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Après les attentats de janvier 2015

Nous vous proposons de lire ces réflexions de membres d’ATD Quart Monde avec des amis, des voisins, des personnes autour de vous à qui l’on donne rarement la parole. Qu’apprenons-nous à l’occasion de ces événements ? Comment y répondre ? Qu’est-ce que cela change autour de nous ? Comment cela conforte-t-il nos engagements ?… Nous attendons vos réactions à Feuille de route Quart Monde, 63 rue Beaumarchais, 93100 Montreuil, ou feuillederoute@atd-quartmonde.org.

« Nous allons multiplier nos actions »

« Je ressens un sentiment de colère de constater qu’on utilise toujours le support de la religion pour diviser. Mais quelle est donc la religion qui demande de tuer au nom de son Dieu ? Aucune je pense ! On utilise la religion quand on veut introduire la guerre quelque part. J’ai vu cela au Liban. J’ai bien connu le Liban avant la guerre et je peux affirmer que toutes les communautés religieuses vivaient en bon entendement et se respectaient. La guerre a été importée dans ce pays pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la religion et chrétiens et musulmans se sont entre-tués.
La tuerie de Charlie Hebdo nous laisse un goût amer ! C’est lamentable ! Même si certains pensent qu’ils sont allés trop loin dans les caricatures, rien ne peut justifier ce geste !
J’ai été plus qu’impressionnée par cet immense mouvement de foule du 11 janvier, signe d’une réelle prise de conscience collective du vouloir « vivre ensemble » au delà de toutes les différences et de toutes les barrières, et ça c’était vraiment rassurant ! Je dirais qu’on a beaucoup parlé de Charlie Hebdo et pas assez des autres otages juifs et policiers qui ont été ciblés également.
Dans mon quartier où tout le monde se connaît depuis longtemps, on devient plus méfiant. Même si on s’en défend, je vois bien qu’on ne se regarde plus vraiment de la même façon. Notre rôle d’« allié » à ATD Quart Monde est certainement un peu là : privilégier les liens qui ont toujours existé dans ce quartier, éviter que les musulmans très nombreux ne se sentent jugés et culpabilisés.
Notre rôle est également d’intervenir le plus possible auprès des jeunes, dans les écoles pour mettre en évidence la part « belle » de l’Humanité et les mettre en garde contre les préjugés.
Nous avons déjà fait plusieurs interventions depuis la rentrée et nous nous disons que c’est plus que jamais nécessaire. Nous allons donc multiplier nos actions dans ce sens. » (Martine, Aix-en-Provence)

Que pouvons-nous faire aujourd’hui ?

Le 22 janvier 2015, 30 membres d’ATD Quart Monde de tous milieux se sont réunis à Rennes et se sont interrogés : « Que pouvons-nous faire aujourd’hui ici, dans les quartiers, pour vivre ensemble ? » Voici quelques idées qui ont germé.
– s’ouvrir à l’autre, s’informer,
– se connaître entre religions différentes,
– encourager la coopération à l’école,
– établir des liens avec les associations du quartier,
– il existe des groupes comme la coordination « Pas sans nous » ou « Coexister Rennes » ou encore « Liberté couleurs » qui intervient dans les écoles du quartier de Maurepas. Comment les rencontrer ? Il y a aussi le GRPAS (Groupe Rennais de Pédagogie et d’Animation Sociale) à Maurepas. Il y a une implication des habitants dans le quartier.
– comment aller vers les personnes qui ne font pas partie des groupes et associations ?
– « déstigmatiser » les quartiers,
– ne pas laisser passer des paroles de haine et de discrimination ; y répondre avec calme,
– changer mon regard sur les gens différents de moi,
– il faut des animateurs pour faciliter la rencontre,
– développer la mixité sociale dans les quartiers pour éviter le sentiment de ghettoïsation,
– obtenir des moyens (choix politiques) pour le vivre ensemble.

Faire vivre la fraternité au quotidien

[Nos valeurs de liberté, égalité et fraternité] ont été revues, négligées. N’est-ce pas le cas de la fraternité, « grande oubliée de la République », que Victor Hugo célébrait pourtant comme « la troisième marche du perron suprême » ; voulant dire par là que c’est elle la plus exigeante et la plus difficile à mettre en œuvre. C’est elle qui donne tout son sens et sa créativité à la liberté et à l’égalité.

Or la République est tout sauf fraternelle, dès lors qu’elle consent, sans état d’âme, à précipiter dans l’exclusion sociale des millions de personnes dans la pauvreté et la grande pauvreté, dépourvues des mêmes droits et de la même considération de dignité que les autres. […] Dans ces conditions, le mot Fraternité est devenu soit un terme de creuse rhétorique politique, soit un « bon sentiment » qu’on confond allègrement d’ailleurs avec la solidarité qui n’est pas du même registre. Or la société et l’école ne peuvent pas se contenter d’énoncer des valeurs et des principes sans les faire vivre au quotidien […] Une société où la liberté de pensée, d’expression et de vie de chacun serait au service de tous les êtres humains, considérés chacun au titre de leur qualité d’êtres humains comme des frères en humanité : ce serait la vraie égalité. Par contraste, on voit bien dans les circonstances tragiques que nous vivons, que des réponses quasi exclusivement d’ordre sécuritaire, qui témoignent avant tout de la méfiance, du ressentiment, de l’esprit de vengeance et de guerre, ne feront qu’aggraver les situations et annoncent d’autres lendemains douloureux.

Martin Luther King l’avait dit avec beaucoup de lucidité avant d’être assassiné par la haine raciale : « Ou bien nous apprendrons à vivre ensemble tous comme des frères, ou bien nous périrons tous comme des idiots. » Interrogeons-nous sur la grande part de responsabilité collective que nous avons à ne pas apprendre […] les gestes, les paroles, les attitudes dans toutes les sphères de notre vie où nous pourrions suivre une voie d’humanisation. » (Extraits de la tribune « Le temps de la réflexion », de Bruno Mattéi, professeur de philosophie honoraire et membre d’ATD Quart Monde, dans la Croix du Nord du 30 janvier 2015)