Pourquoi ce projet de loi vous inquiète-t-il ?
Les familles en très grande détresse, en très grande difficulté, ont souvent du mal à maintenir le lien avec leurs enfants. Les parents sont souvent laissés trop seuls et ils se retrouvent encore plus démolis après le placement. Tout n’est pas mis en oeuvre pour soutenir les enfants et les parents après un placement. Les droits de visite sont parfois trop peu fréquents ou se déroulent dans des lieux pas toujours chaleureux, où les parents se sentent observés. Cela ne favorise pas le renforcement des liens.
À quoi cela tient-il selon vous ? C’est une question de manque de moyens, un problème de « culture », de regard porté sur ces parents ?
Le droit prévoit que le but ultime du placement est de favoriser, au maximum, le retour des enfants dans leur famille. Ce n’est pas une mesure définitive. C’est d’ailleurs inscrit dans le droit français et européen. Les référents de l’aide sociale à l’enfance n’ont pas toujours le temps d’un véritable travail avec les familles. On manque aussi de lieux de rencontres pour ces parents, entre eux, pour les aider aussi à sortir de la honte.
Il y a des expériences de ce genre…
Oui, comme l’Espace de Vie qui, dans le Nord, rassemble des professionnels de la protection de l’enfance et avec lequel nous travaillons. Les enfants et les parents peuvent passer du temps en famille, pendant un week-end, dans un gîte à la campagne qui peut accueillir deux ou trois familles. Cela leur permet de se retrouver, de vivre des choses ensemble. Les enfants redécouvrent leurs parents, peuvent être fiers d’eux. Les parents en côtoient d’autres. C’est important.
Quel est le résultat de ce genre d’expérience ?
Un père un jour m’a dit : « Je me suis rendu compte que j’étais capable d’être le père de mes enfants ». Les parents en grande difficulté finissent parfois par baisser les bras. Ils ont du mal à comprendre les réactions de leurs enfants, parfois difficiles à vivre pour eux. La séparation est déjà une immense souffrance, et le placement est toujours un drame humain.
Il y a quand même de vraies situations de délaissement et l’adoption peut parfois être une réponse ?
Il y en a certainement mais je regrette qu’on laisse penser que l’Aide sociale à l’enfance est un réservoir d’enfants adoptables. Il faut plutôt s’interroger sur la façon dont on accompagne ces familles. Quand tous les liens sont rompus, est-ce que tout a été fait pour les maintenir ?
Que faut-il faire selon vous alors ?
Nous proposons une commission qui statue sur la pertinence de ces constats de délaissement. Il faut pouvoir aider les parents à retrouver l’estime de soi et confiance en eux-mêmes. Le placement, ce n’est pas toujours négatif. Mais il faut pouvoir comprendre pourquoi et comment, et mettre en place les conditions du retour de l’enfant dans la famille.
Il faut plutôt s’interroger sur la façon dont on accompagne ces familles. Quand tous les liens sont rompus, est-ce que tout a été fait pour les maintenir ?
Propos recueillis par Florence Traullé, Nord-Éclair, 2 avril 2009.
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