Entrez votre recherche ci-dessous :

A la découverte de TAE (travailler et apprendre ensemble), l’entreprise autrement

Il est 18h00 à la maison d’ATD Quart Monde de Lille. Nous sommes le jeudi 15 février et la grande salle est ouverte. Le géant du père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, repose dans son coin, et des chaises sont installées en cercle, au milieu de la pièce.

Plusieurs personnes attendent en discutant autour des brochures posées sur la table. Ces brochures sont au sujet de l’expérimentation Territoires Zéro Chômeur de longue durée et de TAE (travailler et apprendre ensemble), l’entreprise solidaire d’ATD Quart Monde. C’est de ça que sont venus parler Didier Goubert, Jean-François et Théophile.

Une quinzaine de personnes sont au rendez-vous ce soir. Toutes ont des profils différents et sont venues pour diverses raisons. Il y a des membres d’ATD Quart Monde, alliés ou volontaires. Il y a un jeune retraité cherchant à faire du bénévolat pour « être utile ». Il y a la suppléante du député La France Insoumise Adrien Quatennens, un professeur d’histoire militant pour le même parti, une étudiante venue par simple curiosité.

Travailler pour regagner sa dignité

Didier, le directeur de l’entreprise TAE, est accompagné de Jean-François, à TAE depuis 2 ans et militant Quart Monde, et de Théophile, stagiaire venant de Polytechnique, à TAE en tant que « compagnon ».

Didier présente TAE et son histoire. C’est un projet qui entre dans la continuité des ateliers de promotion professionnelle créés en 1978 et de l’insertion par l’activité économique (IAE). Toutes ces initiatives s’ancrent dans le principe de refus de l’assistance que prônait Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Selon lui, il faut que les gens travaillent pour « regagner leur dignité » et pour avoir un salaire suffisant pour vivre décemment.

Finalement, l’IAE s’est soldée par un échec. Trop peu de gens pouvaient en bénéficier et les gens les plus en difficulté en étaient écartés. De plus, seulement 20% des bénéficiaires trouvaient finalement un CDI. De là est alors née l’idée de TAE en 2002.

Associés et compagnons

TAE a un concept bien particulier. Elle emploie environ 55% de personnes éloignées de l’emploi et en précarité et 45% de diplômées. Les premiers sont appelés « associés », c’est le cas de Jean-François. Les seconds sont les « compagnons », Théophile est l’un d’eux. Ce dernier définit le rôle des compagnons comme « collègues de travail, soutien ».

Les objectifs sont clairs : il est question de « démontrer que personne n’est inemployable » et de faire de TAE un laboratoire de recherche pour trouver un mode qui permet à l’entreprise de faire de la place à tous, d’être rentable, durable et imitable. Mais attention, comme le précise Didier, les employés ne sont pas des cobayes mais des scientifiques.

Conventionné comme atelier et chantier d’insertion, TAE couvre 3 secteurs : l’informatique, le bâtiment et le ménage. Aujourd’hui, l’atelier emploie 23 salariés dont 4 postes subventionnés.

Zéro chômeur de longue durée

Dans le même esprit que TAE, le projet Territoires zéro chômeur de longue durée voit le jour. Le principe est très simple : il y a d’un côté des gens qui veulent travailler, de l’autre des travaux utiles qui ne sont pas faits, les deux se complètent et permettent aux personnes de retrouver une stabilité grâce à un CDI.

Didier insiste sur la nécessité de la mobilisation de tous et sur la longueur du projet, qui, pour être efficace, ne doit pas être généralisé pour le moment : « il faut d’abord s’assurer que cela se fasse dans l’esprit voulu ». Ce même esprit de solidarité et de mobilisation générale que l’on retrouve à TAE.

Une culture d’entreprise solidaire

En effet, TAE, c’est avant tout un esprit, une culture, des liens. Didier parle « d’esprit de compagnonnage » et Jean-François évoque les liens qu’il a tissés avec « ces gars là ». Il parle d’un compagnon qui est « comme un frère pour lui ».

Plus tard, il nous parlera aussi de son emploi . « A TAE, on m’a laissé la chance de signer un CDI ». Jean-François est ému. Il est fier de parler de ce travail qui lui apporte beaucoup et qu’il maîtrise aujourd’hui très bien. Il mentionne le droit à l’erreur, l’entraide entre compagnons et associés.

A TAE, il n’y a pas de chef d’équipe (hormis les deux directeurs). « L’équipe se répartit le boulot de façon un peu magique et ça fonctionne ». Il y a également la pause obligatoire de 10h15 qui permet de passer un moment tous ensemble.

Moments de partage

Les entretiens individuels diffèrent aussi du modèle classique : ce ne sont pas des évaluations mais des moments de partage où la personne parle de ses envies, de ce qu’elle veut apporter à TAE, de ce qu’elle a déjà fait depuis qu’elle y est.

Didier explique que lui et le deuxième directeur sont très à l’écoute. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils sont deux. En terme de production, il y a un objectif idéal affiché mais pas d’objectif personnel et pas de pression mise aux salariés.

TAE ne se contente pas de créer des emplois. Des formations sont aussi organisées pour interpeller les entreprises et « leur montrer leur responsabilité sociale ». Ces formations ont pour but de leur apprendre comment gérer les politiques de recrutement plus intelligemment, de croiser leur savoirs et expériences.

Après un échange entre les trois membres de TAE et les personnes présentes, l’assemblée a été invitée à réfléchir à cette notion d’entreprise solidaire autour d’un repas « tiré du sac » pour conclure un beau moment de partage.

Léna Delsaux, étudiante de l’Académie ESJ Lille avec la participation du groupe jeunesse d’ATD Quart Monde à Lille

Photo: La rencontre du 15 février à la maison d’ATD Quart Monde de Lille