation à soi-même, à l’autre et à l’objet artistique. Comment relâcher ses tensions, comment entrer en confiance avec soi-même et avec les autres. Cela peut devenir une façon de vivre, d’être au monde (dans le mouvement, notamment). Au cours de ces expériences concrètes est apparue l’importance de la détente, du lâcher prise mais aussi du respect des limites de l’autre et des siennes propres.
Décryptage
Clémence BUCHER, animatrice et comédienne, propose au groupe de 9 personnes de faire des exercices seuls ou par deux, et de dire ensuite ce que chacun a ressenti.
Marcher dans l’espace et apprécier le ressenti corporel
Veiller en marchant à garder son propre rythme et à ne pas se laisser contaminer par le rythme du groupe. En ouvrant bien les yeux, les oreilles, en étant attentif aux personnes qu’on croise et puis en étant attentif aussi à son propre corps, voir si on a des tensions, des douleurs, à quel endroit, juste constater où est son équilibre, son centre de gravité. En croisant quelqu’un on peut lui dire bonjour.
La relation au partenaire
Au théâtre, le corps est l’outil qui va permettre la transposition d’une situation en une improvisation. Dans notre cas, les participants sont invités à garder dans un coin de la tête que le but de l’exercice n’est pas le corps pour le corps. Plus qu’une séance d’expression corporelle, il s’agit d’élaborer une situation et de faire du théâtre.
Cet exercice se fait donc par couple : une personne garde les yeux fermés (elle devient aveugle) et l’autre la guide. La personne qui « voit » est vraiment responsable de celle qui est aveugle. Elle la guide pour qu’elle n’ait pas peur, ne se cogne pas, n’abîme pas les tableaux qui sont dans ce musée.
Pour l’aveugle, il s’agit d’essayer vraiment de s’abandonner à l’autre, d’être le plus en confiance possible, puis de repérer les sensations qui la traversent, de sentir si à un moment elle a peur, si c’est lié la façon dont on prend sa main ou parce que, tout à coup, elle a vu une ombre, on essaie d’être attentifs à tout ça. Celui qui guide commence par aller très doucement. On se tient par la main, on essaye de détendre. Si on sent que la personne marche avec tout le poids du corps en arrière, on peut essayer de la détendre et quand elle commence à avoir confiance en vous, vous pouvez sans lui tendre des pièges, arrêter, repartir, changer de direction. L’exercice se fait en silence. Ensuite chacun change de rôle : l’aveugle devient le guide.
Variante (en lâchant les mains)
Au bout d’un moment quand on sent en confiance, que l’ « aveugle » s’est détendu, qu’il commence à ouvrir la bouche, à ne pas être en apnée, on peut lui lâcher la main et le récupérer quand il y a des obstacles (une porte, un tableau). Le but étant que l’aveugle ait le sentiment d’avancer tout seul et d’essayer tous les espaces, d’avancer aussi, de tester des changements de rythme. Puis de nouveau échange : l’aveugle devient le guide.
Il faut y aller très doucement.
Expression des sensations vécues « en aveugle »
a/ La lumière
« À la fin, je me sentais vraiment perdu dans l’espace. »
« La lumière, c’est important. On est les yeux dans le noir mais selon l’endroit la densité de la lumière devient perceptible. » Cette remarque revient chez plusieurs participants.
« J’aime beaucoup les différences de lumière, même quand on a les yeux fermés. Des fois elle m’a fait venir devant une salle. Cette lumière d’un coup m’a fait perdre mes repères et je ne savais plus où j’étais. « La dimension de l’espace, si c’est grand ou petit, on s’en rend compte avec la lumière » « A un moment j’ai oublié tout ça et j’ai bien aimé ce moment-là parce qu’alors on se rend vraiment compte de la densité de chaque pas, de la concentration. J’étais en confiance avec mon partenaire, donc c’était agréable. »
b/ Le sol, l’encrage
« J’ai senti la même chose par rapport au sol. Je me disais que les pieds sur terre, ça veut vraiment dire quelque chose. On fait confiance à ses pieds. »
« Quand j’ai buté contre une marche, monté trois marches, cela a été très physique tout le temps. »
« Il y a une sorte d’intuition des pieds, ». « Puis petit à petit on se rend compte. On peut à, la fois se repérer et être guidé. A la fois se perdre et être guidé. »
Le ressenti des changements de type de sol, le contact différent selon qu’on est sur du parquet, des tomettes ou de la moquette est évoqué aussi. Cela change la position du corps. On n’appuie pas son pied de la même manière, cela se fait sans réfléchir. Mais cela ne vient que lorsque une confiance totale s’est installée dans le « couple ». .Alors les personnes sont détendues.
