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L’école peut-elle sauver la démocratie ?

L’école peut-elle sauver la démocratie ?

L'école démocratique de masse a sans doute réduit les inégalités scolaires, mais elle a surtout transformé le mode de production de ces inégalités en accentuant la compétition dégageant les vainqueurs et les vaincus de la massification.

La promesse  des réformateurs du système scolaire entre 1960 et 1975 était de permettre à tous l’accès à un nouveau statut de culture et de connaissance : ouverture de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur au plus grand nombre. Dès 1975 la création du collège unique de la réforme Haby est devenue le moteur de l’école démocratique de masse, associée à l’idéal de l’égalité des chances méritocratiques.

C’est depuis ces cinquante dernières années qu’on a progressivement réalisé l’ambiguïté de cette politique scolaire. Car il est apparu que le système méritocratique, où chacun doit se sentir responsable de son effort et de sa valeur, procédait finalement à un filtrage, une distillation continue, comme le nomment les auteurs. Tous ceux qui n’arrivaient pas à suivre – en raison du contexte culturel ou familial, à cause du rythme de compétition accru, d’un habitat en « quartier difficile » ou d’une assignation à un « établissement à problème » – tous ceux-là sont progressivement exclus. Si dans l’école républicaine, les injustices étaient vécues comme étant d’origine sociale, dans l’école démocratique de masse les inégalités scolaires sont vécues comme des épreuves personnelles d’échec ou de réussite.

Autre revers actuel de ce système, très bien décrit dans le chapitre « Des diplômes utiles à tous et à chacun », c’est l’inadéquation entre le rythme de production des diplômes et celui des emplois correspondants, entre la valeur du diplôme obtenu et la « capacité à se vendre » sur le marché du travail. Les étudiants, 8 fois plus nombreux qu’il y a 50 ans, s’aperçoivent que, malgré leurs études et leurs réussites, leur position sociale n’en sera pas meilleure lorsqu’ils auront à s’insérer dans le monde du travail. Autre effet de la massification scolaire : elle accentue la stigmatisation des non diplômés, les plus nombreux, ou des peu diplômés, créant ainsi un creusement des inégalités à partir des parcours d’insertion.

Quand on apprend que « 20% des élèves qui entrent au collège ont de grandes difficultés pour lire, écrire et compter, on peut imaginer ce que sera leur avenir scolaire et social »… On peut alors s’interroger sur le coût du développement des filières d’excellence (Grandes écoles, ENA, Polytechnique, HEC), et estimer que « l’on aurait gagné en justice sociale à moins investir dans le sommet de la pyramide éducative pour allouer les sommes ainsi dégagées à la réduction des inégalités entre jeunes enfants ».

Un ouvrage remarquable, à lire absolument par tous, enseignants, parents et… ministre !

Jean-Pierre Touchard

Éditions du Seuil – 2020 – 240 p.