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Aide médicale d’Etat : 5 questions pour décrypter la réforme

Le Parlement s’apprête, comme tous les ans, à voter le budget annuel consacré aux différentes aides sociales au sein du budget global de l’Etat (loi de finances). L’aide médicale de l’Etat, qui s’adresse aux étrangers les plus précaires, fait l’objet de nouvelles attaques, dont l’instauration d’un paiement d’un droit d’entrée de 30 euros par an.

NB : ce document a été conçu par le CISS, la FNARS, l’ODSE et l’UNIOPSS. Il est téléchargeable en bas de cet article. Rappelons que l’AME s’adresse à des personnes qui ont moins de 634€ par mois pour vivre…

Les associations demandent que l’accès gratuit à la couverture santé AME soit conservé dans l’attente d’une généralisation de la CMU pour toutes les personnes à très bas revenus y compris les sans-papiers.

1. Est-ce que les étrangers en situation irrégulière sont mieux lotis en matière de couverture santé que les Français ?

– L’Aide Médicale d’Etat est « réservée » aux étrangers en situation irrégulière qui disposent de moins de 634 euros par mois. Elle permet la prise en charge à 100% des tarifs de sécurité sociale, évite les avances de frais pour les dépenses de soins à l’hôpital ou en médecine libérale. Aujourd’hui, 216 000 personnes sont à l’AME.

– Les personnes françaises et étrangères en situation régulière qui ont moins de 634 euros par mois ont accès gratuitement à l’Assurance maladie et à sa couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). La CMU-C concerne plus de 4 millions de personnes. La CMU-C permet également la prise en charge à 100% dans la limite des tarifs de sécurité sociale et la dispense des franchises, tickets modérateurs et autres forfaits (hospitalier notamment).

– La couverture maladie (Le panier de soins) garantie au bénéficiaire de l’Aide Médicale d’Etat est plus faible que celle d’un bénéficiaire de la CMU-complémentaire : les bénéficiaires de l’AME, ainsi que leurs enfants, ne bénéficient pas en effet d’une prise en charge effective des prothèses dentaires et des lunettes, à la différence des bénéficiaires de la CMU-C.

Les étrangers en situation irrégulière ont donc, à revenu équivalent, une moins bonne couverture maladie que les assurés français.

– En outre, l’accès aux soins des bénéficiaires de l’AME est rendu particulièrement difficile en raison de nombreux refus de soins (même pour des soins importants), encore plus fréquents que pour les bénéficiaires de la CMU-C (1)

2. Pourquoi les étrangers en situation irrégulière ne pourraient pas payer 30 euros par an pour l’accès à une couverture médicale ?

– Les personnes couvertes par l’Aide Médicale d’Etat font partie des personnes les plus pauvres, celles qui ont les plus grandes difficultés à faire face aux dépenses quotidiennes, en premier lieu le logement et la nourriture, pour elles et leur famille. Pour repousser cette dépense de 30€ qui représente au minimum 5% de leurs revenus mensuels, beaucoup d’entre elles retarderaient leur entrée dans le dispositif.

– Ainsi l’accès à la prévention et à un suivi médical régulier serait entravé par ce prix d’entrée. Les personnes seraient donc prises en charge à un stade plus avancé de leur pathologie, au risque d’arriver quand elles ont besoin de soins urgents, toujours plus lourds et compliqués à mettre en œuvre. Cela compromet l’efficacité du traitement et coûte plus cher à la collectivité. Les personnes relèveraient plus souvent des hôpitaux déjà surchargés plutôt que de soins dans les centres de santé ou en médecine libérale.

– Non seulement un droit d’entrée représente un frein aux soins pour les plus pauvres, mais en plus il n’a
aucun effet positif sur les finances publiques : le surcoût entraîné par les retards de prise en charge ainsi que les frais de fonctionnement pour collecter cette somme réduiraient à néant les bénéfices escomptés de l’ordre de 6 millions d’euros (rapportés aux 543 millions du budget global de l’AME pour les 216 000 personnes couvertes).

3. N’est-il pas trop coûteux d’accorder une protection à tous les étrangers en situation irrégulière alors que l’équilibre financier de la sécurité sociale n’est actuellement pas assuré ?

– Au contraire, l’existence d’une couverture médicale en France pour les personnes en situation irrégulière permet à une population confrontée à des déterminants de santé tous négatifs (extrême pauvreté, mauvaise qualité des logements quand ils en ont, travail le plus à risque, de nuit, etc.) d’avoir accès aux soins mais aussi à la prévention et à un suivi médical régulier. Elles peuvent donc se soigner au début de leur maladie, limitant ainsi la prise en charge par le système de soins de pathologies aggravées.

L’Aide Médicale d’Etat a donc des effets positifs sur la santé individuelle et sur la santé publique. C’est donc aussi un dispositif permettant à la collectivité de réaliser des économies.

– Dans leur rapport d’enquête de 2007, l’Inspection générale des Finances et l’Inspection générale des Affaires sociales concluaient « à la nécessité du maintien du dispositif existant qui permet de soigner les
personnes en situation irrégulière et de prévenir les problèmes de santé publique qui pourraient découler
d’un défaut de prise en charge. La mission écarte une restriction de l’AME aux seuls soins urgents ou à un panier de soins qui serait à définir, ainsi que la mise en œuvre d’un ticket modérateur ».

