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À Caen et à Reims, les Universités populaires s’emparent du Grand débat national

Sous-représentées dans le champ politique, les personnes en situation de pauvreté sont aussi exclues de la parole médiatique. Aussi, quand l’exécutif a lancé un Grand débat national pour répondre aux mouvements sociaux qui traversent le pays depuis quelques mois, ATD Quart Monde a voulu saisir l’opportunité d’y faire entendre la voix des citoyens les plus pauvres, convaincu qu’ils possèdent un savoir et une expérience dont la société ne peut se passer. Le 29 janvier se sont ainsi tenues, à Reims et à Caen, les premières Universités populaires Quart Monde s’inscrivant dans le cadre du Grand débat national. Retour croisé sur la soirée.

Les militants Quart Monde et leurs alliés en Universités populaires

Il est 19h30 à Reims. Dans la salle du rez-de-chaussée de l’accueil de jour mis à disposition par le Secours catholique, une quarantaine de personnes sont rassemblées autour d’un repas partagé, comme c’est l’habitude avant chaque Université populaire Quart Monde. Ce soir là, des militants – personnes qui vivent en situation de pauvreté engagées dans le combat contre la misère au sein d’ATD Quart Monde – et leurs alliés sont venus parler fiscalité. Un thème qui figure dans la consultation nationale lancée par l’exécutif à la suite du mouvement des gilets jaunes.

Pour apporter des éléments de compréhension à ce sujet ardu, Louis Blanc-Patin – élève de l’ENA en stage à ATD Quart Monde – a été invité. Dans la salle, Nadia Bellaoui, l’une des cinq personnes garantes nommées pour le Grand débat national est également présente.

C’est le groupe de la Verrerie, composé de militants Quart Monde, qui a proposé le sujet et préparé la séance. Pour ouvrir l’Université populaire, il propose une saynète. Chacune – elles sont cinq femmes – enfile un gilet jaune et la conversation s’engage, comme sur un rond-point. Le sentiment d’injustice explose face à des  » privilégiés  » :  » Même au RSA, on paie des taxes pour tout le monde « ,  » Est-ce qu’il vont remettre l’ISF? « ,  » D’accord pour la taxe d’habitation mais si elle sert pour mon quartier « ,  » Les gens des ministères, on les a augmentés « ,  » La Coupe du monde, aller dans la lune ? Mieux vaut mettre l’argent pour la santé, le logement, l’éducation « …

Florence et Thérèse, les deux animatrices, se tournent vers l’autre groupe de militants pour avoir des réactions.  » J’étais au rond-point avec les gilets jaunes, explique Colette, je leur ai dit que je suis d’accord avec eux mais on parle pas de nous, ceux qui ont du mal. On va encore rester invisibles de ce côté-là ? « 

A Caen, les participants débattent du mouvements des gilets jaunes en présence de Christelle Dubos – © ATD Quart Monde

Les gilets jaunes, c’est justement le thème de l’Université populaire Quart Monde qui se tient au même moment à quelques centaines de kilomètres de là, où une soixantaine de participants sont réunis au Centre d’études théologiques de Caen, en présence de Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé.

, la soirée débute par un temps où chacun peut partager ce qui s’est passé d’important pour lui depuis la dernière Université populaire. Un moment qui permet de prendre des nouvelles mais aussi de mettre les participants à l’aise et de délier les langues avant de passer au temps suivant, où chacun est invité à écrire 3 propositions qu’il souhaiterait voir mises en place en priorité par le gouvernement . On réfléchit, on jette les idées sur le papier, on rature… avant la mise en commun.

« Donc toi, tu penses que ce qui est prioritaire, c’est de permettre l’accès au logement. N’importe quel logement ? Un logement décent. Est-ce que d’autres personnes ont la même proposition ou quelque chose de similaire ? » : Maggy, volontaire à ATD Quart Monde qui anime l’Université populaire de Caen, fait passer le micro. Elle encourage ceux qui hésitent, reformule pour être certaine d’être fidèle aux idées proposées, recentre parfois ceux qui s’égarent dans les digressions.

Les Université populaires sont exigeantes et demandent une animation rigoureuse pour permettre la participation de personnes à qui l’on n’avait jamais pris la peine de demander leur avis auparavant. Rapidement, les propositions se multiplient sur des thèmes variés : les impôts et les taxes, le logement, l’accès à la formation pour les jeunes, le pouvoir d’achat, la revalorisation des petits salaires et des minimas sociaux, l’emploi, la désertification des services publics, le rapport aux institutions et aux démarches administratives… Sur tous ces sujets, les échanges et les débats vont bon train.

