
Alexandre Jardin : « Je ne vois pas d’autre solution que de parier sur les gens d’action »
L’écrivain Alexandre Jardin, fondateur du mouvement citoyen « Bleu Blanc Zèbre », défend l’idée, dans son Manifeste pour les Faizeux (1), que la France ne pourra se redresser qu’en fédérant tous ceux qui « font » et qui inventent des solutions sur le terrain – « les Faizeux ». Interrogé par Feuille de route, il explicite sa vision du futur et son intérêt pour l’action d’ATD Quart Monde.
Pourquoi avez-vous décidé d’associer, cette année, votre mouvement à la journée du 17 octobre ?
Non seulement ATD Quart Monde agit mais il expérimente. Et c’est fondamental. Vous avez le nez dans le guidon, comme tous les « Faizeux », mais ce que vous faites est d’un intérêt capital pour le pays. Vous expérimentez pour le compte de la nation. Vous avez cette culture-là. Ce n’est pas la première fois, vous êtes des multirécidivistes… C’est très précieux. Vous figurez parmi les mouvements que l’on scrute le plus.
A ATD Quart Monde, vous soulevez aussi constamment la question des pratiques. C’est cela qui me passionne. Ce qui est pratique est précisément ce qui est évacué du débat public français. Les partis politiques proposent quoi faire mais jamais comment le faire. En revanche les élus locaux, eux, se posent cette question.
« Une citoyenneté vivante »
Pourquoi avez-vous décidé de participer au lancement, le 13 octobre, du livre de Bruno Tardieu sur ATD Quart Monde (2) ?
La question n’est pas de savoir si je souscris à chacun de ses mots. Je souscris au fait que quelqu’un se batte. Cela correspond à l’idée que je me fais d’une citoyenneté vivante. Cela ne se résume pas à un bulletin de vote glissé dans l’urne tous les 5 ans bien que ce soit éminemment important. L’essentiel est que ça ait lieu tous les jours. La sortie de ce livre donne envie de saluer ce genre de démarche. C’est cela qui rend un pays et une époque vivants.
D’après vous, le regard de la société sur les plus pauvres est-il en train de changer ?
Ce que vous expérimentez et mettez en place doit permettre ce changement. La question n’est pas seulement l’oeil extérieur. Il faut d’abord agir sur la perception que les gens ont d’eux-mêmes quand ils sont en situation de pauvreté. Mais il y a un problème de format : ce que vous faites, à un moment il faudra que vous puissiez le faire à la puissance 10 ou 15. C’est cela qui me révolte : pour atteindre un objectif, on sait comment s’y prendre mais cela suppose des moyens importants que l’on n’a pas. C’est tout l’enjeu de la négociation politique que je voudrais engager à l’approche de la présidentielle de 2017.
« Un problème d’efficacité publique »
Pourquoi faites-vous reposer tous vos espoirs sur « les faizeux » ?
Il y a un problème d’efficacité de l’action publique. On entre dans une zone d’incertitudes où le discrédit s’étend à gauche et à droite, et les principaux partis vont se retrouver en situation de grande faiblesse face au FN. Il est essentiel que des gens de cœur et d’engagement fassent une très grande proposition d’actions publiques communes, de façon à mettre un terme au chèque en blanc tous les cinq ans et à engager une authentique révolution solidaire. La technostructure française, de droite comme de gauche, doit finir par admettre qu’elle ne pourra pas réussir sans nous.
Je ne vois pas d’autres solutions que de parier sur les gens d’action qui jouissent d’un crédit moral. Pourquoi respecte-t-on ATD Quart Monde ? Ce n’est pas parce que vous affichez des intentions, mais parce que vous faites des choses. Pourquoi tant de mouvements marchent avec les Zébres ? Ce n’est pas parce que je suis romancier mais parce que je suis co-fondateur de « Lire et faire lire », qui rassemble 16 000 bénévoles et touche plus de 100 000 enfants. Je n’ai pas un discours sur l’éducation, j’agis. De leur action, les mouvements tirent ce crédit moral devenu si rare dans le débat public français.
