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La Cité de mon père

La Cité de mon père

Journal du fils aîné d'une famille algérienne, un couple et six enfants, qui a vécu les années 1960 puis les Trente Glorieuses avec le statut d'immigrée, et qui, reconnue "solvable", habite enfin un HLM. 

La famille de l’auteur arrive en France dans le bidonville de Nanterre, puis est transférée dans une cité de transit et longtemps après parvient à obtenir un HLM… C’est à partir de cette dernière période que l’auteur nous raconte ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils vivent à présent.
Le livre débute lorsque son père reconnaît enfin son nom « Charef » inscrit sur la boîte aux lettres dans le hall d’entrée de l’immeuble. Désormais il est fier, « il a réussi, mon papa », on nous a dit « bons pour vivre en société » ! « Pendant de longues années, il a subi les épreuves qu’ont connues tous les pères de chez nous ». « Il nous a scolarisés non parce qu’en France l’école est obligatoire, mais parce qu’une fois instruits, nous aurions en main les outils pour bâtir un socle aux anciens et, dans nos cahiers, nos têtes, nos bouches, tous les mots qui les étranglaient, qu’ils s’interdisaient… »

Le second chapitre décrit finement dans quel état d’esprit vit sa maman dans le nouveau logement. « Elle ne sait ni lire ni écrire, ni l’arabe ni le français. Elle est larguée, mais il lui reste d’être mère »: c’est elle qui fait vivre la famille. Elle se sent séparée de ses amies de la cité de transit. Elle ne sort jamais seule… Son fils nous rend sensible à l’amour et au grand respect qu’il éprouve en la regardant.

Puis vient le récit de leur accession au statut d’habitants d’HLM : l’angoisse de quitter nos baraques d’Algeco où nous vivions depuis huit ans. Pour aller où ? Au début nos voisins étaient une dizaine de familles françaises :  » je me suis dit que l’intégration ne se fera pas que dans un sens « … Rapidement certaines « ont préféré nous quitter […] elles n’étaient pas des indigènes. L’esprit colon, on s’en vante, on le conserve, ça fait de vous quelqu’un « . Seules trois familles sont restées: on les a surnommées « les communistes »…
L’auteur évoque aussi les enfants de la troisième génération, celle  » qui me suit  » dit-il, celle qui refuse l’intégration:  » ils n’acceptent pas le sort que la France a infligé à leurs pères « .
Plus loin, c’est la vision de ce qu’il aperçoit de son balcon : quelques parents qui attendent à la sortie de l’école, un petit groupe de femmes, de pères, de couples de toutes nationalités qui ont fait le choix de se rencontrer avec d’autres pour accueillir leurs enfants.  » Ni mon père, ni ma mère ne sont jamais venus me chercher à la fin d’une journée « .

Mais, c’est en cela que ce livre est déroutant, entre chaque tableau de son vécu, l’auteur insert un monologue, sorte d’invocation qu’il adresse à sa petite sœur Amaria morte noyée dans un puits et restée ensevelie dans un cimetière de montagne. Dans ces adresses à l’au-delà, il se confie, il raconte ses soucis : comment vivent maintenant ses sœurs, comment il a souffert dans sa scolarité. Il rappelle aussi les horreurs qu’enfants ils ont dû connaître pendant la guerre. La plus touchante de ces évocations est celle d’un après-midi passé au hammam avec sa mère quand il avait 7 ans:  » Ma belle et jeune maman était une image, un portrait qui a échappé à Delacroix et à Picasso avec leurs femmes d’Alger « …  C’est aussi dans l’une de ces conversations, qu’il lui avoue son désir le plus intense :  » Je n’étais pas envisagé dans le pays où je débarquais…Alors j’ai choisi, accepté l’exil, et mon univers, écrire ».

Dans le dernier texte du livre, le plus intime, l’auteur revendique ses aspirations de jeune homme: « j’ai vingt ans » répète-t-il; son ambition d’être reconnu physiquement, sexuellement : « c’est de mon corps que je vis, par lui qu’on me voit »; il redit son droit à l’écriture: « …écrire est pour moi un acte sexuel »; il affirme son statut d’immigré: « …étranger en Algérie, …étranger en France. Je me sens frère de tous ». Mais il avoue aussi sa grande détresse: « Rien n’est plus douloureux que de vivre invisible »!

Jean-Pierre Touchard

Édition Hors d’atteinte – 2021 – 142 p.

Mehdi Charef est également l’auteur de Rue des Pâquerettes et Vivants