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Amélie Lenninger, jongleuse et bourlingueuse

Si vous tombez un jour, porte de Bagnolet, à Paris, sur une fille blonde qui jongle à un feu rouge, casquette vissée sur le crâne et piercings à l’oreille, c’est elle : Amélie, d’ATD Quart Monde.

 » L’entrée est gratuite, mais si ça vous a plu, la sortie est payante ! « , a coutume de lancer Amélie aux passants et aux conducteurs à l’arrêt qui la regardent jongler.

Joueuse et malicieuse, elle fait tourner en l’air son diabolo avec des mimiques de clown. Sérieuse et décidée, elle vous explique qu’elle est venue à ATD Quart Monde  » pour découvrir la misère dans mon propre pays  » après des années passées à l’étranger à jongler et à faire des rencontres dans la rue.

Présence

Depuis le 1er octobre dernier, Amélie est  » volontaire en découverte  » à ATD Quart Monde. Une année pour connaître le Mouvement avant de s’engager. Mais pour elle, c’est déjà plié :  » Je suis rentrée du Mexique après deux ans et demi pour rejoindre ATD Quart Monde, le lendemain de mon arrivée, j’étais à Montreuil. Je m’y vois pour la vie, même si c’est avec des pauses. »

Sa rencontre avec le Mouvement remonte à 2010. Elle retrouve un ami qu’elle avait connu alors qu’ils étaient tous deux volontaires européens – elle en Serbie, lui dans la Macédoine voisine. Il est désormais  » volontaire en découverte  » en Belgique:  » Il faisait de la présence dans les quartiers, il ne préparait rien, rencontrait les habitants, écrivait ce qu’il avait appris d’eux. J’ai trouvé ça génial ! J’ai su que j’y serai.  »

Bosse

A 30 ans, Amélie a déjà pas mal roulé sa bosse. Née à Thionville (Moselle), elle a grandi non loin, à Gandrange, célèbre pour la lutte, perdue, des ouvriers pour sauver leur aciérie en 2008. Son père est cheminot. Sa mère est  » frontalière  » – elle travaille au Luxembourg comme secrétaire dans une société. Tous deux partagent une passion : la moto.

Comme tous les membres des familles des cheminots, Amélie profite de billets de train gratuits. Dès 15 ans, elle voyage seule.  » Un jour, dans un trajet avec des correspondances, mon père m’a regardé faire. Il a vu que je me débrouillais et m’a dit : tu n’as plus besoin de nous.  »

Comme elle s’ennuie à Grandrange, elle multiplie les aller-retour à Paris, cherche les meilleurs prix pour Londres, etc.

Caravane

A 18 ans, bac en poche, Amélie part à Nancy en fac d’économie. Mais le voyage lui manque. Grâce au programme universitaire Erasmus, elle va vivre un an à Stockholm, en Suède.

Puis après sa licence, elle prend une année de césure en Serbie. Avec trois autres volontaires européens, ils créent une association de promotion de la culture et du volontariat. Et ils organisent une caravane itinérante de jonglage à travers les Balkans.  » C’est là que j’ai commencé à jongler – diabolo, massues… »

De retour en France, elle fait un Master  » Ingénierie de projets de coopération  » à la fac de Lille. Mais elle sait qu’elle ne travaillera pas dans une institution. Sa passion, ce sont les arts de la rue.  » Une façon de faire accéder les gens à la culture. »

Pour elle, la rue est une école où l’on apprend et où l’on fait des rencontres. Pendant un an et demi, elle sillonne l’Amérique latine, le diabolo dans ses bagages, avant de se poser au Mexique. Là, l’une de ses premières actions est de participer à une bibliothèque de rue d’ATD Quart Monde. Elle rejoint un association de défense des droits de l’homme, écrit une pièce, refait une troisième paire d’échasses…

Pétanque

A ATD Quart Monde, sa mission est « aller à la rencontre des plus pauvres à Paris ». Logée à Montreuil, elle travaille dans trois arrondissements populaires ainsi que près du jardin du Luxembourg. Dans un gros agenda, elle note toutes ses activités.

Deux fois par semaine, elle participe à une bibliothèque de rue – dans le 11ème et dans le 19ème.  » Une façon aussi de se lier aux gens du quartier « , précise-t-elle. Deux autres jours, elle se rend dans des accueils de jour – au Centre Emmanuel, à Belleville, et à La moquette, à côté du Luxembourg.

Dans le premier, elle a rencontré Pierre, « un jeune qui dessine très bien ». « On a créé ensemble un spectacle de marionnettes kamishibai (sorte de théâtre ambulant japonais), écrit l’histoire, fait les personnages… C’était très fort. » Dans le second accueil, elle s’est mise aux dames et, lors des sorties, à la pétanque. Elle initie parfois au jonglage.

Il y aussi les rencontres de hasard et les liens précieux qui se nouent, comme avec cet Ukrainien qui dort place de la République. Enfin le mercredi après-midi, c’est « récupération » (de produits périmés mais consommables) dans les poubelles de deux supermarchés – « si un habitué manque à l’appel, on cherche de ses nouvelles. »

Tous les jours aussi, Amélie écrit. « L’intérêt pour l’écriture, c’est encore quelque chose qu’on a en commun. A ATD, je suis à ma place. »

Véronique Soulé

Photo : Amélie jonglant porte de Bagnolet le 18 août 2016 (F. Phliponeau, ATDQM)