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A Lyon, l’atelier d’écriture avec les sans-abris fait naître des envies…

Monique Sabouret est alliée d’ATD Quart Monde à Lyon. Elle anime depuis un an des ateliers d’écriture dans un centre d’accueil de jour pour des personnes sans logement dans le 8e arrondissement de Lyon.

Chaque vendredi après-midi elle y rencontre les usagers, certains de passage, d’autres plus réguliers… Chacun s’investit comme il en a envie et quel que soit son niveau de maîtrise de la langue et de l’écrit. Petit à petit les ateliers d’écriture ont donné naissance à d’autres actions culturelles.

Pour Monique, il n’y pas de barrière et sa pédagogie ouvre l’écriture à tous.

Elle nous livre son témoignage :

« Lorsque j’invite les usagers de l’accueil de jour qui sont présents à venir écrire, ceux qui ne connaissent pas me demandent : « Qu’est-ce qu’on y fait ? C’est pour apprendre le français ? ». Souvent méfiants…

On peut de toute façon s’asseoir, regarder les livres puis se poser et entendre le conte philosophique très court qui ouvre l’atelier, réagir, discuter.

L’atelier d’écriture, c’est un lieu qui permet de s’évader, de créer, d’écrire avec la poésie, sur un moment, une période de la vie, une personne, vraie ou fictive. De rire ensemble aussi, de se laisser aller à la douceur.

Parfois, l’exercice d’écriture emporte là où on ne s’y attend pas.

Les participants écrivent des bouts de vie, d’avant la rue, d’aujourd’hui. Les espoirs, les erreurs, les envies, les amours, les regrets, les révoltes, les nostalgies : la vie !

On n’est pas obligé d’écrire à la 1ère personne. On peut mettre de la distance, partager sa part d’ombre et de mystère sans témoigner directement ; ça change tout. Peu importe qu’on invente, qu’on s’invente parce que c’est justement ça que permet l’écriture. Quand quelqu’un lit, on écoute juste la musique de l’écriture, la justesse des mots. Qu’importe le vrai, le faux ?

On peut aussi s’en aller ou rester là. On peut lire son texte ou non, laisser venir les images, on peut écrire ou non, dire ce qu’on ressent ou se taire. Ou bien dessiner ou gribouiller.

Et puis une fois par mois, on est hors les murs, on s’en va au musée.

On abandonne le « sac-du-we-qui-arrive » au vestiaire du Musée des beaux-Arts ; c’est confortable… et puis on est scotché aux tableaux comme tous les visiteurs; on passe inaperçus, on n’est pas « invisibles » mais anonymes.

Alors on se raconte plein d’histoires chuchotées par les œuvres. On reste à observer les ciels tourmentés, les maternités peintes et leurs nuances, les héros de la mythologie, les sculptures bibliques… Après on écrit, ou pas, sur un tableau qu’on a aimé, une statue qui nous a touché.

Nous avons vu une exposition de photographies à la Médiathèque Part-Dieu en visite guidée.

Nous sommes allés au Musée des Confluences. Assis sur la terrasse tout en haut du nuage de verre, dans la douceur du début de printemps, … on a écrit sur les impressions et les lumières de l’Antarctique.

Pourquoi j’anime cet atelier ? Pour faire naître l’envie d’écrire

Parce qu’ensemble, nous nous évadons dans un univers qui apporte de la poésie au réel. C’est une manière de voyager, de faire voyager ces personnes de la rue qui ont une richesse, une vérité, une sensibilité que les mots ont le pouvoir d’exprimer.

Je vais là, à la marge. C’est la marge qui renseigne sur la norme qui dysfonctionne. Est-ce que écrire, ça peut aider à ce que les personnes refassent ainsi un pas de la marge vers la vie d’avant ? Est-ce que ça laissera des traces en eux ? Peut-on dire : peut-être ?

Je suis là, à la marge de leur vie.. C’est « le nu de la vie » que je découvre dans sa vérité et sa réalité. C’est la reconnaissance de l’autre dans sa richesse, son combat pour continuer à cheminer malgré tout.

Il faut avoir un grand respect, être consciente qu’il y a un an je ne connaissais rien de leur monde et que je peux faire des erreurs. Au début, « je marchais sur des œufs ». Je crois que j’ai un peu appris : Je ne suis pas là pour les protéger mais pour partager des mots, des histoires imaginaires ou non qui ont un sens, des jeux d’écriture qui sont tombés sur la tête et qui nous font rire…

L’atelier, c’est paisible ou cahin-caha, convivial et chaleureux, agressif quelquefois, déserté ou gesticulant, tendu ou serein. Ereinté aussi par les nuits dehors.

On ne sait jamais à l’avance, on est juste dans l’instant, comme eux, parfois sur le fil. Cependant les mois passant, des liens de confiance se tissent.

On est remercié par un sourire, une manière d’être ensemble, une franche rigolade, quelques mots étonnés, une fierté bien légitime d’avoir écrit et lu, le plaisir d’avoir été là, bien présent. Par les paroles qui fusent, pertinentes, inattendues.

Les participants disent :

« ça fait du bien de se détendre… en mots /  C’est comme si on envoyait un SMS /  Il faut que ça tienne la route, les mots   /  C’est bien de pleurer, on pleure pas seulement parce qu’on est triste, aussi quand on est heureux /  Je lis pas, c’est trop personnel /  La rue, c’est sans pitié ! / La vie, c’est un gros tas de merde! /  La bible, c’est juste un mensonge ! /   Je viens écouter… /  Ecrire, ça m’a permis de penser à rien d’autre /  C’est beau ! /  J’ai pas le moral mais l’ambiance m’a fait du bien /  J’ai trop de soucis dans ma tête, je viens pas écrire /  Moi, je prendrais aux riches pour donner aux pauvres… /  La douceur, c’est une consolation /  Moi, je vois l’entrée des labyrinthes mais jamais la sortie… /  ça fait longtemps que je n’ai pas écrit /  Je resterai bien écrire jusqu’à 7 heures du soir /  J’ai pas vu passer le temps, ça fait passer un bon moment /    Je m’en vais, vous n’êtes pas fâchée ? /  J’aime les mots /  Ici, c’est humain et accueillant /  La vie, elle est pas rose /  Je me suis lâché, ça fait plaisir, ça fait longtemps que j’avais pas parlé comme ça, ça fait passer le temps » …

Ce que j’apprends, c’est que malgré leur vie de galère, les personnes gardent la capacité à observer, le plaisir d’écrire de la poésie et des textes hurluberlus. L’écriture s’invite dans un coin de cette période de vie qu’ils traversent.

Elle devient alors peut-être une capacité à résister, un réconfort qui donne de la force en dépit des jours de solitude de la rue…?

Photo du haut : Monique Sabouret à l’Accueil de jour de la Maison de Rodolphe à Lyon le 24 mai 2017. @ATDQM