A certains moments, il y a malgré tout des trébuchements et le corps se raidit, « et hop, on reprend confiance, après un moment de doute. »
c/ Les murs
« C’est vraiment le corps qui ressent tout. Je me demandais, est-ce parce que je connais l’endroit, que j’y ai déjà marché avant, car j’avais l’impression de très bien sentir où étaient les murs et qu’en arrivant dans une grande salle, les pieds ne résonnaient plus de la même façon. Il y avait une autre dimension, je me sentais moins en sécurité (…) Mais c’est peut-être parce que je connaissais. Ça aide. Quand on a fait le tour de la cellule de la Reine, je voyais très bien où j’étais. Ça ne m’a pas empêchée de me taper contre la vitre (…)
Comment vient la confiance?
Estéban s’adressant à sa partenaire: « Tu t’es rendue compte que tu as fait beaucoup de choses toute seule ? Je voudrais dire autre chose. Avant de faire confiance à l’autre, il faut se faire confiance à soi-même. J’ai eu toutes les sensations, les changements de sol, la lumière. Parce que je me faisais confiance, j’ai pu faire confiance à l’autre, j’ai pu me laisser faire. »
Variante avec guidage au son
Chaque groupe détermine un son, et l’aveugle va maintenant être guidé par ce son. C’est-à-dire que l’aveugle et le guide peuvent être à distance l’un de l’autre. (Le son peut être « Bip-bip-bip » ou une petite chanson, ou sifflement) au lieu de le guider avec les mains, on guide avec le son.
Cette expérience est faite dans un lieu sans danger (pas d’escalier par ex). Elle va permettre de voir comment se transforme la sensation du corps si on se déplace via les oreilles.
Commentaires de cet exercice
« Ce n’est pas difficile, mais j’ai du mal à entendre la direction. »
« Ça change vraiment. Il y a le sol, et puis le pas des gens. »
« On perd la notion d’espace quand on est aveugle. Enfin j’essayais d’avoir des points de repère, mais j’ai eu du mal. Après, en entendant Estéban je me rapprochais de lui. J’avais l’impression qu’il ne bougeait pas. Je me disais en partant de lui, ça va aller. Dans un deuxième temps ça m’a paru plus facile parce qu’il m’a semblé que j’avais un point de repère fixe. »
« Pour moi les variations, c’était anticiper pour l’autre. »
« Les autres sens, puisqu’on n’a plus la vue, étaient encore plus en éveil, le toucher avec le sol encore plus compliqué surtout quand ça descendait. »
« Et j’ai vraiment été étonnée parce que c’était très clair. Il y avait une concentration sur le son qui était très forte. D’ailleurs j’ai trouvé ça très agréable. »
(N.B. : cette personne a en temps normal des problèmes d’audition ce qui tendrait à prouver qu’en aveugle on est beaucoup plus concentré.)
Estéban : « Chaque fois que je fais cet exercice, c’est systématique, je sens qu’il y a d’autres sens qui se sont développés. C’est vraiment très particulier de se retrouver dans le noir et de se faire confiance. Une autre chose aussi, c’est la capacité d’écoute, être à l’écoute de l’autre parce que c’est sa voix qui guide et il faut vraiment être disposé à écouter parce que sinon on peut être « en risque ». Voilà, c’est quelque chose auquel je suis sensible. Ces deux exercices, m’ont permis de m’en remettre à quelqu’un d’autre, ce que je n’ai pas tendance à faire naturellement. Et donc c’était très agréable et très ludique. »
Le jeu du miroir
L’animatrice explique le principe : on va faire comme s’il était possible de suivre les gestes de l’autre comme dans un miroir, comme s’il était mon reflet. Donc, on décide qui guide et qui essaie de copier, mais que celui qui ne sait rien ne doit pas savoir qui donne l’impulsion. Au début la personne qui est en « chef » se doit de ne pas faire un truc comme ça mais d’essayer aussi de trouver une harmonie à deux, une écoute, de trouver ce qui est agréable dans le fait d’évoluer ensemble, de créer ensemble et du coup de dépasser la consigne: l’un guide et l’autre refait ses gestes.
