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ATD Quart Monde inaugure la chapelle Notre-Dame des sans-logis et de tout-le-monde à Noisy-le-Grand

Dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, ATD Quart Monde a inauguré, samedi 18 septembre, la chapelle Notre-Dame des sans-logis et de tout-le-monde à Noisy-le-Grand, après près de deux ans de travaux de restauration.

Installé sous les arbres du Centre de promotion familiale d’ATD Quart Monde, Eugène scrute les visages des petits groupes qui arrivent tranquillement pour l’Université populaire Quart Monde organisée à partir de 11h pour évoquer « la place de la chapelle dans la vie du camp ». Ce volontaire permanent a vécu dans le bidonville de Noisy-le-Grand de 1964 à 1966 et, peu à peu, il reconnaît certaines personnes qu’il n’a pas revues depuis de nombreuses années. Toutes sont émues de se retrouver là et de se remémorer ce que cette chapelle a représenté dans leur vie, ou dans celle de leurs parents.

Classée monument historique depuis 2016, l’édifice a été construit en 1957 au cœur du camp où 250 familles habitaient depuis 1954, d’abord sous des tentes, puis dans des abris très sommaires, les « igloos ». Ancienne habitante du camp, Marie se souvient de sa construction. « Un bébé était mort et avait été exposé dans le bois, car il n’y avait pas de chapelle. Cette façon dont les défunts du camp étaient considérés, c’était une honte pour la société. Tout le monde voulait une chapelle et ils ont commencé à la bâtir, avec leurs forces », décrit-elle. Des matériaux de récupération ou des dons sont utilisés.

Joseph Wresinski, arrivé au camp en 1956 pour être l’aumônier des familles, « a fait beaucoup pour cette chapelle et il n’a pas pris n’importe qui pour la construire. Il est allé chercher des artistes, il voulait le beau pour nous », poursuit Marie. Dessinée par une artiste, Monique Midy, l’architecture de l’édifice rappelle la forme des  « igloos ». Les vitraux sont l’œuvre du peintre Jean Bazaine et de la vitrailliste Marguerite Huré.

« Un point d’attache »

« La chapelle a toujours fait partie de notre vie », témoigne Mireille, qui a vécu de 8 à 18 ans au camp des sans-logis de Noisy. « Grâce à elle, on avait l’impression d’être un village comme un autre. » Comme beaucoup de participants à cette inauguration, elle n’a oublié aucun détail de sa vie dans ce bidonville, des chaussures pleines de boue qu’elle devait changer en sortant du camp pour aller prendre son bus, du courrier qui n’arrivait jamais, car « ce lieu n’existait pas pour les gens de l’extérieur ».

Adolescent à la fin des années 1950 dans ce camp, Bernard se souvient de la haine qu’il ressentait alors. « Je sortais de ce camp difficilement, parce qu’on était méprisé et j’allais voir les gens qui mangeaient dans des restaurants, alors que nous, on crevait de faim. Mais toute la haine qu’on avait à cause de la vie, des humiliations, on la laissait devant la porte de la chapelle. C’était un apprentissage du pardon. »

André a quant à lui connu le camp dès 1954. Il avoue qu’il a mis longtemps à pouvoir dire qu’il avait vécu dans un bidonville. « On était complètement exclu. Dans la classe, on était mis au fond, jamais interrogé, parce qu’on venait de là. Pourtant, j’ai eu une enfance heureuse et je garde de très bons souvenirs. Aujourd’hui, j’ai compris que ce n’est pas nous qui devions avoir honte. » Pour Linda, qui a connu le camp de Noisy une dizaine d’années plus tard, cet endroit représente « l’âme de la famille avec ses joies, ses rires et ses moments de tristesse ». Aujourd’hui encore, sa famille n’envisage pas un baptême, un mariage ou un enterrement ailleurs que dans la chapelle Notre-Dame des sans-logis et de tout-le-monde.

