Entrez votre recherche ci-dessous :

Affaire HASSE contre Allemagne

Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 8 avril 2004

Faits et procédure :

Cornelia et Josef Haase, ressortissants allemands, sont nés respectivement en 1968 et 1967 et résident à Altenberge (Allemagne).

Mme Haase a douze enfants, dont sept d’un précédent mariage. A la suite de son divorce en 1993, elle a obtenu la garde de ses trois cadets, l’un né en 1990 et des jumeaux nés en 1992. Elle a épousé M. Haase en 1994. Ils ont cinq enfants communs, nés en 1995, 1998, 2000, 2001 et 2003.

En 2001, M. et Mme HAASE ont sollicité une mesure éducative et ont accepté qu’un bilan psychologique soit fait. Le 17 décembre 2001, l’expert chargé de celui-ci a estimé dans son rapport qu’il existait un risque pour le développement normal des enfants, que les parents de ceux-ci se montraient souvent déraisonnablement durs avec eux et les battaient et qu’il fallait mettre fin à tout contact entre les uns et les autres. Le même jour, sans avoir entendu les parents ou les enfants, le tribunal de district de Münster a rendu une ordonnance de référé retirant à M. et Mme HAASE l’autorité parentale sur les sept enfants résidant avec eux.

Le 18 décembre 2001, le tribunal de district a interdit toute rencontre entre les parents et les sept enfants. Le même jour, les enfants ont été retirés de l’école, du jardin d’enfants ou de la maison, selon le cas, et ont été placés dans trois foyers d’accueil différents, que l’on n’indiqua pas aux requérants. La nouveau-née de sept jours fut prise directement à la maternité et vit depuis dans une famille d’accueil.

Le 1er mars 2002, sans avoir tenu d’audience, la cour d’appel de Hamm a débouté les parents de leur appel.

Le 21 juin 2002, la Cour constitutionnelle fédérale a cassé les décisions des 17 décembre 2001 et 1er mars 2002, estimant qu’on pouvait sérieusement se demander si les tribunaux avaient dûment tenu compte des droits des parents et du principe de proportionnalité. En outre, les tribunaux n’avaient pas considéré comme ils le devaient le point de savoir si les éléments du dossier établissaient l’existence d’un risque de préjudice pour les enfants. Mais la décision du 18 décembre 2001 interdisant les contacts entre les requérants et les enfants demeura en vigueur.
L’affaire fut renvoyée devant le tribunal de district. Le 6 mars 2003, celui-ci retira aux requérants l’autorité parentale sur la personne des sept enfants et interdit tout droit de visite jusqu’en juin 2004. Il interdit aussi à Mme Haase d’avoir des contacts avec trois de ses quatre aînés avant fin 2004 et avec son fils aîné avant la majorité de celui-ci. Les parents ont alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement articles 8 et 6 de la convention européenne des droits de l’homme. Ils ont dénoncé le retrait de l’autorité parentale et le placement de leurs enfants ainsi que la manière dont la décision concernant le placement de leurs enfants avait été prise et mise en œuvre.

Décision de la Cour :

Article 8 ou le droit au respect de la vie privée et familiale.

La Cour rappelle que la Cour constitutionnelle fédérale a estimé que le retrait provisoire aux requérants de l’autorité parentale et la soustraction de leurs enfants n’étaient pas inspirés par des motifs pertinents et suffisants et que les requérants n’avaient pas été mêlés au processus décisionnel à un degré suffisant.

La Cour relève aussi que pour que les autorités publiques puissent recourir à des mesures d’urgence à propos de questions aussi délicates que des ordonnances de placement, la réalité d’un danger imminent doit être établie. Certes, dans les cas patents de danger, il ne s’impose pas d’impliquer les parents. En revanche, s’il est encore possible de les entendre et de discuter avec eux de la nécessité de la mesure, aucune action d’urgence ne s’impose, en particulier lorsque le danger a été présent sur une longue période. Il n’y avait donc aucune urgence justifiant l’ordonnance de référé du tribunal de district.

En outre, le retrait soudain de six enfants de leurs écoles ou jardins d’enfants respectifs ou de la maison, leur placement dans des foyers d’accueil qui ne furent pas indiqués aux parents et l’interdiction de tout contact avec ceux-ci constituaient des mesures qui allaient au-delà de ce qui était nécessaire dans les circonstances et qui ne sauraient passer pour proportionnées.

En particulier, le retrait de la nouveau-née de l’hôpital a représenté une mesure extrêmement dure. Elle a été traumatisante pour la mère, dont la santé physique et mentale a été mise à l’épreuve. Cette mesure a privé la nouveau-née de contacts étroits avec sa mère biologique et des avantages de l’allaitement. Ce retrait a également privé le père de contacts étroits avec sa fille après la naissance de celle-ci.

La Cour n’a pas à se substituer aux autorités allemandes et à se livrer à des spéculations quant aux mesures de protection de l’enfance qui étaient les plus appropriées en l’espèce. Elle a conscience des problèmes auxquels les autorités ont à faire face lorsqu’il y a lieu de prendre des mesures d’urgence. Si elles n’agissent pas, il y a un risque réel de préjudice pour l’enfant et elles auront à répondre de leur passivité. A l’inverse, si elles prennent des mesures de protection, elles se verront peut-être reprocher une ingérence inacceptable dans le droit au respect de la vie familiale. Toutefois, lorsqu’on envisage une mesure aussi radicale pour la mère – se voir retirer sa nouveau-née immédiatement après sa naissance – il incombe aux autorités internes compétentes de rechercher si une ingérence moindre dans la vie familiale, à un moment aussi crucial de la vie des parents comme de l’enfant, n’est pas possible.

Il faut des raisons des plus impérieuses pour qu’un bébé soit physiquement soustrait aux soins de sa mère, contre le gré de celle-ci, immédiatement après la naissance, à la suite d’une procédure à laquelle ni la mère ni son mari n’ont été mêlés. La Cour n’est pas convaincue que l’existence de raisons de cette nature ait été démontrée.

L’expérience montre que lorsque des enfants demeurent pendant une longue période sous la protection des services de l’enfance, un processus est enclenché qui les conduit à une séparation irréversible d’avec leur famille. Lorsqu’un laps de temps considérable s’écoule après le premier placement des enfants, l’intérêt de ceux-ci à ne pas voir leur situation familiale subir de nouveaux changements peut l’emporter sur l’intérêt des parents à voir leur famille réunie. Les possibilités de réunion diminuent progressivement et se trouvent finalement anéanties si les parents biologiques et les enfants ne sont pas du tout autorisés à se rencontrer. Qui plus est, la mesure radicale qui a consisté à retirer à sa mère la dernière née peu après la naissance ne peut, selon la Cour, que conduire à ce que les parents et les frères et sœurs de la petite deviennent pour elle des étrangers, ce qui met en péril les relations familiales. En raison de leur impact immédiat et de leurs conséquences, les mesures prises sont donc difficiles à redresser.

La Cour conclut que la décision du 17 décembre 2001, le manquement injustifié à permettre aux requérants de prendre part au processus décisionnel qui y a conduit, les méthodes employées pour mettre cette décision en œuvre, en particulier la mesure radicale consistant à retirer à Mme Haase sa fille nouveau-née peu après la naissance, et le caractère irréversible de ces mesures ne s’appuyaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et ne peuvent être considérés comme ayant été « nécessaires » dans une société démocratique. Il y a donc eu violation de l’article 8.