
Territoires zéro chômeur de longue durée : Aller chercher les plus éloignés de l’emploi
Denis Prost, membre d’ATD Quart Monde, a été au tout début du projet Territoires zéro chômeur de longue durée. Il est devenu l’un des piliers de l’équipe de Pipriac et Saint Ganton (Ille-et-Vilaine) où s’est créée l’une des toutes premières entreprises à but d’emploi (EBE), baptisée TEZEA, le 9 janvier 2017. Il fait un point d’étape du projet et évoque les perspectives d’élargissement.
Un peu plus d’un an après la création des premières entreprises à but d’emploi (EBE) dans le cadre de Territoires zéro chômeur de longue durée, le bilan est là : 454 personnes ont été recrutées au 31 janvier 2018. Ce que certains qualifiaient d’utopique est bien devenu réalité.
Si l’expérimentation est concluante, il est prévu de l’élargir. Déjà, une quarantaine de territoires frappent à la porte pour se lancer dans l’aventure. D’ici là, les premiers partis en éclaireurs devront mener le projet à son terme et faire la preuve qu’un territoire peut être ainsi libéré du chômage de longue durée. L’évaluation prévue à mi-parcours sera à cet égard déterminante.
Membre de l’équipe de Territoires zéro chômeur de longue durée à Pipriac et Saint Ganton, détaché auprès du Point Accueil Emploi de Pipriac qui porte l’expérimentation localement, Denis Prost analyse les réussites et les limites du projet au niveau de son territoire et il évoque les conditions pour une extension réussie.
Quelles sont déjà les réussites ?
La première réussite pour nous, c’est d’être passé en un an de 0 à 61 salariés, tous occupés à faire du travail utile. Ce n’était pas gagné d’avance. C’était même un défi fou ! Or nous n’avons pas eu de difficultés à trouver du travail pour tout le monde. Et aujourd’hui, pour certaines activités, on pourrait même avoir du renfort. L’un des trois postulats de départ du projet est ainsi vérifié : ce n’est pas le travail qui manque.
Dans notre EBE, nous fournissons beaucoup de prestations extérieures auprès des habitants et aussi des entreprises. Celles-ci nous sollicitent, y compris pour des choses auxquelles on n’avait pas pensé. Par exemple, le nettoyage intérieur des voitures. Nous sommes allés voir un garage un jour pour connaître ses besoins. Il nous a demandé cela et les autres garages ont suivi.
Vous êtes parmi les plus avancés ?
Le projet marche bien car notre territoire est bien mobilisé. Nous avons eu deux ans et demi pour préparer le projet, l’expliquer, rassurer les entreprises notamment sur les risques de concurrence que pourrait entraîner la création de notre EBE. D’autres territoires ont eu beaucoup moins de temps et pour eux, c’est plus compliqué.
Nous avons construit un comité local solide, avec des entreprises impliquées, notamment sur ces questions de concurrence. Elles y ont cinq personnes qui jouent vraiment leur rôle.
L’un des enjeux est de créer la confiance avec les acteurs locaux. Et de convaincre que ce projet est bien pour les chômeurs et bien aussi pour tout le monde. Pour les entreprises, cela crée de la dynamique. Quelques-unes l’ont d’ailleurs vite compris et en ont entraîné d’autres derrière elles.
Quel autre point positif ?
Avec nos prestations, nous avons créé des besoins. Un exemple. Nous avons assuré l’accueil de la Maison de Santé sous forme de prestation. Avant, il n’y avait personne pour recevoir les gens, ils ne savaient pas à quelle porte frapper. Le fait qu’il y ait quelqu’un est une grosse plus-value pour les habitants et il n’est plus question de le retirer. Nous avons prévenu la Maison de santé que l’on ne serait pas autorisé à fournir cette prestation éternellement. Résultat : la Maison de santé va bientôt directement salarier la personne de TEZEA qui assurait la prestation.
Nous avons ainsi créé de l’emploi supplémentaire dans notre entreprise mais aussi en dehors. Nous avons fait émerger un besoin nouveau et quelqu’un a été embauché par la suite.
Il faut être très proche du terrain ?
C’est dans cette proximité que l’on peut travailler en partenariat avec les entreprises, leur proposer des services nouveaux, leur dire : « Vous pouvez tester cela grâce à TEZEA et si ça marche, vous pourrez le prendre à votre compte. » On permet aux entreprises de voir les compétences des personnes, invisibles lorsqu’elles sont au chômage. Avec des personnes auparavant au RSA qui passent au SMIC à TEZEA, les entreprises peuvent aussi espérer une clientèle supplémentaire.