Les participants sont invités à être le plus précis possible dans les détails : l’écartement des doigts, la position des mains, de la tête, par exemple.
Petit à petit l’idée que le mouvement se crée ensemble permet de voir qu’il n’y en a plus un qui guide et l’autre qui suit. Si on arrive à ce moment-là, bien voir ce qui bouge, d’où ça vient et qui guide le mouvement.
« J’étais très étonnée que ça devienne naturel, comme vous l’avez demandé. En fait il y a une logique du mouvement qui s’impose. Et c’est très agréable. »
Autre remarque qui exprime une sorte d’osmose : « A un moment on ne sait plus qui fait quoi ».
La qualité d’écoute et le silence du corps
L’animatrice propose de changer de partenaire et d’aller un tout petit peu plus loin, en essayant de faire émerger une qualité de silence, en essayant de ne pas interrompre ce qui peut se passer au niveau du mouvement. En tant que spectateur extérieur, elle remarque que c’est la beauté de quelque chose qui tout à coup se déploie. » En tant que spectatrice, je commence à avoir des bouts d’histoires, à dire tiens, ça, ça me fait penser à ça (…) Donc, vraiment trouver une qualité d’écoute et un silence du corps…Ce sont des choses qui sortent de nous. C’est ce qu’on crée à deux sans rien se dire… Et expérimenter vraiment cette limite-là où on ne sait plus qui guide, cette qualité d’engagement du corps est bien différente si on est vraiment tout à ce qu’on fait.
On change ensuite de partenaire pour expérimenter avec une autre personne, voir si l’écoute est différente.
Autre variante: observer un duo
On regarde un groupe, en étant extérieur pour prendre conscience de ce que l’on sent aussi, Il y a de la matière, une qualité plus dense qui apparaît et on sent aussi où ça lâche du côté du corps, où ça dure un temps et puis on repasse par un autre état. Il y a des histoires qui se créent ; ça fait vraiment travailler l’imaginaire. On essaie de capter le moment où on ne sait plus qui donne l’impulsion, et on tente de voir comment les gestes peuvent naître ensemble.
Il apparaît alors que c’est un état. Il y a une belle harmonie dès le départ. Et concentré sur « on va être ensemble par l’état », à un moment on voit bien le duo changer d’état, vraiment ensemble sans savoir ce qui allait venir. Juste à ce moment là le duo a été synchrone et c’est comme si les deux corps respiraient à l’unisson. Cela est vraiment très rare d’avoir ces moments là, et c’est très beau.
« C’est le moment de la justesse, d’un certain équilibre ».
« Ce qu’on voit c’est vraiment l’élan qui est commun. »
On note alors que c’est ce rapport aussi entre les êtres humains, et cette justesse du vide qui fait que quelque chose se met en harmonie. Ce n’est pas juste dans la gestuelle mais dans l’émotion. C’est ce qui s’est passé d’intéressant.
« Il ne faut pas trop réfléchir. Quand je réfléchis, je me trompe dans la symétrie. Lâcher la main, c’est la dimension de lâcher prise, de faire confiance.»
Sur ce travail : comparaisons avec la danse vécue au quotidien
« Ça me fait penser qu’indépendamment du théâtre, je fais du tango et pour danser le tango et d’autres danses à deux, c’est fondamental d’être à l’écoute de son partenaire. Les pas de la femme doivent être au millimètre, c’est-à-dire que l’homme guide avec un doigt. Les pas sont assez compliqués mais la façon de guider, elle, tient à presque rien. C’est très subtil, parce qu il faut accepter non seulement les pas de l’autre, mais le rythme, dans sa tête.
