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Baser le débat sur la pauvreté sur des données factuelles

Pour le chercheur Louis Maurin, il est essentiel de s’appuyer sur des statistiques fiables pour bien cerner le phénomène et mieux le combattre.

Louis Maurin revient sur le 1er Rapport sur la pauvreté publié par l’Observatoire des inégalités qu’il dirige et sur le rôle des statistiques pour éclairer le débat et pouvoir changer les choses.

Combien y a-t-il de personnes pauvres en France ?

Si l’on prend le seuil de pauvreté à 50% du niveau de vie médian – autant de Français gagnent plus et autant gagnent moins -, on compte entre 4,8 et 5 millions de pauvres. Si l’on prend le seuil à 60%, on en dénombre 9 millions.

Ce seuil de 60% a été introduit à cause d’une harmonisation européenne. Il est le plus souvent utilisé, notamment par l’INSEE. Mais en termes monétaires, une famille avec deux enfants touchant 2 500 euros par mois se retrouve comptée parmi les pauvres. On regroupe ici des populations tellement différentes que l’on ne comprend plus rien. Quand on peut, il vaut bien mieux prendre le seuil de 50%, qui est aussi utilisé mais moins souvent.

La pauvreté s’est-elle stabilisée ?

A court terme, comme il y a eu une amélioration de l’emploi, le nombre de pauvres s’est stabilisé entre 2013 et 2016. Mais si l’on regarde par rapport au début des années 2000, on est passé de 4,1 millions à 5 millions en 2016, soit de 7 à 8% de la population. On observe les mêmes tendances pour la grande pauvreté (40% du niveau de vie médian).

J’ajouterais que des personnes vivent aussi en France avec 300-400 euros. Peu visibles, il est très difficile d’avoir des données. On y trouve des migrants qui n’ont pratiquement rien pour vivre, des personnes au chômage depuis longtemps qui ont connu une rupture…

Vous dénoncez une exagération de la pauvreté.

Beaucoup pensent, croyant bien faire, que plus le nombre de pauvres sera haut, plus cela fera du bruit et on pourra mobiliser. Mais l’exagération a des effets pervers. Elle conduit à un discours sur  » le pognon de dingue  » (des prestations sociales) qui ne servirait à rien puisque la pauvreté ne cesserait d’augmenter. Il conduit aussi certains à dire, se référant aux familles ayant 2 500 euros par mois, que  » les pauvres ont des écrans plats « … Enfin, cela entretient une forme de résignation notamment chez les jeunes qui se disent :  » on prend n’importe quel boulot, avec 10 millions de pauvres et des millions de chômeurs.. ».

Souvent les associations pratiquent cette exagération. Il faut les comprendre : en France, des gens vivent de façon indigne par rapport à la richesse de notre société.

Vous ne croyez pas à une pauvrophobie montante ?

Le discours d’ATD me semble extrêmement dangereux. On diffuse l’idée que la pauvrophobie est largement répandue chez les Français, on l’accrédite chez les politiques et on se retrouve avec des discours sur l’assistanat… Or, les enquêtes sur les valeurs le montrent : massivement les Français soutiennent les plus pauvres.

Il faut bien sûr s’élever contre le discours sur l’assistanat mais il faut combattre les personnes qui le prononcent et ne pas englober toute la société. Sinon, on en fait une réalité dans le débat médiatique. Or, on ne peut pas faire comme si la France n’était plus solidaire – il y a le bénévolat associatif, les dons, tout un tissu social … Il faut se battre avec des arguments factuels.

Avez-vous eu des surprises en faisant ce rapport ?

Certaines choses ne sont pas assez prises en compte dans le débat. Lorsque l’on compare les taux de pauvreté en Europe, grâce à son modèle social, la France a un taux faible et elle est l’un des pays où la pauvreté est la moins durable – 20% des personnes devenues pauvres une année le sont encore 4 ans après.

Contrairement à une idée reçue, tout le monde ne peut pas devenir pauvre du jour au lendemain. C’est le diplôme qui classe et qui fait la situation sociale dans notre pays. Les personnes en difficulté sont à 80% peu diplômées. Voilà un problème-clé à résoudre : l’école favorise les plus favorisés.

Notre rapport souligne aussi la situation particulièrement difficile des jeunes et des familles monoparentales ainsi que les inégalités territoriales.

Y aura-t-il une suite ?

Sans doute. Il y a un réel besoin de faire un état des lieux indépendant et de mettre les données du débat sur la table si l’on veut réussir à changer les choses.

Recueilli par VS

 

Les chiffres de la grande pauvreté

2,1 millions

de personnes vivent en France avec au mieux 684 euros par mois pour une personne seule, soit 40 % du niveau de vie médian, selon les données 2016 de l’INSEE, les dernières disponibles.

4 millions

de ménages vivent avec les minima sociaux, soit plus de 6 millions de personnes en comptant les conjoints et les enfants, selon l’INSEE.

4,8 millions

de personnes, soit environ 7 % de la population, ont recours à l’aide alimentaire, selon l’enquête 2016 du ministère des Solidarités.

800 000

personnes n’ont pas de domicile personnel tandis que 2,4 millions vivent dans un habitat dégradé, selon la Fondation Abbé Pierre.

(Source : Rapport sur la pauvreté en France)

 

 

Rapport sur la pauvreté en France

Observatoire des inégalités et Compas, éd. Observatoire des inégalités, 2018. 96 p.

Un ouvrage de référence avec des analyses étayées par des chiffres précisément sourcés.

(En téléchargement gratuit. Ouvrage imprimé à commander sur inegalites.fr)