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Université populaire : « Il faut du temps, des étapes, des personnes qui y mettent de l’énergie »

Marc Couillard est militant du Mouvement ATD Quart Monde. Voici son témoignage lors de l’Université populaire européenne qui s’est tenue le 5 mars 2012 au Comité économique et social européen à Bruxelles.« Je m’appelle Marc Couillard. Comme beaucoup d’autres membres du Mouvement ATD Quart Monde, j’ai vécu la misère et l’exclusion durant toute mon enfance et ma jeunesse.

Les miens, ce sont ceux qui vivent la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette expérience de la vie marque pour toujours notre manière de voir et de ressentir les choses, notre manière de penser.

D’une personne à l’autre, d’un pays à l’autre, nous sommes tous différents : nous ne vivons pas exactement les mêmes choses, nous ne pensons pas exactement les mêmes choses. Nous avons besoin d’apprendre les uns des autres, nous sommes complémentaires. Mais nous avons en commun de vouloir que cette misère s’arrête, nous sommes passés par là et nous voulons éviter que les autres subissent la même chose. Nous voulons que cela change d’abord pour nos enfants. Nous voulons le bonheur de nos enfants, nous voulons qu’ils aient une vie meilleure que la nôtre, un meilleur avenir, qu’ils puissent apprendre. Nous voulons un monde meilleur pour tout le monde.

Ce sont des projets que nous avons en nous, au fond de nous, et c’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui. Mais arriver ici, c’est le résultat d’un long chemin, cela n’a pas été magique, il nous a fallu du temps, des étapes, des personnes qui y mettent de l’énergie.

La base, ce sont des gens qui sont venus à notre rencontre. Ils nous ont invités à participer à des réunions. Souvent, il a fallu qu’ils reviennent plusieurs fois avant qu’on ne commence à avoir confiance : quand on a vécu trop de difficultés, on se renferme chez soi : on ne va chez personne, et on n’invite plus personne chez soi. On se méfie. On a toujours peur, il y a tant de gens qui viennent dans notre vie pour s’occuper de nous, qui veulent entrer dans notre vie pour décider à notre place, des gens qui disent qu’ils vont nous aider et qui, en réalité, nous écrasent comme des punaises.

Lorsque les gens reviennent, régulièrement, sans nous forcer, petit à petit, on commence à avoir confiance. Un jour, on va à une réunion, pour voir. On est accueilli. On découvre que des gens s’intéressent à nous, nous écoutent, ne rient pas de nous, qu’ils nous prennent comme des êtres humains à part entière. On voit que la personne qui anime prend tout au sérieux, note, pose des questions pour comprendre. En même temps, on a encore peur, on ne sait pas ce que les gens vont faire avec ce qu’ils apprennent de notre vie. Mais petit à petit, on commence à oser, on commence à parler, à participer au thème de la réunion en apportant des choses qu’on a vécues.

On prend confiance dans des réunions en petits groupes, dans son quartier, là où l’on vit. Et puis on nous invite à l’université populaire. Là, nous sommes nombreux à nous rassembler. C’est une découverte. Nous ne sommes pas seuls. Nous pouvons échanger avec des personnes qui vivent la même chose que nous. Au début, l’expression est difficile, on n’a pas l’habitude. On nous a souvent dit que nous étions bêtes, que nous ne valions rien, et c’était entré en nous. À l’université populaire, nous découvrons ensemble que ce n’est pas vrai, parce qu’on nous laisse le temps de trouver nos propres mots pour dire ce qui nous travaille la tête. Quand on nous laisse le temps, quand on ne parle pas à notre place, quand on nous laisse expliquer nous-mêmes ce que nous voulons dire, petit à petit, nous devenons capables de sortir ce que nous avions au fond de nous.

Parce que nous sommes ensemble, nous prenons conscience que ce que nous vivons, ce n’est pas notre faute, nous ne sommes pas coupables. Nous pouvons dire que ce que nous vivons, c’est de l’injustice.

À l’université populaire, nous ne sommes pas seulement entre nous. Il y a aussi des personnes qui ont une toute autre vie que nous. L’université populaire, c’est un lieu ouvert à tous ceux qui veulent s’engager pour lutter contre la pauvreté. Nous réfléchissons ensemble. Nous découvrons que nous avons une pensée, un savoir… que les autres n’ont pas. Nous découvrons que nous avons des choses à dire et que nos apports sont importants pour les autres. Nous apprenons les uns des autres.

L’université populaire, c’est un lieu de formation qui nous donne de la force, des idées, du courage.

Nous découvrons que nous avons des responsabilités à prendre pour que le monde aille mieux.

Nous nous sentons responsables par rapport à tous ceux qui sont encore tout au fond de la misère, pour qu’ils ne soient pas oubliés, pour qu’ils ne restent pas seuls.
Nous nous sentons responsables de les rendre présents tant qu’ils ne peuvent pas être là, parce que nous savons le long chemin qu’il faut. Nous voulons apporter ce qu’ils nous disent, ce qu’ils nous apprennent.

Mais nous découvrons aussi une autre responsabilité : celle de croiser nos savoirs avec tous ceux qui veulent qu’il n’y ait plus de misère et d’exclusion, qui veulent que les droits de l’homme deviennent une réalité. À l’université populaire, nous commençons à réfléchir, à nous parler, à dialoguer, à comprendre ensemble. Il nous faut aller plus loin. Croiser les savoirs, c’est plus que s’exprimer et s’écouter, c’est penser ensemble, agir ensemble, construire l’avenir ensemble.

Tous ici présents, nous voulons une Europe sans exclusion, une Europe des droits de l’homme. Nous avons pris conscience que vous avez besoin de nous pour la réaliser. C’est pour cela que nous sommes venus, aujourd’hui. Nous ne pouvons pas vous apporter de l’argent, nous vous offrons notre expérience, notre pensée, notre savoir, pour les partager avec les vôtres. »