Comment relier ce travail au quotidien et a la thématique de l’art ?
Comment cette dimension artistique, culturelle, théâtre, danse, est-elle en lien avec ce que l’on vit, avec ce que l’on reçoit ou avec les gens avec qui on est ? En quoi cela est-il essentiel ?
« Cette expérience là, je peux la vivre avec d’autres, parce que pour moi elle est vitale. »
L’animatrice explique à quel point cela peut vraiment se transposer dans cette écoute et cette qualité de silence qu’on peut expérimenter dans un atelier ou dans un travail avec un partenaire, » c’est vraiment ça qu’on essaie de transporter dans notre besace. Et du coup c’est d’arriver dans la vie, avec votre famille ou des collègues de travail, ou des gens qui sont dans d’autres situations que la nôtre, à être comme une sorte d’éponge, avoir vraiment les yeux et les oreilles grands ouverts le plus possible pour être réceptif. Cela devient inscrit dans le corps, comme une seconde nature, une capacité d’attention à l’autre, qui créé du lien en toutes circonstances.
Quand on commence à avoir ce travail sur le corps et sur la relation à l’autre, cela peut s’inscrire aussi dans la capacité de se concentrer dans les actions qu’on fait. Par exemple, boire un verre d’eau et penser qu’on boit un verre d’eau, donner de l’importance à chaque geste. »
« J’ai l’impression que si on arrive à rentrer en lien avec l’autre, au fond, peu importe que l’autre soit différent. Ce lien-là, une fois qu’il est créé, il est créé. Et ça ne se fait pas tout seul. Donc ça s’apprend et je pense que l’apprentissage, passe par le corps, par la possibilité de s’entendre, de se toucher, de se regarder. On peut rentrer chez soi, en famille, en groupe, dans son métier, dans la rue, ça on le porte, et la leçon elle est là.
Récits d’expériences et bilan
Une danseuse qui travaille dans des musées où elle danse devant des tableaux nous explique :
« Je vais faire entrer les gens dans l’art, dans le beau. Je vais dire « Regardez là-bas ce tableau » et mon corps va épouser le mouvement. C’est avec l’œuvre que je vais faire corps. Je crois que l’intérêt de l’œuvre d’art est dans le mouvement ; ici il s’agit de peinture. Je dis, « regardez, il offre un fruit », et j’épouse le mouvement du tableau. J’entends souvent dire : « C’est de l’art, c’est pas pour nous », mais moi qui vis avec les gens du quart monde, ce que je vais montrer de moi-même, je crois que ça aide beaucoup.
Je dis cela en référence avec un travail que l’on fait avec la danse devant les tableaux, où progressivement on prend les positions des personnages. Alors on franchit un pas. Si on reste devant en disant : « Voyez il est agenouillé », ça reste très distant et abstrait. On emmène des publics qui ne sont pas habitués à aller dans des musées et on les aide à entrer dans l’œuvre.»
« Pour moi le travail théâtral en général, le travail artistique m’interpelle dans cette capacité ou pas que j’ai d’écouter ou de recevoir l’autre et aussi sur une espèce de prise de risque. Là on a une prise de risque du fait que je ne te connais pas et pourtant j’ose te dire, j’ose te regarder, j’ose sourire avec toi.
Le quotidien, c’est ça en fait. On n’a pas la possibilité de dire bonjour à tout le monde, de faire des gestes. Ça me fait prendre conscience de cette dimension humaine et de l’environnement dans lequel nous sommes. Ensuite c’est une façon de vivre. Et tout à l’heure, dans l’exemple de Sylvain le danseur, il y a une présence, une façon de parler, quelque chose qui se dégage, et tout ça est de l’ordre de l’intuitif. Pour moi, tout ce qu’on a fait aujourd’hui, tout ce qu’on a pu vivre chacun artistiquement, ça développe l’écoute, apprend à prendre l’autre en compte, mais le monde aussi, l’environnement. Cela fonctionne comme un outil qui permet aux gens de s’éveiller par contagion. Et tout à l’heure avec Sylvain, c’était contagieux, on avait envie de danser !
