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« La culture, c’est la vie qui recommence à battre »

Anne de Margerie, coordinatrice du Réseau Wresinski Culture (voir ci-dessous) avec Catherine Bon, répond à nos questions.

Le « Rapport Wresinski » (1) constatait en 1987 que « malgré les efforts déployés par l’État, les partenaires sociaux, le monde associatif pour l’accès à la culture et aux arts, les plus défavorisés en demeurent exclus. » La situation a-t-elle changé ?

Non. L’État dépense pour la culture, mais cela profite en réalité à la partie la plus favorisée de la population. Il ne sert à rien d’offrir des places de spectacle ou de musée à des familles en grande précarité si elles ne peuvent s’approprier les œuvres. Il faut investir davantage de moyens pour cela : un travail d’accompagnement, une rencontre, une relation dans la durée qui soit un véritable échange.

Qu’est-ce que la culture reconstruit ?

Avec le temps, elle reconstruit des solidités chez les personnes cassées par l’exclusion. Quand on vit dans l’angoisse et dans l’incertitude, la culture, c’est la vie qui recommence à battre. J’ai habité dix mois la cité du Château de France à Noisy-le-Grand, en 2011-2012. La cité qui doit être démolie est murée petit à petit. La violence créée par cette destruction est terrible. Lorsque des habitants ont commencé à peindre, à dessiner et à écrire sur les portes et les fenêtres mûrées, il y a eu une accalmie. Quand on crée ensemble, on est les uns avec les autres, on prend du temps pour soi, on se parle. On est fier de créer quelque chose qui reste. Tout cela, je le savais, mais c’est autre chose de le vivre en vrai, par petites touches.

Par exemple ?

Je me rappelle la manière dont un papa a accepté d’exposer ses premiers tableaux après avoir refusé plusieurs fois, ou encore la façon dont les enfants qui ont joué dans le spectacle des « 116 histoires du Château de France » sont arrivés à faire le silence durant une longue scène.

La culture résoud-elle tout ?

Non, bien entendu. Joseph Wresinski (Fondateur du Mouvement ATD Quart Monde en 1957) rappelait souvent qu’il est vain de parler d’accès à la culture sans parler d’accès aux sécurités élémentaires de l’existence : à l’instruction, au travail, au logement, à un revenu décent… Mais il faut s’attaquer aux préjugés qui disent que lorsque l’on est exclu, on n’a pas besoin d’art et de beauté, encore moins en période de crise. Pouvoir se dire « j’existe, je suis entendu » est une manière de se remettre debout. Dans les années 1990, à un journaliste qui lui demandait à la radio : « L’essentiel, pour un pauvre, c’est quand même d’être logé et nourri, non ? » , Geneviève de Gaulle, alors présidente du Mouvement, a répondu : «  Cela, c’est ce qu’on offre à un chien. Mais ce qui fait la différence entre un chien et un homme, c’est la culture. » C’est en entendant cela que j’ai décidé de m’engager avec ATD Quart Monde.

JCS

Le réseau Wresinski culture

C’est une plateforme d’échanges pour les professionnels de l’art et de la culture dont les pratiques témoignent d’un engagement dans la lutte contre les exclusions. Ce réseau national est né en février 2000 sous l’impulsion du secrétariat culture du Mouvement ATD Quart Monde et réunit actuellement 400 professionnels.

→ Infos et comptes-rendus des rencontres annuelles : www.atd-quartmonde.fr/reseauculture

Une culture de la dignité

« Pourquoi les gens qui n’ont rien sont rejetés par les autres ? » s’écrie un père de famille […] Par cette seule question, nous savons que la misère oblige à des interrogations qui sont comme une porte ouverte […] sur une culture remise en cause et renouvelée. Car le plus pauvre développe sa conscience, non pas tant dans le contraste avec la richesse que dans ce refus de l’exclusion qui est la marque de sa volonté de comprendre à la fois ce qu’il vit et le monde qui l’environne. Ce refus s’exprime par la volonté de ne jamais se laisser étouffer totalement par la laideur de la cité, par la volonté de trouver, de créer constamment un espace que l’on tente de faire échapper à la grisaille de l’environnement. Ce refus, c’est le refus de se laisser engluer, aspirer. » (Joseph Wresinski, extrait de Culture et grande pauvreté)

→ À lire, ainsi que d’autres textes, sur www.joseph-wresinski.org/-Culture-et-pauvrete-.html

Depuis 40 ans, la culture ne s’est guère démocratisée

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