A Reims, la fiscalité en question. A Caen, le mouvement des gilets jaunes fait débat.

A Reims, l’Université populaire planche sur les dépenses et les recettes de l’Etat – © ATD Quart Monde
A Reims, l’Université populaire planche sur les dépenses et les recettes de l’Etat – © ATD Quart Monde

Pendant ce temps là à Reims, on entre dans le vif du sujet : sur un tableau, Florence détaille maintenant le budget de l’État, avec d’un côté, les grandes masses de recettes et de l’autre les dépenses. Les participants sont alors invités à plancher sur cette question :  » Vous êtes nommé au gouvernement : que feriez-vous pour rendre le budget plus juste ? « . Les groupes s’éparpillent. Ils ont 20 minutes avant de rendre leur copie.

Alors que la TVA – payée par les riches comme par les pauvres – est jugée injuste, nombreux demandent le rétablissement de l’ISF et la chasse aux fraudeurs fiscaux. Les élus de la République sont aussi visés avec leurs dépenses jugées somptuaires. Quant à la taxe carbone, suspendue par le président en pleine crise des gilets jaunes , les militants se sont comptés autour de la table : seuls deux ont une voiture. Pourquoi paieraient-ils alors qu’ils polluent moins que les autres et n’arrivent déjà pas à boucler les fins de mois ?

Coté dépenses, les idées fourmillent aussi. En vrac : augmenter la protection sociale, des efforts du côté de la santé, un coup de pouce pour les retraites et pour les APL, une hausse des prestations sociales, etc.

Plusieurs fois sollicité, Louis, le grand témoin, est écouté religieusement. Il confirme que  » la TVA est un impôt injuste car tout le monde paie le même « .

A Caen, après le temps des propositions vient celui de l’analyse du mouvement des gilets jaunes, thème dédié à la soirée, que les militants Quart Monde avaient préparé en amont, comme c’est habituellement le cas avant chaque Université populaire. Comme à Reims, si beaucoup rejoignent les revendications portées par le mouvement, le degré d’adhésion ne fait pas consensus : alors que quelques uns continuent à arborer le gilet jaune, certains s’y sont refusés ou ont fini par l’abandonner ne se sentant ni pris en compte ni représentés par le mouvement.

C’est par exemple le sentiment de Pricillia : « Les gilets jaunes disent qu’ils sont le peuple. Mais il y a le peuple et le sous-peuple. Moi, je suis le sous-peuple. », réagit-elle. Marie-Thérèse renchérit : « J’ai entendu un retraité dire ‘’j’ai 1500€ et je suis à découvert le 15 du mois’’. Nous on est à 500€. Le découvert, c’est tous les jours alors. Si on augmentait le RSA, on aurait l’esprit plus tranquille pour chercher du travail. Mais nous on doit se battre tous les jours ». Seul point d’unanimité parmi les participants : la condamnation de la violence.

« Au lieu de faire pour nous, faites avec nous »

Au-delà des revendications, ce que retiennent les militants Quart Monde, c’est le désir de reconnaissance porté par le mouvement des gilets jaunes et l’émergence d’une parole jusqu’alors peu entendue. Beaucoup veulent se saisir de l’opportunité de participer aux débats via les cahiers de doléances ou au sein du grand débat national.

Car, dans les échanges avec Christelle Dubos ce soir-là, c’est aussi la volonté d’être davantage considérés comme des citoyens actifs qu’ils ont eu à cœur de partager. « On est mis dans une case et quand on arrive à s’en sortir, on est mis dans une autre case. On dirait que c’est écrit sur notre visage qu’on est pauvre et qu’on n’a rien d’intéressant à dire. Au lieu de faire pour nous, faites avec nous », a ainsi rappelé Angélique à la secrétaire d’État avant la fin des échanges.

Retour à Reims où il est 22 heures passé. Invitée à conclure, Nadia Bellaoui est prudente :  » Le gouvernement n’a pas la marge de manœuvre pour tout changer. Il prend sa part, vous la vôtre.  » On a rêvé un moment de changer les choses. Il faut attendre maintenant ce que décidera le président. En attendant, alors que Caen et Reims ont lancé le tempo, d’autres Universités populaires Quart Monde viendront enrichir ces contributions au Grand débat national : les militants Quart Monde sont prêts à « prendre leur part ».