« Pour moi, c’est nos racines, c’est un point d’attache et c’est bien plus fort que la religion. On s’y sent bien », ajoute sa cousine, Lolita. « On était gamin, on allait à la messe de minuit et après il y avait un petit gueuleton. On y allait pour rigoler. C’est de beaux souvenirs d’enfance », confirme Irène. En tant que volontaire permanent, Eugène a lui aussi été marqué par « le réel contraste entre la gaîté des familles qui venaient se réunir à la chapelle, la beauté des vitraux, et la misère et la grisaille du bidonville. C’était choquant ».

Aujourd’hui sacristain de la chapelle, Jean-Pierre ne se lasse pas de raconter son histoire au public et de rappeler qu’elle a « même été construite par des non-croyants ». « C’est un honneur pour moi, une fierté. Paris a sa tour Eiffel, nous, on a notre chapelle, notre monument à nous », s’exclame-t-il.

« Entrer dans la grande histoire »

En 1969, au moment de la démolition du camp, « le père Joseph a cherché un bout de terrain qui était proche de la Cité de promotion familiale et on a déplacé la chapelle. Le préfet voulait la détruire », se souvient Gabrielle, volontaire permanente. L’édifice religieux reste donc l’unique vestige du camp des sans-logis et continue, au fil des ans, à être un lieu de rassemblement majeur pour les familles qui vivent à côté.

À la fin des années 1990, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, alors présidente d’ATD Quart Monde, écrit à la Direction régionale des affaires culturelles pour que « les services des monuments historiques s’intéressent à cette chapelle et la protègent », se souvient Claire Vignes-Dumas, qui reçoit alors ce courrier, à la Drac. Cette demande n’aboutit pas, mais cette historienne de l’art, chargée de la protection des monuments historiques, comprend que « la chapelle est le symbole du combat du père Joseph contre la misère et qu’il est important de faire entrer ce combat dans la grande histoire ». Elle attire à nouveau l’attention de la Drac sur l’édifice en 2009 et la chapelle est finalement classée monument historique en 2016.

« Un des grands monuments de l’histoire de l’architecture française »

« La reconnaissance de cette chapelle est une étape. Mais la misère continue, alors cette étape n’est pas le bout du chemin », affirme Isabelle Pypaert Perrin, membre de la délégation générale du Mouvement, au moment de l’inauguration officielle. « Les familles dans la pauvreté ne sont pas plus aimées aujourd’hui qu’en 1957 et le monde ne croit toujours pas en ce qu’elles construisent. Au contraire, on le détruit sans cesse parce que cela dérange nos plans, notre ordre, que c’est fait soit disant de bric et de broc, qu’on n’y voit pas de traces de beauté, d’ingéniosité, de projet », ajoute-t-elle en citant notamment le démantèlement d’un bidonville à Montpellier, il y a quelques jours. « Mais cette fois, grâce à tous ceux qui ont soutenu ce projet, ce que des pauvres ont construit pour dire haut et fort qu’ils sont des êtres humains, a été préservé, reconnu et restauré. »

Cette chapelle est « une église, une cathédrale, un château, elle est tout cela à la fois. Elle est  un des grands monuments de l’histoire de l’architecture française. C’est une fierté pour nous tous en France », souligne l’architecte en chef des monuments historiques, Pierre-Antoine Gatier, qui a travaillé pendant plus de deux ans sur les travaux de restauration. « Elle est à la fois quelque chose de très simple, avec ses moellons réutilisés, et une architecture très savante. L’essence même de ce projet de restauration est de transmettre à tous, pour toujours, votre chapelle extraordinaire« , conclut-t-il.

 

Photo : Inauguration officielle de la chapelle samedi 18 septembre 2021 / Université populaire Quart Monde sur « la place de la chapelle dans la vie du camp » / Coupure du ruban par la maire de Noisy-le-Grand, Brigitte Marsigny / L’intérieur de la chapelle © Carmen Martos