Cette envie, parfois elle passe par les mots, parfois elle passe simplement par l’attitude, l’ouverture, le calme, l’écoute, le silence, une qualité d’être dans son corps. Et ça, c’est énorme, ça fait partie de ce qu’on peut acquérir par l’art, la musique, la danse… »
Cette contagion dont tu parles ne nécessite pas un savoir extraordinaire.
En revenant sur cette question de confiance, très nette dans les premiers exercices :
« Si on refuse la confiance, on se met tout de suite en dehors de la possibilité d’avancer avec l’autre, ou dans une œuvre d’art. « Jusqu’où va-t-elle m’emmener avec ses gestes ? J’en sais rien, est-ce que je vais accepter jusqu’au bout ? Ce qui est amusant, c’est vraiment se laisser …guider. »
En conclusion, l’animatrice explique qu’il s’agit bien ici de trouver cet endroit de disponibilité.
Il n’y a pas d’art qui ne passe par le corps. Parce que l’art doit être vivant, il faut qu’il soit incarné.
Dans la musique, par exemple, le corps est traversé par le son. Sinon, ça reste de la technique. »
La notion d’espace vital
L’animatrice : L’espace qui est le nôtre peut être comparé à une bulle , par exemple ce matin sur la ligne 13 du métro bondé. C’était oppressant.
Tout le monde se met d’un côté et en face, une personne est debout. Elle voit les participants arriver un par un et quand elle sent qu’il ne faut pas aller plus loin parce qu’on entre dans son espace, elle fait signe de s’arrêter. On se rend compte que cette notion varie pour chacun: très loin pour certains et d’autres très près… C’est une prise de conscience ce qu’est notre espace vital.
Réactions autour de l’espace vital
L’espace vital est en rapport étroit avec le corps. Cela a été expérimenté concrètement : il y a des gens qui acceptent plus facilement d’être approchés que d’autres.
Remarques au sujet de la situation du métro : Il y a des personnes qui lisent, d’autres qui écoutent des choses. Tout ceci probablement est une façon de se protéger, de rester dans sa bulle. La promiscuité peut créer des conflits entre les passagers. Le métro est comme une cocotte minute fermée. N’importe quelle situation peut engendrer un conflit.
Conclusion
L’ensemble des ateliers a permis à chacun de prendre conscience dans son propre corps de tous les sens et les sensations dont on dispose : de l’odorat, au toucher, du mouvement à l’écoute de soi et des autres. Il a également permis de découvrir qu’on peut mettre en œuvre des forces et des gestes pour favoriser la relation à soi-même, à l’autre et à l’objet artistique. Comment relâcher ses tensions, comment entrer en confiance avec soi-même et avec les autres. Cela peut devenir une façon de vivre, d’être au monde (dans le mouvement, notamment). Au cours de ces expériences concrètes est apparue l’importance de la détente, du lâcher prise mais aussi du respect des limites de l’autre et des siennes propres, mais aussi l’importance des expressions corporelle et artistiques
V. ANNEXES
Qu’est ce qu’un réseau Wresinski du mouvement ATD Quart Monde ?
Les réseaux Wresinski sont issus du rapport « Grande pauvreté économique et sociale » du Conseil Économique et Social (1987). Ce rapport introduit trois éléments essentiels et porteurs de transformation dans l’approche de la grande pauvreté :
1. La misère est une violation des droits de l’Homme
Elle prive ceux qui la subissent de l’effectivité de leurs droits fondamentaux et ces droits fondamentaux sont constitutifs des Droits de l’Homme. Lutter contre la misère, c’est donc lutter pour le respect des Droits de l’Homme.
2. Il faut une politique globale pour lutter contre la misère
Les droits fondamentaux sont indivisibles. Pour bien lutter contre la misère, il faut donc prendre les personnes dans leur globalité.
3. C’est avec les personnes en grande pauvreté que l’on doit élaborer les projets.
Seules les personnes démunies peuvent dire ce qu’elles vivent. Il faut les associer à la réflexion, l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des actions.
