
Aurélie Jolivière, fierté retrouvée
« Ce qu’il faut, c’est faire bouger les gens ! » (Aurélie Jolivière)
ATD Quart Monde a été une véritable planche de salut pour Aurélie Jolivière, l’aidant à surmonter les difficultés de son adolescence. Aujourd’hui, la jeune femme fait bouger les autres comme elle-même a été secouée par sa rencontre avec le Mouvement : avec énergie et tendresse.
De son premier contact avec ATD Quart Monde, Aurélie Jolivière garde le souvenir d’une voix chaleureuse. Celle d’une inconnue qui se penche en souriant vers l’ado qu’elle était alors, traînant sa détresse dans la rue à une heure à laquelle les autres filles de 16 ans étaient au chaud chez elles. Cette inconnue, c’était Anne-Marie Toussaint, volontaire permanente d’ATD Quart Monde. « J’ai eu une enfance un peu compliquée, se souvient Aurélie. Quand ma route a croisé celle d’Anne-Marie et de Jean, son mari, je séchais l’école, je restais dans la rue, seule… Ce jour-là, elle m’a juste demandé ce que je faisais là, si j’avais besoin de quelque chose. Puis elle m’a donné l’adresse de la Maison des métiers(1) en me disant que je pouvais y aller quand je voulais. » Quelques jours plus tard, elle poussait la porte pour ne plus quitter ATD Quart Monde. À la Maison des métiers où elle a finit par se rendre tous les jours plutôt que de zoner, Aurélie se souvient qu’il y avait toujours une activité à faire, de la réparation de vélos à la menuiserie. Elle garde surtout en mémoire la chaleur humaine qu’elle y a trouvée. « J’étais perdue à l’époque. J’avais besoin de gens qui s’intéressent à moi. Anne-Marie et Jean étaient gentils : je me suis accrochée à eux, tout simplement. »
Aurélie parvient à franchir le pas de cette adolescence difficile. Sans formation, elle enchaîne les petits boulots de serveuse ou de femme de ménage pour vivre. Puis elle rencontre celui qui va devenir le père de son fils et cesse de travailler durant une longue période. « Quand mon fils a eu trois ans, je me suis dit qu’il fallait que je m’occupe de moi, que je me bouge. J’ai toujours aimé les voitures : j’ai décidé de chercher un boulot dans ce domaine. » Armée d’une volonté de fer et d’un sourire conquérant, Aurélie se lance alors à l’assaut des entreprises d’intérim. Son punch et son goût pour les métiers qui bougent séduisent. Très vite, elle décroche ses premiers contrats de chauffeur-livreur, qui se succèdent jusqu’à ce qu’on l’envoie chez un loueur de voitures pour préparer des véhicules, remettre en état ceux qui sont accidentés et les retourner aux constructeurs. « Je suis carrée, et ça, dans le boulot, ils ont apprécié : ils ont voulu me garder. » Pendant plusieurs années, les CDD se succèdent chez ce grand loueur. Au volant, Aurélie sillonne la France, jusqu’à ce qu’un concours de circonstances la pousse chez un autre loueur, où elle est embauchée en CDI pour faire du convoyage. Une vie droite et organisée qu’elle s’est gagnée à force de pugnacité. « Je fais des horaires pas possibles, je me lève tôt, mais je suis fière de travailler, de gagner un salaire à la fin du mois et de me dire que ce n’est pas la société qui me porte… »
Même si elle a désormais un travail, un logement et une vie parfaitement autonome, ATD Quart Monde conserve une place à part dans le cœur d’Aurélie. « C’est toujours un peu ma deuxième maison », dit-elle. Elle participe aux Universités populaires Quart Monde à Bordeaux, tout en portant sur cette activité un regard exigeant : « On se regarde un peu le nombril. Si on veut agir avec les gens, il faut pas se contenter de les écouter. Il faut bouger, proposer des choses ! » Se définissant comme un « poil à gratter », Aurélie n’hésite pas à secouer le Mouvement, qu’elle trouve parfois un peu trop routinier. Elle qui a joué dans le film « Joseph l’insoumis » racontant les débuts d’ATD Quart Monde à la fin des années 1950(2) préfère regarder le présent. « Aujourd’hui, il n’y a plus de bidonvilles comme à cette époque. À Bordeaux, on peut parler de précarité, pas de grande pauvreté. Ce qu’il faut, c’est faire bouger les gens ! », dit cette pile électrique qui n’arrête pas elle-même de bouger. D’où son engagement pour proposer, avec deux autres personnes, des activités artistiques à un groupe de jeunes. « C’est en faisant quelque chose de concret que les jeunes peuvent parler. Si on les pose sur une chaise et qu’on leur dit « alors ? », il ne va rien se passer. » Une manière pour elle de donner à d’autres ce qu’elle a reçu d’Anne-Marie et Jean Toussaint : « Ils ne se sont pas apitoyés sur moi, ils m’ont sans arrêt reboostée. Quand j’allais mal, que je pleurais, ils me disaient que j’allais me relever, que j’en étais capable et ils me poussaient à bouger. C’était dur parfois. Mais ça m’a appris à être toujours positive, et si ça a marché pour moi, ça peut marcher pour d’autres. » Une manière de secouer les gens qui n’exclut pas la tendresse. À ses moments perdus, Aurélie écrit et slamme des poèmes sur la vie et l’amour. « On naît et on meurt seuls… Alors, entre temps, il faut prendre et donner tout l’amour qu’on peut pour éviter d’être seule ! »
Olivier Chartier