La démarche Territoires zéro chômeur de longue durée est une mobilisation territoriale pour l’emploi, un projet de société à l’échelle d’un territoire, où l’on essaie de donner une place à chacun, utile, dans l’emploi. D’où l’intérêt que ce projet soit à petite échelle.
Touchez-vous les plus éloignés de l’emploi ?
On a d’abord embauché ceux qui sont venus vers nous. Parmi nos salariés, nous avons des gens qui n’ont pas travaillé depuis très longtemps. Mais on sait qu’il y a des gens encore plus « décrochés » du monde du travail, qui ne sont plus dans tous ces circuits. Pourtant, pour eux, retravailler serait formidable et ils gardent cette envie au fond d’eux. Mais on ne les voit plus car ils se disent que jamais une entreprise ne les embauchera.
Ceux-là, il est important de les toucher. Nous sommes là pour eux. Ils ne trouveraient jamais dans une entreprise classique. Il faut se donner tous les moyens de les atteindre, avoir la patience, prendre le temps… Il faut aller chercher tout le monde avant de dire que l’on a atteint « l’exhaustivité ».
Qu’entendez-vous par exhaustivité ?
Atteindre l’exhaustivité, c’est avoir embauché toutes les personnes privées d’emploi depuis plus d’un an sur un territoire et qui sont intéressées par travailler, pour regagner en dignité, retrouver des relations sociales, une stabilité du revenu… Ce travail très fin d’aller chercher tout le monde est plus facile à réaliser sur une petite échelle.
Serez-vous bientôt un Territoire zéro chômeur ?
Nous avons une vingtaine de personnes en liste d’attente, des personnes venues vers nous que l’on n’a pas encore embauchées. On doit en recruter trois la semaine prochaine. Douze autres devraient l’être avant l’été et le restant à l’automne.
Après, il y a une grande part d’inconnue. Avec le département, nous avons trouvé 28 personnes allocataires du RSA que l’on n’a jamais vues. Peut-être faudra-t-il embaucher les 28, ou peut-être certaines ont d’autres soucis que de reprendre le chemin de l’emploi.
Une nouvelle collègue arrive dans l’équipe. Nous allons relancer nos efforts, avec Pôle emploi, le département et la MDPH (maison départementale des personnes handicapées), pour ne passer à côté de personne. Un long travail de fourmis.
Quels sont les points de vigilance avant d’élargir le projet ?
Dans cette perspective, il faut d’abord avoir été au bout du projet dans un nombre significatif de territoires, en clair avoir réalisé le plein emploi sur une durée suffisamment longue. Cela permettra de bien en mesurer les conséquences – le positif comme d’éventuels effets pervers.
Il ne faut pas se précipiter mais prendre le temps d’un bilan. Le bilan et l’évaluation sont d’ailleurs prévus au bout de trois ans, fin 2019.
Les difficultés à aplanir ?
Parmi les difficultés, il y a celle de faire reconnaître tout le travail à faire autour de l’entreprise. Les gens ont l’impression que le projet est de constituer une EBE. Or, arriver à un territoire sans chômage, c’est un travail sans fin autour de l’entreprise. Dès que l’on arrête de communiquer, certains risquent de décrocher. Il faut sans cesse mobiliser le territoire, aller chercher les chômeurs de longue durée.
Ce travail demande beaucoup de temps. C’est l’équipe projet qui le mène. Nous sommes 3,5 Equivalents temps plein (des emplois à plein temps) et nous galérons. Car le financement n’a pas été prévu par la loi.
Un autre loupé : la loi n’a pas prévu les fonds propres de l’entreprise. Or pour monter une entreprise de 60 salariés, aménager les locaux, investir dans des équipements, la faire tourner, il en faut…
Il y a eu un rattrapage en 2017. Le Fonds d’expérimentation a convaincu l’État qu’il devait contribuer aux fonds propres des EBE et localement, les services de l’État ont été très efficaces. Mais il nous reste encore des fonds propres à trouver.
Dans la perspective d’une nouvelle loi, voilà deux ratés à éviter. Il est impératif de prévoir le financement de l’équipe projet et des fonds propres pour l’entreprise.
Véronique Soulé
Photo: Denis Prost avec les deux co-directeurs de TEZEA, Guillaume Bonneau (à gauche) et Serge Marhic le 10 avril 2017. ©FP, ATDQM