Ces trois éléments adoptés par le CES sont au cœur des objectifs des sept réseaux Wresinski (habitat/ville, emploi/formation, santé, famille, école, vacances, et culture).
Les réseaux Wresinski ont en outre le rôle d’organe de propositions, de vigilance et d’évaluation de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998. Depuis son adoption, « la lutte contre les exclusions est un impératif national » (art 1). Elle tend à garantir l’accès effectif à l’ensemble des droits fondamentaux. L’article 140 affirme plus précisément le droit à l’égalité des chances par l’éducation et la culture.
Concrètement, les réseaux Wresinski réunissent des professionnels qui dans leur domaine d’activité, ont le souci d’atteindre les personnes les plus démunies et de les associer aux décisions les concernant. Ces plates-formes d’échanges ont pour mission :
le partage de la connaissance acquise auprès de personnes démunies,
le partage de la connaissance du fonctionnement et du dysfonctionnement de la société à leur égard dans les différents métiers,
le soutien à l’engagement des professionnels,
la mutualisation des « bonnes pratiques » qui portent leurs fruits,
la participation à la création d’un courant du refus de la misère et de l’exclusion.
Il réunit actuellement 360 membres (personnel d’institutions culturelles : bibliothèque, musée, théâtre ; salariés ou bénévoles d’associations ayant une vocation culturelle ; artistes, enseignants et formateurs dans le domaine artistique et culturel ; travailleurs sociaux ; représentants des pouvoirs publics ; membres du Mouvement ATD Quart Monde engagés dans des actions culturelles ou artistiques).
Les activités culturelles et artistiques représentées sont diverses : lecture, écriture, conte, poésie, chant, arts plastiques, théâtre, sorties culturelles… Certains professionnels, membres du réseau, ont mené ou mènent encore des actions en partenariat avec le Mouvement ATD Quart Monde, d’autres pas.
Le réseau Wresinski Culture
Le réseau Wresinski culture se définit comme une plateforme d’échanges pour les professionnels dont les pratiques témoignent d’un engagement dans la lutte contre les exclusions. Il réunit actuellement 400 professionnels (personnels d’institutions culturelles : bibliothèque, musée, théâtre, salariés ou bénévoles d’associations ayant une vocation culturelle, artistes, enseignants et formateurs dans le domaine artistique et culturel, représentants des pouvoirs publics). Les activités culturelles représentées sont diverses : lecture, écriture, chant, conte, arts plastiques, théâtre, photo… Certains professionnels, membres du réseau ont mené ou mènent encore des actions culturelles en partenariat avec le Mouvement ATD Quart Monde, d’autres pas du tout.
Ce réseau national est né en février 2000 sous l’impulsion du secrétariat culture du Mouvement ATD Quart Monde. Il fait partie des 9 réseaux Wresinski (école, travail-métiers, habitat-ville, santé, famille, culture, vacances familiales, vie locale citoyenne, relations avec le Parlement) initiés depuis plusieurs années, dans la continuité du rapport Wresinski « Grande pauvreté et précarité économique et sociale » voté par le Conseil Économique et Social en 1987.
Contacts :
Anne de Margerie, animatrice du réseau Wresinski culture
Mouvement ATD Quart Monde
Bella Berdugo, Christiane Botbol, Maxence Faivre d’Arcier
33 rue Bergère – 75009 Paris –
tél. 01.42.46.81.95 reseau.culture@atd-quartmonde.org
LEXIQUE
Alliés : Citoyens de tous horizons, engagés dans leur milieu (professionnel, culturel, syndical, politique, religieux…) à faire connaître la réalité de vie des populations qui vivent dans la grande pauvreté et les moyens proposés par le Mouvement ATD Quart Monde pour enrayer la misère. Certains d’entre eux sont engagés au sein de quartiers défavorisés, aux côtés des enfants, des jeunes ou des adultes.
