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” Lafuite ” / EXTRAITS
Description
Extrait du roman Quand les boussoles perdent le nord
« Je suis super concentré, je dois coller l’aile gauche au corps de l’avion.
Avec le pistolet à colle, c’est pas compliqué, il faut juste faire attention à ne pas se brûler les doigts.
Je m’applique tellement que je ne remarque pas M. Bauer qui se tient à côté de moi, peut-être depuis un moment déjà. Il attend que l’aile tienne et me demande alors :
<img803|left>– Tu permets que je regarde où en est ton avion ?
Pas très rassuré, je fais oui de la tête. Il le soulève délicatement et l’observe sur tous les côtés, puis il me demande en désignant la soute :
– Et que vas-tu mettre là-dedans ?
C’est loin d’être une soute à bagages ordinaire. La mienne s’ouvre comme un tiroir. Je ne suis pas peu fier de ma trouvaille. Faut dire que j’y ai travaillé plusieurs heures. Je tire doucement sur le ruban. Pour le moment, le tiroir est vide et je n’ai encore avoué à personne
ce que j’avais l’intention d’y mettre. Je respire un bon coup puis je me lance d’un trait :
– Quelque chose de dégoûtant. De la merde de chien ou quelque chose comme ça !
– Pardon ?
J’ai cru que M. Bauer allait s’étrangler.
– T’es pas sérieux, là ?
– Mais si ! C’est vous qui avez dit de laisser galoper notre fantaisie, alors j’ai pensé…
– Mais tu ne peux pas mettre une chose pareille dans ton avion…
– C’est pas un avion, c’est « Lafuite » !
– Admettons, « Lafuite », mais tu ne vas pas y introduire cette… chose, quel que soit le nom que tu donnes à ton engin !
– Mais pourquoi pas ? Vous nous avez pourtant demandé d’inventer quelque chose qui nous change la vie ! Non ?
je rétorque, tout en collant l’autre aile de « Lafuite » à l’endroit marqué d’avance.
M. Bauer me regarde avec de grands yeux ronds.
– Je ne vois vraiment pas le rapport ! Comment de la crotte de chien, ou quoi que ce soit de ce genre, pourrait changer notre monde ?
Je laisse échapper un long soupir. Comment est-ce que j’ai pu croire, ne serait-ce qu’une seconde, qu’un adulte pouvait comprendre ! J’avais enfin trouvé une vraie solution à mes problèmes et voilà que M. Bauer fait tout un cirque pour un peu de merde de chien !
Comme
je ne dis plus rien, M. Bauer reprend la parole, et là je comprends qu’il ne rigole plus.
– En aucun cas je ne permettrai que tu présentes une telle chose à l’exposition, à l’hôtel de ville. Tu as compris Manuel ?
Je le regarde droit dans les yeux et lui lance :
– Et pourquoi pas ?
Silence. Toute la classe écoute notre conversation. Ça met aussi M. Bauer mal à l’aise.
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Apparemment, il cherche quoi dire pour mettre fin à cette discussion le plus vite possible.
– Parce que… parce que… ce serait indéfendable d’un point de vue pédagogique !
Kevin rit et lance, pas trop fort, autour de lui :
– C’est logique qu’il déconne lui aussi, vu que sa mère est à l’asile de fou !
Dans ma tête, tout se met à tourner comme un carrousel fou. C’est comme si la rage qui monte en moi me catapultait hors de mon corps. Je vois le pistolet à colle tomber de ma main, mon pied faire valser « Lafuite » à travers la pièce et l’aile que je viens de coller cassée sur le plancher.
Je me retourne comme l’éclair, envoie à Kevin une tarte
monumentale qui le fait tomber de sa chaise, et me dis tout bas :
« En plein dans le mille ! »
Il y a comme une odeur de cramé.
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– Manuel, Manuel… t’es devenu fou ou quoi ?
Les paroles de M. Bauer m’arrivent comme d’un autre monde.
– Manuel !
M. Bauer me tient par les épaules. Sa voix est rauque et des gouttes de sueur perlent à son front.
– Que se passe-t-il avec toi ?
Lentement je reprends mes esprits et je me calme. Mais quand je remarque tous les regards de la classe tournés vers moi, un ressort se déclenche en moi. D’un bond, je franchis la porte et fonce vers l’escalier. Pourquoi faut-il que notre classe soit au cinquième étage ?
Je saute deux marches à la fois. Quatrième étage. Je cours aussi vite que possible.
Ma tête tourne. Derrière moi, j’entends les pas et le souffle de M. Bauer qui a du mal à respirer. Troisième étage. Encore un effort. Deuxième étage. Je suis presque arrivé à la sortie.
Et là, je sens ma cheville me lâcher. Merde ! Mon lacet s’est défait ! Un coup d’oeil vers le bas, trop tard. Je bascule et dégringole les marches pour atterrir sur le palier du premier étage.
Sonné, je reste quelques secondes à terre. Puis je frotte mon coude qui saigne un peu.
Et c’est à ce moment-là seulement que je me rends compte de la catastrophe : mes lunettes ! Dans ma chute, je les ai perdues et la monture s’est cassée ! Manquait plus que ça ! Quand mon père apprendra ça, il va avoir un accès de folie furieuse ! Avec précaution,
je ramasse les deux bouts de mes lunettes et je les fourre dans la poche de mon pantalon.
Heureusement, les verres n’ont rien.
La cloche sonne pour la pause de midi. Toutes les classes sortent en riant et en courant.
Une main se pose sur mon épaule.
« Dans mon bureau, tout de suite ! »
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