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Quand des voix se rencontrent et s’accordent / RENCONTRE AUTEUR
Description
Rencontre avec Jean-Paul Baget
L’Atelier-chant d’ATD Quart Monde
Vous définissez-vous comme un artiste ?
Jean-Paul Baget : Nous le sommes tous en tentant d’être créateurs de nos vies. Certains en font profession. Ces “artistes” sont là pour réveiller chez tout être humain le sens du beau et le goût de vivre. Le chant permet d’exprimer le plus intime, l’unique de chaque individu. La musique est une clé qui permet de ré-ouvrir toute la gamme des émotions. On peut chanter lorsqu’on a mal, lorsqu’on a peur, lorsqu’on est heureux. Les compositeurs ont écrit à partir de ce qu’ils ressentaient, pas à partir de notes. Les personnes du Quart Monde le sentent parfaitement. Avec elles, nous ne chantons pas n’importe quoi, mais des chants sacrés, du monde, des chants de révolte, de foi en l’homme. “Freedom”, par exemple, est l’hymne de libération d’un peuple. En ce moment, je travaille avec la municipalité de Champigny (Val-de-Marne) sur un projet d’une musique de qualité pour des enfants en difficulté scolaire. L’un d’eux m’a émerveillé en interprétant “Armstrong”, après être resté silencieux six séances. Le chant permet cela : oser se livrer sans se mettre trop en danger, ce qui donne de la force. La voix de l’autre me touche pour cela : parce qu’elle nous révèle, y compris avec nos failles.
Y compris celle du chef de choeur ?
J-P B. : J’ai une histoire blessée, comme tout le monde. Je suis le dernier d’une famille de six enfants dont l’aînée, pianiste, choriste, était une artiste. Je passais beaucoup de temps avec elle. A l’âge de 5 ans, mon père a refusé que je fasse de la musique. Ce désir brisé explique que je me suis toujours trouvé solidaire des sans voix et que j’ai choisi d’aider d’autres à accoucher de leurs voix. Mais il a fallu déjà trouver ma propre “voie”. Bien que prédestiné à des études en maths, j’ai quitté la maison familiale pour découvrir le monde. J’ai travaillé à l’usine, avec des maraîchers, à l’entretien d’immeubles. Mon CAP en poche, je me voyais menuisier à la campagne. A 17 ans, l’appel de l’Abbé Pierre proclamant que le monde de demain est entre nos mains et qu’il fallait être “passionnés et compétents”, m’a fait rejoindre Emmaüs lors de camps d’été. Je me suis ensuite engagé dans une communauté, chiffonnier avec des hommes cassés par l’existence. Une formidable école de vie. Puis, éducateur de rue, j’ai “basculé” enfin dans le théâtre et la musique, à Nantes, Bruxelles, Paris, avant de devenir chef de choeur. J’ai reconnu un deuxième prophète en Joseph Wrésinski. Son invitation à partager le meilleur de soi-même, son tempérament artiste, son désir de l’art pour les plus pauvres, m’ont touché. Je me suis mis au service d’Atd Quart Monde : concerts, Semaines d’Avenir partagé, opération 100.000 voix pour les sans-voix pour le premier 17 octobre 1987… Jusqu’à l’Atelier-Chant co-animé avec Brigitte Bourcier, volontaire du Mouvement.
Comment résumer ces rencontres autour de la voix ?
J-P B. : Se voyant sur une vidéo, certains se sont exclamés : “on est beau !”. Chacun, dont moi, peut être très fier de ce qui a été accompli. Dans mon travail, je me fixe des règles : la bienveillance, le non-jugement, la confiance, le droit sacré à l’erreur, la possibilité d’être différent et unique, ouvrir un espace pour oser être soi. A l’envers de la honte que ces hommes et ces femmes portent depuis l’enfance à force d’entendre “t’es nul”, “tu vaux rien”… Je crois que chacun de nous a réussi à partager avec pudeur sa vérité. Les jeunes du chœur Passador également qui ont été partenaires. Ce qui a été donné et reçu l’est pour la vie. Mais c’est important de rester libre pour avancer : aller dans une autre chorale, chercher du travail, simplement oser s’exprimer et surtout cultiver son talent. Pour ma part, formateur d’enseignants et de chefs de chœur, je cherche comment en entraîner d’autres à vivre cette rencontre humaine et artistique. A l’écoute du talent unique de chacun.
Propos recueillis par Chantal Joly