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#JournéeMondialeDuRefusdelaMisère – À La Moquette, des conférences pour tous

En route vers la Journée mondiale du refus de la misère, qui a lieu tous les ans le 17 octobre, nous vous proposons une série spéciale qui met en avant ceux et celles qui posent des gestes concrets pour lutter contre la pauvreté.

À Paris, le lieu La Moquette accueille le soir tous ceux qui veulent partager quelque chose ensemble, des personnes en grande exclusion et des habitants du quartier. Reportage sur une conférence-débat consacrée au fromage, symbole de la culture française.

 » Bonjour, je m’appelle Pierre, je suis fromager depuis quatre ans à Paris. Nous allons commencer par un petit voyage. Nous sommes à Cussac, dans le Cantal. Sur cette image, ce sont des vaches salers, elles doivent avoir leur veau à côté d’elles pour faire du lait. Et plus tard, on aura du salers. Là, nous sommes à Manigod, en Haute-Savoie. Vous voyez des vaches grimpeuses, la flore est plus diversifiée, leur lait est plus riche…  »

Le jeune fromager fait défiler les photos sur l’écran au fond de la salle en sous-sol. Il est 21 heures 45, une douzaine de personnes ont pris place sur les chaises disposées en face de l’orateur. Dans l’assistance, des habitants du quartier, des habitués des conférences, des personnes vivant à la rue ou en centres d’hébergement qui portent de grands sacs en plastique avec toutes leurs affaires.

Questions

Nous sommes à La Moquette, un lieu unique à Paris, situé dans le cinquième arrondissement, à deux pas du très chic Jardin du Luxembourg.

Un après-midi et trois soirs par semaine, le lieu accueille un public de tous horizons, de la grande exclusion au profil plus  » classique « .

Il propose des conférences, des concerts, des rencontres, des soirées-cinéma et le jeudi, un atelier d’écriture. On peut aussi venir simplement lire les journaux mis à disposition, jouer, discuter.

Après l’exposé de Pierre, on est passé aux questions. Simultanément, la dégustation des fromages qu’il a apportés a commencé. Francis, qui modère les débats, passe dans les travées avec un grand plateau. Dessus, des parts de camembert coulant comme il faut, du conté délicatement parfumé…

 » Ils vendent cher le fromage dans les fermes ? « , interroge un participant.

 » Ils essaient de s’y retrouver « , répond Pierre.

 » Le goût a changé pour le fromage ? « , enchaîne un autre.

 » Il a évolué, on accepte moins de puissance, il y a une sorte de nivellement du goût « , indique le fromager.

 » C’est à cause de toutes les normes européennes « , assure un participant qui reviendra plusieurs fois sur les méfaits de l’Union européenne.

Atmosphère

Dans la salle, les deux ventilateurs tournent à plein mais la chaleur est pesante. Régulièrement, des personnes sortent prendre l’air, puis reviennent s’asseoir.

D’autres arrivent en cours de route, souvent avec de grands cabas, un manteau ou un anorak sur le dos qu’elles ne quitteront pas. Certains se connaissent et font des blagues.

 » Vous savez quelle est la région qui produit le plus de gruyère ? La Bretagne ! « , lance une voix.

 » Ah ! c’est le breton qui parle ! « , rigole son voisin.

S’ensuit un débat sur la distinction entre l’emmenthal et le gruyère. Où l’on explique que le gruyère est un mot générique, que la Suisse abrite la ville de Gruyères, enfin qu’en France c’est l’emmenthal le plus vendu en grande surface alors que chez les fromagers, le comté tient la corde.

Au fur et à mesure, l’échange devient plus fluide, la timidité disparaît. Les questions se bousculent, souvent précises, parfois même pointues. Des questions sur le lait végétal –  » en fait, ce n’est pas du lait « , répond Pierre -, sur le duvet sur le camembert –  » un champignon longtemps considéré comme bon pour la digestion  » – , sur le meilleur lait –  » celui de brebis est le plus riche  » -, sur sa transformation en fromage –  » le lait, c’est 90% d’eau mais aussi de la matière solide, du lait caillé  » -, etc.

 » En Afrique du nord, nous, on boit du lait caillé « , explique un participant.

L’atmosphère est bon enfant. On lève le bras pour intervenir. Loin des difficultés quotidiennes, on sent le plaisir d’être là, d’écouter, d’apprendre, de participer.

Nuit

 » Être ouvert et proposer des activités en soirée est un choix « , souligne Cyrille, des Compagnons de la nuit, l’association qui gère La Moquette.

 » Parce que la nuit est un autre temps, écrit l’association sur son site, le temps de l’échange, de la rencontre, du hasard, du partage des idées, de la détente… Un temps où les préjugés et les stéréotypes tombent, où l’on arrête de se prouver, de se justifier, de se vouloir performants.  »

La Moquette, poursuit le site,  » construit ainsi chaque soir un espace où le vivre ensemble est possible, hors des échanges marchands ou des demandes de prestations « .

Il est 23 heures 30. La conférence-débat touche à sa fin. Sur une table installée au fond, on apporte du café, du thé, de la tisane… Les plus accros vont poser des questions supplémentaires à Pierre. D’autres commentent entre eux la soirée, certains se plongent dans le journal.

Une femme est venue exprès de sa cité d’Argenteuil (Val-d’Oise) où elle vit seule, avec de petits moyens. Elle dormira ce soir chez son ami à Paris. Elle est enthousiaste :  » Ça nous change, on rencontre des gens, on parle pendant une soirée. En plus, on voit que Pierre, il en a dans la tête, il s’y connaît. On peut pas être instruit en tout, alors on apprend. Pour l’instruction, c’est formidable.  »

Véronique Soulé

Pour connaître le programme de La Moquette : www.compagnonsdelanuit.com/18-Programme