Joseph Wresinski : 1917-1988. Né à Angers, dans un quartier pauvre, de parents immigrés (père polonais, mère espagnole) De 13 à 19 ans, il travaille comme pâtissier, période au cours de laquelle il rencontre la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. En 1936, il entre au petit séminaire. Il est ordonné en 1946. Il est nommé vicaire à Tergnier, puis curé à Dhuizel (Oise). En 1956, son évêque lui propose d’aller rencontrer les familles qui habitent le camp des sans-logis à Noisy-le-Grand, dans la région parisienne. Il y reste et fonde ce qui va devenir le Mouvement International ATD Quart monde.
17 octobre ou Journée mondiale du refus de la misère : Le 17 octobre 1987, à l’appel du Père Joseph Wresinski, 100 000 défenseurs des Droits de l’Homme se sont rassemblés sur le Parvis du Trocadéro, à Paris, pour rendre honneur aux victimes de la faim, de la violence et de l’ignorance, pour dire leur refus de la misère et appeler l’humanité à s’unir pour faire respecter les Droits de l’Homme. Une Dalle, proclamant ce message, a été inaugurée à cette occasion sur le Parvis des Droits de l’Homme et des Libertés, là où fut signée, en 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Les 100 000 personnes présentes étaient des citoyens de toutes origines, de tous milieux, et de toutes croyances. Certains représentaient de hautes autorités publiques, internationales, nationales ou locales. D’autres étaient des personnes et des familles vivant elles-mêmes dans la grande pauvreté et y résistant quotidiennement.
Depuis cette date, le 17 octobre de chaque année, les plus pauvres et tous ceux qui refusent la misère et l’exclusion se rassemblent dans le monde entier afin de témoigner de leur solidarité et de leur engagement pour que la dignité et la liberté de tous soient respectées : ainsi est née la Journée Mondiale du Refus de la Misère qui est reconnue par l’ONU, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté depuis 1992.
Militants Quart Monde : Personnes quotidiennement confrontées à la misère, dans leur propre vie, qui ont décidé de prendre durablement une part active au sein du Mouvement ATD Quart Monde à partir de leur implication dans leur milieu.
Mouvement ATD Quart Monde : Créé en 1957 par le père Joseph Wresinski et quelques familles très pauvres du camp des sans-logis de Noisy-le-Grand. Mouvement international, ses objectifs d’action prioritaires sont : détruire la misère par l’accès aux moyens nécessaires pour vivre en famille, l’accès au savoir, à la culture, à la formation et la prise de parole dans les débats publics. Mouvement familial, des Droits de l’Homme et pour la paix, il fait partie d’Organisations Internationales Non Gouvernementales (OING) et se fait le porte-parole des familles très pauvres auprès des organisations internationales comme le Conseil Economique et Social, l’ONU, l’UNICEF, l’UNESCO, le BIT, le Conseil de l’Europe…
Permanents (Volontaires) ATD Quart Monde : Hommes et femmes, célibataires ou mariés, d’origine sociale et de professions très variées, de toutes nationalités, ils rejoignent le Mouvement ATD Quart monde, acceptant un salaire minimum ainsi que la vie et le travail d’équipe. Ils sont presque 400 à travers le monde, répartis dans 23 pays.
Festivals des savoirs et des arts : Des professionnels, des artisans, des artistes, des habitants du quartier ou du village… sont invités à venir partager leur savoir-faire, leur art au cœur des quartiers défavorisés ou dans des lieux publics pour créer des moments de fête et d’amitié avec les enfants et leurs familles. Ces temps de partage de savoir organisés par le Mouvement ATD Quart Monde permettent une rencontre entre des personnes de tous milieux, le plus souvent au cœur de l’été.
Tapori : branche enfance du Mouvement international ATD Quart Monde, Tapori est un courant d’amitié entre enfants, de tous milieux à travers le monde, qui s’engagent là où ils sont, pour que tous les enfants aient les mêmes chances.
http://www.tapori.org/site/fr
Université Populaire Quart Monde : Lieu de rencontre, de formation réciproque entre des adultes vivant la pauvreté et des citoyens qui s’engagent à leurs côtés. Les participants débattent autour d’un thème qu’ils ont préparé, ils apportent leurs réflexions, leurs suggestions et leurs questions. Régulièrement, des invités participent, interviennent et se forment aussi à l’écoute de ces échanges.