
À Beitouna : « S’entraider, c’est lutter contre la misère »
Vu de l’extérieur, Naba’a pourrait passer pour un quartier en partie abandonné. Des petites ruelles, des fils électriques dans tous les sens, des dessins sur les murs, des enfants qui jouent sur les trottoirs, des maisons entassées, des histoires de misères qui semblent ne pas finir…
Les habitants de ce quartier de Beyrouth au Liban n’ont en général pas choisi de vivre ici. Réfugiés arrivés de différentes régions du pays durant la guerre civile(1), chrétiens, musulmans, libanais, mais aussi syriens(2), palestiniens, égyptiens, irakiens ou même venus d’Asie ou d’Afrique, la plupart vivent dans de grandes difficultés et ont perdu beaucoup de liens avec leurs proches. Le chômage, la violence et la drogue n’épargnent pas le quartier. Ici comme ailleurs, plus la vie est difficile, plus elle se cache aux regards.
Les efforts que les habitants de Naba’a doivent fournir pour assurer la vie quotidienne sont déjà tellement importants que leur réflexe pourrait être de solliciter le soutien d’autres plus fortunés. C’est pourtant une poignée d’entre eux qui a créé en 1999 le petit centre de quartier Beitouna (qui signifie « notre maison » en arabe). À Beitouna, les habitants conçoivent eux-mêmes des actions pour soutenir l’éducation des enfants, préparer une fête, rencontrer les familles les plus isolées, arriver à prendre des temps de vacances même quand la vie est dure…
Vivre en paix quand on a connu la guerre
« Dans ces expériences pour faire face ensemble aux difficultés, expliquent-ils, nous découvrons l’importance de la coopération. Quand on s’entraide, on lutte contre la misère. On est ensemble, entre personnes que les circonstances pourraient très bien rejeter les unes contre les autres. Quelles que soient les confessions ou les nationalités, la misère nous est commune et on doit s’entraider. »
À Beitouna, les gens se sentent acceptés et en sécurité, quelles que soient en effet leur couleur de peau, leur langue ou leur religion. On les invite à prendre des responsabilités et à participer aux actions.
À la suite de la guerre israélo-libanaise de l’été 2006, une nouvelle action est née à Beitouna. Des distributions alimentaires avaient alors lieu à Naba’a pour secourir des familles qui se trouvaient dans une grande détresse. Les habitants ont compris que ces distributions ne dureraient pas toujours et qu’elles favorisaient un réflexe d’assistanat. Les membres de Beitouna ont proposé de s’organiser collectivement afin d’acheter des denrées en gros et à moindre prix. C’est ainsi que la coopérative est née.
La bibliothèque, animée par des mamans du quartier et d’autres bénévoles, permet aux enfants d’apprendre à vivre en paix. Depuis deux ans, beaucoup d’enfants arrivés de Syrie l’ont rejointe et y sont bien accueillis, ceci dans un contexte où beaucoup de Libanais en veulent encore aux Syriens d’avoir occupé le pays pendant la guerre civile.
Groupes de parole
Des groupes de parole rassemblent régulièrement des habitants autour de projets communs ou lorsque des difficultés apparaissent. Un jour, un jeune irakien de 13 ans a blessé gravement au couteau un autre garçon. Le premier s’est retrouvé en prison, le second à l’hôpital. Dans le groupe de parole, la colère de plusieurs parents a éclaté. Certains ont dénoncé le fait que d’autres encourageaient leurs enfants à avoir des couteaux. D’autres ont découvert que leur fils en cachait un dans son cartable. Quelques-uns ont dit qu’il était impossible de vivre avec des voisins d’une autre confession.
Dans les semaines qui ont suivi, des membres de Beitouna ont visité le garçon emprisonné et d’autres adolescents qui se trouvaient en prison avec lui. Des rencontres ont aussi été organisées avec des associations, la municipalité et des écoles sur le thème de la violence. Suite à cela, des directeurs d’école ont donné des directives pour que les cartables des enfants soient inspectés.
Manifester dans la rue
Le 17 octobre 2011, journée mondiale du refus de la misère, Beitouna a demandé pour la première fois aux autorités la permission d’organiser une manifestation publique dans le quartier, afin d’honorer tous ceux qui combattent la misère et de montrer un visage dynamique du quartier. Georgette, membre de Beitouna, a proclamé : « Si nous n’étions pas des gens qui luttent courageusement contre la misère, nous serions tous morts ! » Elle a été applaudie par tous.
Depuis, chaque fois que Beitouna propose aux habitants de participer à des marches, ils sont fiers d’y être aux côtés d’autres et amènent leurs enfants avec eux.
Merci à Abir, Éliane, Élie, Françoise, Georges, Georgette, Jacqueline, Jocelyne, Leïla, Marie-Ange, Sako, Sarkis, Sayed, Thérèse, Yvonne et tous les membres de Beitouna.
Abir
Abir, syrienne, anime avec d’autres la bibliothèque de Beitouna. Elle se souvient : « Quand je suis arrivée dans le quartier, mes enfants étaient jeunes. Je venais d’ailleurs. Je voulais que ma famille soit bien et que l’endroit soit sûr. Ce n’était pas la vie dont j’avais rêvé. Mais je me disais : ‘Ma vie, c’est ici maintenant.’ Et j’ai commencé à aimer ce quartier avec tout ce qu’il y avait dedans. En fait, c’est ce quartier qui m’a donné de la force. »
Abir s’est récemment retrouvée à l’hôpital avec un pied cassé, après avoir tenté de séparer son fils et d’autres jeunes qui se battaient dans la rue. Mais cela n’a pas entamé ses convictions : « La tolérance et le respect que les enfants apprennent à la bibliothèque va dans les maisons, dans les rues, où ils le transmettent. Ils comprennent des valeurs qu’ils porteront ensuite chez eux et dans leur vie. »
Leila, 22 ans, est la fille d’Abir. « Enfant, dit-elle, je n’étais pas très contente, car je pensais que ma mère s’occupait plus des autres que de moi ! Aujourd’hui, je vois que tous les gens à Naba’a la connaissent et la respectent. Ils forment comme une famille. J’apprends d’elle. »Depuis 2003, Beitouna est membre du Forum du refus de la misère, ce réseau qui rassemble sous l’égide d’ATD Quart Monde plusieurs dizaines de correspondants et d’associations à travers le monde, tous engagés d’une manière ou d’une autre dans la lutte contre la misère. Voir www.refuserlamisere.org
Photos : lors d’une marche dans le quartier, à l’occasion de la journée mondiale du refus de la misère.
Des mamans entourent le mot « paix ».