4. Ce dispositif n’est-il pas de plus en plus coûteux ?

Les dépenses de l’AME ont connu une progression de 13% entre 2008 et 2009 :
– Une part de ces dépenses s’explique par l’augmentation du nombre de bénéficiaires passé de 202 503 en décembre 2008 à 215 763 en décembre 2009 (soit une augmentation de +6,5%). Cette hausse trouve ses origines dans le passage de nombreux ressortissants de l’Union Européenne de la CMU à l’AME. En effet, jusqu’en 2008, les citoyens européens pauvres pouvaient être affiliés à la CMU. Depuis, les citoyens européens sans couverture maladie ni revenus suffisants sont maintenant considérés comme étant en situation irrégulière (souvent des Roumains et des Bulgares). Ils ont donc perdu la CMU et ne peuvent plus obtenir que l’AME.

– Les entraves et les refus de régularisation par les préfectures d’étrangers gravement malades (comme le
prévoient pourtant les dispositions sur la carte de séjour « vie privée et familiale » pour raisons de santé) ont aussi pour effet de reporter sur l’AME les frais d’hospitalisation de malades qui devraient normalement bénéficier de l’Assurance maladie.

– Les restrictions au droit au séjour pour raisons de santé qui pourraient être apportées dans le cadre du
projet de loi immigration (Besson) augmenteraient encore le nombre de personnes exclues de l’assurance maladie, accroissant le nombre de demandeurs potentiels de l’AME.

– Plus généralement, la précarité administrative suscitée par les nombreuses réformes des lois sur l’immigration tend à accroître le nombre de personnes non-régularisées.

– Enfin, la hausse de ces dépenses s’explique aussi de manière comptable par l’augmentation du prix des
actes par les hôpitaux, imposée par la réforme dite de la « tarification à l’acte » (T2A).

– Les pathologies graves sont de plus en plus surreprésentées parmi les bénéficiaires de l’AME : la structure, en volume, des motifs de séjours s’est déformée en 2009 au profit, notamment, des pathologies liées au système nerveux (+ 51%), à la cardiologie (+ 35%), hématologie (+28%) et au VIH (+29%) (2)

– Le montant moyen des dépenses par bénéficiaire AME, pourtant comparable à celui des assurés sociaux, est surévalué parce que ces derniers ne demandent l’AME qu’en cas de besoin de soins, tandis que les assurés sociaux sont affiliés même sans consommation de soin. (3)

5. Est-ce que l’Aide Médicale d’Etat attire de nombreux étrangers qui viennent se faire soigner en France ?

L’Aide Médicale d’Etat est réservée aux personnes pouvant justifier d’une résidence habituelle et permanente en France ce qui exclut les étrangers de passage. L’ancienneté minimum de trois mois de présence en France a été ajoutée et doit être prouvée pour obtenir l’AME.

Rappelons que l’immigration thérapeutique est extrêmement marginale comme le montrent de nombreuses études :
– Selon une enquête menée par Médecins du Monde auprès de 1218 sans-papiers en Europe, seuls 6% citent la santé comme l’un des motifs de migration (4)

– D’après une étude épidémiologique (5) menée en France en 2002, seuls 9% des étrangers séropositifs interrogés avaient été dépistés dans leur pays d’origine, sans qu’on sache d’ailleurs combien sur ces 9% ont émigré pour raisons de soin.

– En 2009, le Comede (Comité Médical pour les Exilés), qui assure la prise en charge médico-psycho-sociale de près de 5 000 patients exilés par an, relève que 77% d’entre eux ont découvert leur maladie après leur arrivée en France, taux qui monte à 94% pour ce qui concerne le VIH-sida et les hépatites) (6)

Contacts :

Pierre Carpentier (Odse) : odse@lalune.org / 06 16 80 76 62

Didier Maille (Comede) : 06 82 17 31 25

(1) Rapport d’enquête de Médecins du Monde « Je ne m’occupe pas de ces patients » publié en 2006 et faisant état de 37% de refus de soins des médecins généralistes envers les bénéficiaires de l’AME versus 10% pour les porteurs de la CMU ; Enquête « les bénéficiaires de l’AME en contact avec le système de soins », DREES, Etudes et résultats n° 645, juillet 2008, démontrant que plus d’un tiers des bénéficiaires de l’AME ont été confrontés à un refus de soins de la part d’un professionnel de santé, le plus souvent pharmacien ou médecin ; Rapport 2007 de l’IGAS et l’IGF.

(2) CNAMTS données 2009 mars à novembre

(3) Comparer les dépenses annuelles des bénéficiaires de l’AME avec les dépenses annuelles des assurés sociaux tend à surestimer les dépenses des sans-papiers. En effet, les enquêtes montrent qu’une grande partie des sans-papiers ne demandent le plus souvent l’AME qu’à l’occasion d’une maladie entraînant une consultation, et plutôt pour des pathologies importantes (les rapports de l’Observatoire de l’accès aux soins de Médecins du Monde). Une partie des sans-papiers (les « non consommant ») n’est donc pas comptabilisée alors que tous les assurés sociaux et leurs ayants droits sont comptabilisés dans l’assurance maladie même ceux qui ne consultent pas une année donnée.

(4) Observatoire européen de l’accès aux soins de Médecins du Monde, septembre 2009

(5) « Parcours socio-médical des personnes originaires d’Afrique sub-saharienne atteintes par le VIH, prises en charge dans les hôpitaux d’Ile-De-France », Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2002, F. Lot et autres.

(6) Comede, La santé des Exilés. Rapport d’activité et d’observation, 2009, p.34.

Voir le dossier parlementaire ici : Dossier_parlementaire_AME_octobre_2010