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Quand la misère chasse la pauvreté

Quand la misère chasse la pauvreté

A travers une étude des valeurs et des mécanismes économiques actuels, l'auteur propose de réactualiser la notion de "pauvreté choisie" comme remède à un système économique qui, au-delà des richesses produites, fabrique autant de misère.

L’auteur distingue la pauvreté-misère d’aujourd’hui (privations, frustrations et indignités) et la pauvreté digne de nos ancêtres (vie frugale, sentiment d’appartenance à une culture, fierté de cette différence et de dimensions spirituelles fortes).

1. Archéologie de la pauvreté :
La pauvreté fait son apparition lorsque les gens perdent le sens du partage et c’est ce qui se passe quand les gens arrivent en ville. Deux exemples :
– Les Amérindiens du Canada : la pire forme de la pauvreté, ce sont les conditions sociales et culturelles qui poussent les jeunes à se détruire par l’alcool, la drogue et à entrer dans le cercle infernal des violences urbaines. Nous nous sentons pauvres quand nous nous rendons compte que les buts que nous voulons atteindre sont au-delà de notre portée.
– Les domiciliés des trottoirs de Calcutta : les idéologues sont incapables d’écouter et de respecter les personnes qu’ils se donnent pour mission de « tirer de l’ignorance ». Ceux qui vivent sur les trottoirs ont échoué là parce que des processus économiques, politiques et sociaux les ont contraints à quitter leurs villages dans l’espoir d’aider leurs proches restés sur place. Sans eux, bien des activités de la cité seraient paralysées, mais au lieu de reconnaître les services rendus, ils sont méprisés, exploités et accusés de violer la loi.

2. Histoire du mot pauvre
Bi kas, en persan, désigne la condition de celui qui est « sans qui que ce soit » : personne pour s’occuper de lui, personne à qui parler, et surtout personne pour lui dire qu’il pourrait, lui aussi, être utile à d’autres. Pour l’homme de la Bible, le pauvre est moins un indigent qu’un inférieur, un petit, un opprimé.
Les pauvres deviennent suspects dès l’instant qu’ils quittent leur milieu et qu’ils s’installent quelque part, en étrangers, sans qu’on connaisse leurs vraies motivations.
Selon le Conseil économique et social, peuvent être considérés comme pauvres les individus et les familles dont les ressources sont si faibles qu’ils se trouvent exclus des modes de vie de la société dans laquelle ils vivent.

3. Le contexte actuel
Ce dont nous avons besoin pour vivre dépend, dans une large mesure, des choix que nous faisons en ce qui concerne notre mode de vie. Le problème fondamental des pauvres n’est pas qu’ils manquent de telle ou telle chose mais que les conditions sociales et économiques, le conditionnement de leur imaginaire ne leurs permettent plus de juger en toute autonomie de ce qui leur permettrait réellement de faire face à l’adversité.
Des dispositifs puissants de dissuasion – mis en place dans les milieux de l’économie, du savoir, du pouvoir et des médias – sont bel et bien en marche pour décourager ou empêcher les masses de faire des choix autonomes, contraires à l’esprit du marché. Aujourd’hui, le riche est tout aussi mécontent que le pauvre : le pauvre voudrait devenir millionnaire et le riche multimillionnaire…
La pauvreté des sociétés vernaculaires a été perçue selon des critères définis pour les sociétés du nord, converties au tout économique, qui prétendaient non seulement que tous avaient les mêmes besoins mais aussi que ces besoins devaient et pouvaient être satisfaits de la même façon. Ainsi, on définit un « pauvre » universel caractérisé par un revenu inférieur à un dollar par jour.

4. La grande rupture
En dépossédant les pauvres de leurs moyens de défense contre la nécessité, l’économie dominante les a aliénés à un système productif échappant totalement à leur contrôle. Ils subissent une propagande impitoyable pour des besoins nouveaux et souvent addictifs qui font d’eux les témoins passifs de leur aliénation.
Les pays « pauvres » ont été poussés à rompre avec les principes d’une économie autosuffisante, à chercher leurs sources de richesse à l’extérieur et à voir leurs modes de vie véritablement colonisés (grands barrages, importation de semences…) Les exigences du progrès ferment la porte à toutes les alternatives qui permettaient naguère aux pauvres d’exercer une activité lucrative.

On est passé progressivement de la solidarité avec le prochain à l’aide au pauvre.

Annick Mellerio

Actes Sud – 2003 – 315 p.