« Des contrats de missions »
Comment comptez-vous y prendre ?
Ce que nous envisageons n’existe pas : ce sont des contrats de missions avec la puissance publique et les élus locaux. Aujourd’hui l’Etat distingue entre les associations, les collectivités, les entreprises. Or il y a là des gens qui se collètent avec la complexité de la vie et que j’appelle des « Faizeux », porteurs de créativité et d’innovation.
Il faudra bien à un moment ou à un autre reprendre les rênes de la gestion du pays, et ces gens-là sont capables. Mais ces trois mondes sont soumis à la technostructure. ATD Quart Monde en fait l’expérience amère. Avec le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée » qui attend une loi d’expérimentation pour se lancer, on se trouve dans une position surréaliste. Le pays compte des millions de chômeurs. Des gens structurés portent une innovation qui ne coûte pas un euro. Mais la technostructure hésite. C’est un scandale moral.
Ces contrats de missions seront des outils de libération. Ils proposeront des bouquets d’actions qui seront portés par des associations, des mouvements d’entrepreneurs, des élus locaux. Il existe une foule d’expérimentations sur notre territoire dont le pays est incapable de tirer parti. C’est absurde.
« De vastes alliances médiatiques »
Quel rôle entend jouer votre mouvement ?
Le mouvement des Zèbres rassemble ces trois mondes autour des bouquets d’actions. Nous sommes en train de constituer une force politique non partisane qui ira négocier avec les candidats aux présidentielles de 2017 – il va de soi que nous proposerons cette alliance aux partis républicains, de droite, de gauche et du centre. Nous leur dirons : « Signez et laissez-nous faire ».
Nous avons aussi tissé de vastes alliances médiatiques. De nombreux journaux sont prêts à nous soutenir. On prévoit une montée en puissance et en notoriété. Cette force de frappe médiatique défendra les gens capables, qui imaginent et qui ont le courage d’essayer.
Quelle ampleur a pris le mouvement Bleu Blanc Zèbre ?
Il faut aller sur le site qui évolue fantastiquement. Nous sommes en train de constituer les bouquets d’actions qui ne seront pas juste l’addition de gens capables. Ils vont se définir par de grands objectifs chiffrés que l’on essaiera d’atteindre dans les deux prochaines années. Et l’on va chercher les gens qui, en se fédérant, vont permettre d’y arriver.
« Faire cesser la dispersion »
Se fédérer est important pour vous ?
En effet. Il faut entrer dans une dynamique pour fédérer le monde associatif, les entreprises et les élus locaux. Il faut que la dispersion cesse. On voit bien les difficultés d’ATD Quart Monde pour faire bouger les textes. On voit les difficultés des maires ruraux qui ne sont pas entendus. Comme celles, immenses, des mouvements de l’éducation populaire, incapables d’effectuer les mises aux normes surréalistes qu’on leur demande. Faute d’argent, ils ferment des centres les uns derrière les autres. Sans parler de tous les centres d’accueil d’urgence menacés aussi par des mises aux normes coûteuses. A force de vouloir un monde idéal, on est train de fabriquer un enfer !
Soit on laisse les uns et les autres se battre face à la puissance publique de façon isolée, et nous perdrons tous. Car il y aura toujours un technocrate derrière un bureau pour refuser un coup de tampon. Soit on entre dans une logique unitaire de négociations. Sinon, tous les « mini Colbert » des partis l’emporteront en 2017 et l’on ira vers une révolution car la cocotte-minute est en train d’exploser.
C’est en démontrant, dans les deux prochaines années, notre capacité à nous unir et à collaborer que nous gagnerons la crédibilité qui nous permettra de négocier avec les partis. Une fois que l’on aura signé ces contrats de missions, il faudra bien passer à une très grande échelle et pour cela, avoir déjà rodé notre collaboration. On ne va pas commencer du jour au lendemain en 2017. C’est pour cela que notre slogan est : « Laissez-nous faire, on a déjà commencé !».
Recueilli par Véronique Soulé